Intervention de Michel Larive

Séance en hémicycle du mardi 6 octobre 2020 à 21h30
Restitution de biens culturels à la république du bénin et à la république du sénégal — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Larive :

Le problème de la restitution des oeuvres d'art ne peut être résolu par le fait du prince, parce qu'il est global. Il concerne aussi bien l'Afrique que l'Europe, avec notamment les demandes de la Grèce, ou encore le Moyen-Orient, avec les requêtes de l'Irak, et bien d'autres d'ailleurs.

L'Afrique veut se réapproprier son histoire et faire de la culture un des axes de son développement. Certains pays africains ont donc décidé de réclamer la restitution d'oeuvres qu'ils estiment être leur propriété. Si l'on peut considérer que le pillage des oeuvres africaines par les puissances coloniales de l'époque est un fait incontestable, on ne doit pas oublier, ici comme ailleurs dans le monde, l'existence d'autres vecteurs, endogènes, de dissémination des oeuvres d'art, tels que les changements de croyances, de représentations du vivant et autres évolutions spirituelles et artistiques. Ainsi va l'histoire de l'humanité : la légalité des butins de guerre de 1892 nous heurte aujourd'hui, à raison. Dans cette perspective historique, il faut mettre en miroir les exactions des troupes coloniales et la pratique de l'esclavage du roi Béhanzin. La repentance ne peut aider à résoudre le problème de la restitution des oeuvres d'art. Il s'agit de construire de nouvelles relations avec les peuples du monde, ceux d'Afrique notamment, fondées sur le respect réciproque de nos intelligences collectives.

L'universalité muséale suppose que l'on puisse avoir accès aux collections patrimoniales les plus diverses, provenant du monde entier, pour remplir sa fonction d'éveil culturel. Ce rapport à l'universalité d'accès aux oeuvres d'art suppose la réciprocité. Ainsi, il est vrai qu'il est nettement plus facile de contempler les joyaux de l'art africain dans les capitales occidentales que dans les musées africains – la circulation des oeuvres oublie souvent leur territoire d'origine. On peut aussi s'interroger sur le bien-fondé de prêts d'oeuvres d'art à des destinataires qui en revendiquent la propriété.

Il se dit que la France fut la salvatrice de l'art africain, grâce au rapatriement des collections dans l'Hexagone ; mais au moment de la spoliation des vingt-six statuettes d'Abomey, le royaume du Dahomey était tout aussi capable de cette préservation. S'il est vrai que le continent africain, exceptées quelques places fortes, manque de moyens et d'infrastructures pour accueillir des expositions d'envergure, cela ne constitue en rien un empêchement définitif au retour de l'art africain chez lui. J'ai étudié le rapport dressant un état des lieux des objets africains détenus en France de Bénédicte Savoy, du Collège de France, et de Felwine Sarr, de l'Université Saint-Louis du Sénégal. Ils préconisent un programme de restitution des biens culturels très audacieux. Cependant, la réalité nous apprend que la plus grande partie des pays africains ne désirent pas une restitution de cette amplitude ; le Congo, par exemple, n'exprime aucune demande en ce sens.

Faut-il restituer ? L'intention est louable et se justifie amplement. Se posent néanmoins les questions légales de l'inaliénabilité des collections nationales, de la légitimité des requêtes en propriété et enfin de la réservation des restitutions aux établissements publics. En effet, les collections privées, qui détiennent 90 % des oeuvres concernées, en sont exclues. On peut observer par exemple qu'un des trônes du roi Béhanzin, exposé au Bénin, est la propriété d'une fondation privée franco-béninoise très favorable au processus de restitution. On pourrait imaginer qu'alliant les paroles aux actes, cette fondation privée fasse don de ce patrimoine exceptionnel à l'État béninois.

La précipitation dont vous avez fait preuve dans ce dossier a perturbé nombre d'États africains, qui voient s'ouvrir une boîte de Pandore dont, comme vous d'ailleurs, ils n'appréhendent pas toutes les dimensions. Derrière cet acte de contrition, on distingue une nouvelle opération de communication du Gouvernement, plutôt qu'une réflexion large sur les relations entre la France et les États africains.

La restitution du sabre et des vingt-six statuettes n'atténueront en rien la prédation néolibérale que subissent les économies africaines, ni la suffisance et la condescendance françaises à l'égard de leurs pays. Le jour de l'annonce des restitutions d'oeuvre d'art, le Président de la République française s'est fendu de propos inadmissibles envers le président burkinabé. Ce dernier avait quitté la salle après une remarque déplacée du chef de l'État français, …

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