Intervention de Marlène Schiappa

Séance en hémicycle du lundi 16 novembre 2020 à 16h00
Prorogation de mesures du code de la sécurité intérieure — Présentation

Marlène Schiappa, ministre déléguée chargée de la citoyenneté :

Il y a trois ans, l'Assemblée nationale adoptait la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, dite « loi SILT ». Il s'agissait alors de sortir de l'état d'urgence, car il n'avait pas vocation à constituer un état permanent. Il s'agissait aussi de maintenir un niveau très exigeant en matière de sécurité des Français, car la menace restait – elle le reste toujours – prégnante, et la lutte contre le terrorisme, une priorité de l'action du Gouvernement. À cet effet, la loi SILT a créé des outils nouveaux, adaptés, qui ont permis de garantir à la fois l'efficacité de l'action antiterroriste et la préservation des libertés.

Nous avons tous conscience, je le sais, du niveau extrêmement élevé de la menace qui continue de peser sur notre pays. L'attaque terroriste devant les anciens locaux de Charlie Hebdo, celle de Conflans-Sainte-Honorine et celle de Nice montrent, si c'était encore nécessaire, que nos efforts ne doivent pas se relâcher et que nous devons continuer d'agir avec la plus grande détermination contre le terrorisme. Depuis octobre 2013, vingt attaques ont abouti sur le territoire national. Mais il convient d'ajouter que, depuis 2017, trente-deux attentats ont été déjoués par les services, dont un tout récemment, au début de l'année 2020.

Je saisis donc cette occasion pour saluer le travail efficace de nos services de renseignement, de nos policiers et de nos gendarmes, qui, chaque jour, mènent un travail de terrain exceptionnel pour identifier les menaces, suivre les individus dangereux et mettre en péril leurs projets meurtriers. Grâce à la loi SILT, ces services ont continué de disposer, après la fin de l'état d'urgence de 2017, d'un cadre législatif efficace et adapté à leur action. L'autorité administrative – préfet ou ministère de l'intérieur, selon les cas – s'est vue reconnaître des compétences nouvelles, strictement proportionnées à l'état de la menace, toujours sous le contrôle du juge et dans le seul but de prévenir les actes terroristes.

Il s'est agi notamment de la possibilité de mettre en place des périmètres de protection pour assurer la sécurité d'un lieu ou d'un événement, de procéder à la fermeture d'un lieu de culte dans lequel se tenaient ou circulaient des idées incitant à des actes terroristes ou faisant leur apologie, d'édicter à l'encontre d'individus présentant une menace caractérisée pour la sécurité et l'ordre public des mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance – les MICAS – , enfin de pouvoir solliciter auprès du juge judiciaire l'autorisation de procéder à la visite d'un lieu fréquenté par de tels individus.

L'étude d'impact du présent projet de loi présente dans le détail un premier bilan de l'application de ces mesures. Sans y revenir de manière approfondie, je veux tout de même insister sur l'usage qui a été fait de ces outils nouveaux.

À la date du 13 novembre 2020, 592 périmètres de protection avaient été mis en place et 8 lieux de culte avaient été fermés ; 353 mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance avaient été notifiées, dont 63 restent actives à ce jour, et 286 visites domiciliaires avaient été réalisées. Ces dispositions ont toujours été utilisées de manière ciblée et sous le contrôle du juge. Conformément à l'article L. 22-10-1 du code de la sécurité intérieure, instauré par l'article 5 de la loi SILT, le Parlement a été informé sans délai de la mise en oeuvre de chacune de ces dispositions. Il a également été rendu destinataire chaque année d'un rapport d'évaluation sur la mise en oeuvre de la loi.

De la même manière, le Gouvernement a fait un usage raisonné de la technique dite « de l'algorithme ». Ainsi, depuis 2015, trois traitements automatisés ont été autorisés par le Premier ministre, après avis favorable, bien sûr, de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement. La délégation parlementaire au renseignement a été rendue destinataire d'un rapport classifié confidentiel défense qui décrit la nature de l'apport opérationnel de ces différents traitements automatisés : chacun d'entre eux a permis de détecter les contacts entre les individus porteurs d'une menace terroriste, d'obtenir des informations sur la localisation d'individus en lien avec cette menace, de mettre à jour des comportements d'individus connus des services de renseignement et nécessitant des investigations plus approfondies, d'améliorer la connaissance des services sur la manière de procéder des individus de la mouvance terroriste.

Les mesures dont il vous est aujourd'hui proposé de prolonger l'application constituent donc des outils opérationnels indispensables pour les services spécialisés de la lutte contre le terrorisme. Ces outils ont été utilisés sous le contrôle attentif du juge judiciaire et du juge administratif, et, pour certains d'entre eux, après avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement – avis dont le Gouvernement a toujours suivi le sens. Ils font l'objet, vous le savez, d'un échange permanent avec le Parlement, sous forme d'une information en temps réel et d'une évaluation régulière que le Gouvernement a toujours strictement respectée.

Ces dispositifs ont montré toute leur pertinence dans la prévention de la menace terroriste, mais il est important, sur des sujets aussi fondamentaux, qui touchent à l'équilibre entre la liberté des Français et la lutte antiterroriste pour assurer leur sécurité, de pouvoir discuter et améliorer encore les textes. Pérenniser dès à présent ces dispositifs, ce serait manquer l'occasion de les adapter pour qu'ils répondent au mieux aux besoins des services tout en respectant l'équilibre qui a présidé à leur adoption ici même.

Le Gouvernement, dans deux rapports annuels, a rendu compte au Parlement de la mise en oeuvre des mesures de police administrative. Il lui a également adressé, le 30 juin dernier, un rapport sur l'application de la technique de l'algorithme. Préalablement à l'émergence de la crise sanitaire, il envisageait par ailleurs de soumettre au Parlement, avant l'été, un projet de loi permettant d'engager avec vous une discussion sur la mise en oeuvre de ces mesures. Cette discussion aurait aussi été l'occasion de débattre ensemble d'éventuelles adaptations de notre cadre juridique face à l'évolution de la menace ; les services de renseignement y étaient prêts, de même que le ministère de l'intérieur, le ministère des armées et tout le Gouvernement. Mais la mobilisation nationale rendue nécessaire par la gestion de la crise sanitaire y a fait obstacle, le contexte ne permettant pas de tenir un débat de manière sereine dans chacune des chambres du Parlement.

À ce contexte épidémique est venue s'ajouter la décision rendue par la Cour de justice de l'Union européenne le 6 octobre dernier sur le régime de conservation des données par les opérateurs de télécommunications. Les juridictions nationales vont devoir tirer toutes les conséquences de cette jurisprudence européenne. Il nous faudra pouvoir éclairer le Parlement et examiner avec lui les conséquences potentielles qu'il conviendrait d'en tirer dans la législation.

Les sujets dont nous parlons là sont des sujets majeurs pour la sécurité des Français mais qui touchent aussi aux libertés fondamentales ; ils méritent donc d'être discutés avec tous les éclairages nécessaires.

Ainsi, compte tenu de la sensibilité et de la complexité des dispositions, il a semblé opportun au Gouvernement de prévoir une discussion sur la loi SILT au plus tard le 31 juillet 2021 et sur la loi relative au renseignement au plus tard le 31 décembre 2021. En tout état de cause, la prolongation de l'expérimentation ne nous empêche pas, et n'empêche pas les services, de travailler. Les préfets, les forces de sécurité intérieure et les services de renseignement continuent et continueront de se servir des outils qu'ils considèrent, de manière unanime, comme nécessaires à leur action.

La mobilisation du Gouvernement pour lutter contre le terrorisme est très forte. Conscient de la prégnance de cette menace depuis 2017 et à la demande du Président de la République, le Gouvernement a oeuvré avec une très grande détermination au renforcement des différents dispositifs de lutte contre le terrorisme. Nous l'avons fait, avec le soutien du Parlement, en continuant d'augmenter les moyens mis à la disposition des services spécialisés dans la lutte antiterroriste, notamment les services de renseignement. Au total, 1 000 postes supplémentaires ont été créés depuis l'élection du Président de la République. Les budgets d'investissement et de fonctionnement des services ont également fait l'objet d'un effort sans précédent. Ceux de la DGSI – la direction générale de la sécurité intérieure – , par exemple, ont pratiquement doublé depuis 2015.

La lutte contre le terrorisme exige de nous une mobilisation totale. Sous l'autorité du Président de la République et du Premier ministre, forts de l'engagement de l'ensemble des forces de sécurité et des services de renseignement, avec l'appui de la justice, nous mènerons ce combat sans relâche. Nous ne renoncerons jamais à traquer les ennemis de la République qui attaquent par la terreur notre mode de vie et nos valeurs : la laïcité, la liberté d'expression, la liberté de conscience.

C'est en raison de notre exigence d'efficacité, mais également pour que le débat parlementaire soit le plus éclairé possible, que je vous présente, au nom du Gouvernement, ce projet de loi de prorogation. C'est également pour moi l'occasion de remercier, au nom du ministre de l'intérieur Gérald Darmanin et en mon nom propre, les membres de la commission des lois, mais aussi ceux de la délégation parlementaire au renseignement et ceux de la mission d'information commune sur l'évaluation de la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement, pour la qualité du travail mené en commun depuis plusieurs mois. C'est enfin, pour moi, l'occasion d'exprimer devant vous le souhait que ce travail en commun se poursuive, tant il est important, en matière de lutte antiterroriste, que nous agissions ensemble, dans un esprit de responsabilité.

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