Intervention de Valérie Rabault

Séance en hémicycle du lundi 30 novembre 2020 à 16h00
Amélioration du système de santé par la confiance et la simplification — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaValérie Rabault :

Il est vrai qu'il n'est pas dans nos habitudes de présenter une motion de rejet préalable à l'occasion de l'examen d'un texte déposé par un député. Cela fait partie des usages liés au respect républicain. Il se trouve toutefois que la proposition de loi qui nous est soumise vise à traduire dans la loi les choix effectués par le Gouvernement dans le cadre du Ségur de la santé. Ces choix ne sont pas inscrits dans un projet de loi mais dans un texte d'origine parlementaire, toutefois ce sont bel et bien ceux du Gouvernement.

En procédant de la sorte, ce dernier s'est soustrait à deux obligations : le texte n'a fait l'objet ni d'un avis du Conseil d'État ni d'une étude d'impact. Pourtant, mes chers collègues, il me semble que le respect que nous devons aux soignants aurait exigé qu'un tel texte soit non seulement sécurisé juridiquement par un avis du Conseil d'État, mais aussi qu'il fasse l'objet d'une étude d'impact afin que ses conséquences soient analysées.

C'est la raison pour laquelle, avec les députés du groupe Socialistes et apparentés, j'ai sollicité le président de l'Assemblée nationale afin qu'il saisisse pour avis le Conseil d'État de la proposition de loi, en application de l'article 4 bis de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires. Il n'a malheureusement pas réservé une suite favorable à ma demande, ce que je regrette. La saisine du Conseil d'État aurait été d'autant plus nécessaire que cette proposition de loi, telle qu'elle a été déposée sur le bureau de notre assemblée, s'est révélée particulièrement lapidaire – elle comportait dix pages, en tout et pour tout. Encore fallait-il compter avec trois pages et demi d'exposé des motifs destiné à expliciter le contenu de chacun des articles, ce qui ne laissait que six pages aux quinze articles initiaux de la proposition de loi elle-même.

La saisine du Conseil d'État aurait également été nécessaire eu égard au manque de rigueur rédactionnelle de certains articles, qui indique sans doute la précipitation dans laquelle la proposition de loi a été rédigée. En raison des approximations juridiques dont souffrait le texte, il a dû faire l'objet d'une réécriture massive de la part du Gouvernement et de la rapporteure : cinq des six articles initiaux ont été totalement ou quasi totalement réécrits. Vous en conviendrez, mes chers collègues, la crédibilité du Parlement repose aussi sur sa capacité à exercer son droit d'initiative législative en proposant des textes juridiquement aboutis : en l'occurrence, cette condition n'a pas été remplie. Je le répète : je pense que les soignants méritaient un peu plus de considération.

Sur le fond, cette proposition de loi répond-elle à son objectif de traduire dans notre droit les mesures non budgétaires annoncées dans le cadre du Ségur de la santé ? Hélas, la réponse est non – ou alors, si le texte y parvient, c'est de manière extrêmement parcellaire. Seules cinq des trente-trois propositions du Ségur de la santé se retrouvent dans le texte – ce qui est fort peu.

Quelles sont ces cinq mesures ? Il y a tout d'abord, traduite à l'article 10 de la proposition de loi, la mesure no 3 qui vise à mettre fin aux abus de l'intérim médical, mesure dont M. le ministre nous a parlé – je me souviens parfaitement qu'il était le premier à mener le combat sur ce sujet dans l'hémicycle en 2013. La disposition, que je trouve assez intelligente et astucieuse, permet aux comptables de bloquer les rémunérations des contrats d'intérim médical qui dépassent le plafond fixé par la réglementation ou qui n'en respectent pas les conditions.

Ensuite, la mesure no 7 du Ségur est relative au renforcement du déploiement de la pratique avancée qui permet à des infirmiers de réaliser des missions élargies par rapport à leur champ de compétences initial afin de répondre aux évolutions de l'organisation des soins. Cette mesure est traduite à l'article 1er mais sous une forme un peu dévoyée – j'y reviendrai ultérieurement.

La mesure no 18, reprise à l'article 5 de la proposition de loi, vise à donner plus d'autonomie aux services des hôpitaux en matière de gestion et d'adaptation de leur organisation. Il s'agit de revenir à des unités plus concrètes, les services – celui d'oncologie ou de cardiologie – plutôt que des superstructures auxquelles plus personne ne comprend rien.

La mesure no 19 est liée à la précédente : les hôpitaux ne seront plus obligés de s'organiser en pôles d'activités réunissant plusieurs services.

Enfin, la mesure no 22 du Ségur vise à mieux associer les soignants et les usagers à la vie de l'hôpital. Elle trouve sa traduction dans plusieurs dispositions du texte, comme la possibilité de fusionner les CME – commissions médicales d'établissement – et les CSIRMT – commissions des soins infirmiers, de rééducation et médicotechniques.

Sur les trente-trois mesures que comporte le Ségur de la santé, les cinq que je viens d'énoncer sont donc les seules que reprend la proposition de loi. Elles ne font l'objet que de six des vingt-sept articles que comporte désormais le texte, à l'issue de son examen par la commission des affaires sociales.

Si nous nous rejoignons, je l'ai dit précédemment, sur certaines dispositions, comme la lutte contre les abus de l'intérim médical, nous sommes en profond désaccord sur d'autres. Je m'arrêterai sur deux d'entre elles.

Je veux d'abord revenir sur la création d'une profession médicale intermédiaire entre infirmiers et médecins, qui figurait initialement dans le texte. Cette proposition nous paraissait doublement problématique. D'une part, le Ségur de la santé ne prévoit que le lancement d'une mission de réflexion sur le sujet – médecins et infirmiers ont donc été très surpris de l'introduction « sans sommation », selon une expression déjà utilisée, du dispositif dans la proposition de loi. D'autre part, l'opportunité de créer un nouvel échelon entre les infirmiers et les médecins diplômés nous semble très discutable. La loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, adoptée à l'époque de la précédente majorité, permet en effet déjà aux infirmiers de réaliser des missions dans un champ de compétences élargi, ce qui est très bien, mais elle prévoit aussi une évaluation.

Face au mécontentement général que vous avez suscité chez les professionnels de santé en essayant de passer en force, vous avez fini par reculer en remplaçant cette mesure par un rapport sur la pratique avancée pour en accélérer le déploiement. Si nous soutenons le déploiement de la pratique avancée, nous vous proposons d'inclure dans le périmètre de la réflexion conduite dans le cadre de ce rapport la question de la revalorisation indemnitaire des auxiliaires médicaux exerçant en pratique avancée. En effet, la grille indiciaire des personnels exerçant en pratique avancée, définie par le Gouvernement dans le décret du 12 mars 2020, s'est révélée être en deçà des attentes des professionnels : la rémunération d'un infirmier en pratique avancée débutant, fixée à hauteur de 2 085 euros bruts, paraît insuffisante. Nous souhaitons dès lors que l'élargissement des compétences et des responsabilités induit par l'exercice en pratique avancée puisse se traduire par une valorisation indiciaire qui soit réellement à la hauteur de cette nouvelle qualification.

Nous estimons surtout que les deux dispositions introduites dans la proposition de loi visant à concentrer le pouvoir entre les mains de l'établissement support du groupement hospitalier de territoire, le fameux GHT, ne sont pas acceptables. Tout d'abord, elles n'ont pas été proposées dans le Ségur de la santé. La majorité introduit donc dans le texte, en catimini, des dispositions qui auront des conséquences majeures sur la structuration de l'organisation du système de santé dans les territoires, sans que ces mesures aient fait l'objet d'aucune évaluation ou concertation préalables. Elles sont aussi inacceptables en raison de leur contenu.

Première mesure : à titre expérimental, la majorité souhaite, grâce à l'article 4, donner la possibilité au directeur de l'établissement support du GHT de décider de la création de postes de praticiens hospitaliers dans tous les autres établissements du groupement. Concrètement, même si le directeur de l'établissement support ne pourra agir que sur proposition conjointe du directeur et du président de la CME de l'établissement concerné, et après avis de la commission médicale de groupement, il aura toujours la possibilité de refuser une création de poste demandée par l'un des établissements parties. Nous estimons que cette proposition n'est pas acceptable et qu'elle constituerait une mise sous tutelle des établissements de santé du GHT. De plus, la première version du texte prévoyait que l'ARS – agence régionale de santé – pouvait s'opposer à la décision du directeur de l'établissement support, mais cette possibilité a été balayée et supprimée en commission. Ainsi, la décision du directeur de l'établissement support ne pourra souffrir d'aucune contestation ni d'aucune opposition. C'est pourquoi nous proposerons la suppression de l'article 4.

La deuxième mesure que propose la majorité, à l'article 7, vise à attribuer le poste de chef d'établissement laissé vacant dans l'un des établissements du GHT au directeur de l'établissement support du GHT. Si l'examen en commission a permis d'assouplir ce dispositif en donnant en dernier ressort à l'ARS la décision de confier le poste au directeur de l'établissement support à l'issue d'une période intérimaire d'un an, nous estimons que cet article continue de répondre à la même volonté de centralisation, aux mains de l'établissement support du GHT, ce qui contreviendrait à l'esprit même de la création dudit groupement, lequel n'avait en aucun cas pour but de procéder à une centralisation totale des pouvoirs au sein l'établissement support. Un tel dispositif risque dès lors d'entraîner une centralisation de la décision au sein de l'établissement support et, in fine, le non-renouvellement des postes de direction – c'est bien ce qui est à la clé dans les établissements locaux. Nous proposerons là aussi de supprimer cette disposition.

Enfin et surtout, ce qui peut frapper, madame la rapporteure, et monsieur le ministre, c'est peut-être l'absence de fil conducteur. Vous l'avez dit tout à l'heure, ce n'est pas un texte qui vise à réformer ou à revoir l'organisation des systèmes de soins, mais on peut tout de même se poser la question… Cette proposition n'est qu'une tentative, par ailleurs incomplète, d'assemblage de mesures mal articulées entre elles. J'entends bien que vous ne souhaitez pas tout revoir ; néanmoins une bonne articulation serait sans doute nécessaire.

Je prendrai un exemple : examiner l'organisation territoriale du système de santé aurait supposé qu'on s'interroge sur le rôle des ARS. Or non seulement le texte n'en dit rien mais il envoie des signaux contradictoires. J'en citerai deux. D'un côté vous retirez aux ARS la possibilité de s'opposer aux décisions du directeur de l'établissement en matière de recrutement alors que, de l'autre, vous faites reposer sur les ARS la décision de confier ou non au directeur de l'établissement support, le poste de directeur d'un des établissements de GHT qui serait vacant. Vous avouerez qu'il y a de quoi y perdre un peu de son latin, notamment en ce qui concerne le rôle que vous souhaitez vraiment donner aux ARS.

Deuxièmement, une autre question d'organisation devra être mise sur la table. Ainsi, la France et l'Allemagne consacrent chacune 11,5 % de leur produit intérieur brut – PIB – à la santé. Seulement, en Allemagne il y a plus de médecins qu'en France : 4,3 médecins pour 1 000 habitants contre 3,4 ; en outre, les médecins sont mieux payés en Allemagne qu'en France. Il y a plus d'infirmiers en Allemagne qu'en France : 13,6 pour 1 000 habitants contre 10,8 ; sans compter qu'ils sont mieux payés outre-Rhin qu'ici – selon les données de l'Organisation de coopération et de développement économiques, l'OCDE.

Cela signifie donc qu'avec la même proportion de richesse nationale consacrée à la santé, nous avons moins de soignants qui de surcroît sont moins bien rémunérés. Autrement dit, l'argent est gaspillé dans des échelons managériaux dont parfois personne ne comprend plus ce qu'ils font. Par conséquent, notre responsabilité est double : veiller à la bonne utilisation de l'argent public et faire en sorte que les soignants soient rémunérés en fonction du rôle considérable qu'ils remplissent et des responsabilités qu'ils prennent pour nous.

Deuxième sujet totalement absent de la proposition de loi – monsieur le ministre en a dit un mot et je l'en remercie : le lien avec la médecine de ville. Praticiens, soignants, infirmiers, qu'ils exercent en libéral, à l'hôpital mais aussi dans les cliniques, ont formé un « pack » pendant la crise, : tout le monde a avancé ensemble, tout le monde a essayé de se mobiliser et je trouve regrettable que vous envisagiez l'organisation de la médecine par silos, en oubliant toutes les composantes qui, je pense à la médecine de ville, jouent un rôle essentiel pour l'organisation des soins.

Enfin, vous rédigez un texte sans parler d'argent. Certes, vous me direz que la question a été abordée dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale. Je pense au contraire qu'il faut toujours prévoir des moyens correspondant aux objectifs qu'on se fixe. Parler d'argent, c'est s'engager sur les créations de postes et les revalorisations salariales. Or vous n'en dites rien. Nous vous avons pourtant proposé dès l'année dernière, en octobre 2019, un plan hôpital, un plan santé prévoyant des revalorisations et des créations de postes ciblées, et je regrette que le présent texte n'évoque ni le montant des unes ni le nombre des autres.

C'est pour toutes ces raisons, chers collègues, qu'avec les députés du groupe Socialistes et apparenté, nous vous invitons à voter la présente motion de rejet.

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