Intervention de Emmanuelle Anthoine

Séance en hémicycle du jeudi 17 décembre 2020 à 9h00
Restitution de biens culturels à la république du bénin et à la république du sénégal — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaEmmanuelle Anthoine :

Nous voilà arrivés au terme du parcours législatif du texte relatif à la restitution de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal. Ce parcours, qui devait être un long fleuve tranquille, aura finalement connu bien des péripéties, des initiatives malheureuses étant venues perturber l'examen d'un texte qui faisait consensus parmi nous et au sujet duquel la commission mixte paritaire aurait dû parvenir à un accord.

En effet, à peine le Sénat avait-il achevé d'examiner ce projet de loi en première lecture que le Gouvernement annonçait le prêt, en vue de sa restitution, de la couronne décorative surmontant le dais de la dernière reine de Madagascar, Ranavalona III. Ce nouveau fait du prince a suscité le trouble : alors que nous discutions de restitutions bien précises, voilà que l'on nous en annonçait de nouvelles ! C'est faire entorse au principe d'inaliénabilité des collections publiques, auquel le groupe Les Républicains est très attaché et qu'il a cherché à rappeler dans ce texte. Nous souhaitons le voir réaffirmé, de même que les principes d'imprescriptibilité et d'insaisissabilité des collections.

La restitution définitive, je l'ai déjà dit, n'est d'ailleurs que l'une des solutions possibles. Un bien culturel peut en effet voyager, faire l'objet d'un prêt, d'un dépôt, d'une restitution temporaire ou encore être numérisé afin de circuler sous cette forme. Pourquoi s'obstiner à opérer des restitutions, si ce n'est pour obéir au fait du prince ? Un prince qui puise généreusement dans les collections publiques, lesquelles, sous notre République, ne lui appartiennent pourtant pas et sont régies par des principes consacrés par le code du patrimoine – celui-là même dont Emmanuel Macron a voulu se passer au sujet de la rénovation de la cathédrale Notre-Dame de Paris… La commission nationale du patrimoine et de l'architecture a heureusement réussi à faire entendre raison au Président de la République, qui, par une communication habile, s'est du reste attribué tout le mérite de ce renoncement.

Cet exemple illustre la nécessité que des instances composées d'experts opposent au besoin un contre-pouvoir aux velléités parfois trop empressées de l'exécutif. Dans le domaine qui nous occupe, il aurait ainsi été intéressant, comme le proposait le Sénat, de créer un conseil national de réflexion sur la circulation et le retour de biens culturels extra-européens. Non, madame la ministre, une telle institution ne serait pas inutile ! Elle seule pourrait à l'avenir assurer efficacement la défense du principe d'inaliénabilité face aux multiples atteintes de l'exécutif. Elle seule éviterait à votre ministère d'être sous la coupe de la cellule diplomatique de l'Élysée. Par sa compétence scientifique pluridisciplinaire et sa compétence juridique, ce conseil national constituait une proposition équilibrée, qui aurait dû être adoptée sans difficulté. L'article 3, prévoyant sa création, a malheureusement été supprimé dans notre assemblée par la majorité présidentielle ; il fait cruellement défaut à l'heure où nous devons nous prononcer une dernière fois sur ce texte.

En première lecture, le groupe Les Républicains avait soutenu le projet de loi relatif à la restitution de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal. Je le répète, l'annonce du prêt, en vue de sa restitution, de la couronne du dais de la reine malgache, quelques heures après l'adoption du projet de loi par le Sénat, a constitué un nouvel exemple de mépris du travail des parlementaires de fait du prince. Elle est venue semer le trouble dans un débat jusque-là apaisé. Compte tenu de cet incident, il n'est plus possible d'envisager la restitution de ces biens culturels sans réaffirmer le principe d'inaliénabilité.

En l'absence de l'article 3, portant création du conseil national de réflexion sur la circulation et le retour de biens culturels extra-européens, le groupe Les Républicains, dans sa majorité, ne pourra donc que s'abstenir.

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