Intervention de Gisèle Biémouret

Séance en hémicycle du lundi 15 février 2021 à 16h00
Santé au travail — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGisèle Biémouret :

L'organisation de la santé au travail concerne un pan important de la vie des Français ; le sujet est d'autant plus crucial que le tableau de la situation est sombre.

Les risques psychosociaux constituent aujourd'hui le deuxième groupe de pathologies le plus fréquent dans le monde du travail et ont provoqué quelque 20 000 accidents du travail en 2016. Chaque année, on déplore 500 à 600 morts sur le lieu de travail, 30 000 incapacités permanentes et 600 000 arrêts de travail.

La covid-19 a fait franchir un degré supplémentaire à la dégradation de la santé des travailleurs et a démontré toute l'importance du médecin du travail, relais des pouvoirs publics, dans la lutte contre la pandémie dans l'entreprise et interlocuteur des salariés en télétravail.

Une enquête menée en septembre par la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives a fait le constat alarmant de l'augmentation, depuis le premier confinement, de la consommation d'alcool, tabac, cannabis, antidépresseurs et autres médicaments psychotropes, en raison des conditions de travail.

La présente proposition de loi a pour ambition de réorganiser l'offre de services et la gouvernance des services de santé au travail, d'améliorer le suivi médical des salariés et la prévention de la désinsertion professionnelle. En reprenant en grande partie l'accord national interprofessionnel sur la santé au travail signé le 10 décembre 2020, elle propose une remise à plat du système, jugé peu lisible et efficace.

L'objectif est louable mais périlleux car il faut souligner, à la suite d'un certain nombre d'organisations syndicales, que cet accord, s'il a été signé par quasiment tous les partenaires sociaux, est un accord minimal.

Si l'ANI insiste sur la nécessaire prévention des risques primaires, l'accord n'est pas contraignant et ne propose aucune mesure susceptible d'apporter un souffle nouveau sur le sujet, au grand désarroi de nombreux médecins du travail. Ces derniers ne constatent aucune avancée notable pour la prévention des risques professionnels, et craignent même une régression sans précédent de la protection des salariés, la nouvelle organisation du suivi des salariés renvoyant dos à dos médecins du travail et généralistes.

Le Conseil d'État, dans son avis, a lui-même émis un certain nombre de réserves et a appelé à la vigilance sur certaines des mesures proposées, comme la délégation de visites médicales au médecin de ville. Il alerte également sur les risques pour le respect de la vie privée du salarié de l'ouverture du dossier médical partagé au médecin du travail.

Nos travaux en commission des affaires sociales la semaine dernière n'ont pas permis de lever bon nombre de nos interrogations. Je citerai tout d'abord l'article 3, qui crée le passeport prévention. Celui-ci inquiète les syndicats signataires de l'accord, qui y voient un sauf-conduit permettant aux employeurs de se dégager de leurs responsabilités en matière de sécurité, au motif que le travailleur a été informé.

Quant aux articles 21 à 24, ils tentent maladroitement de pallier la pénurie de médecins du travail, dont le nombre a reculé de 30 % en dix ans. Il est difficile de croire que les sparadraps proposés suffiront à enrayer durablement la tendance.

Enfin, sur les trente articles du texte, rares sont ceux qui permettent des avancées concrètes pour les travailleurs. À l'exception des articles 18 et 28, la plupart ne portent que sur la réorganisation de la gouvernance de la médecine du travail, en prévoyant ou en fusionnant des dispositifs sans grand intérêt ou dépourvus de portée normative.

Le texte n'évoque pas une seule fois l'inspection du travail ; il n'aborde ni la question de la responsabilité des employeurs en cas d'accident du travail ou de suicide, ni celles des risques psychosociaux, de la pénibilité, de la qualité de vie au travail ou de la santé des travailleurs en intercontrat ou en recherche d'emploi.

Le texte ne permet pas non plus aux salariés de se protéger au cas où ils s'estiment mis en danger, il n'aborde pas la question des moyens des différents acteurs de la prévention et ne prévoit aucune campagne de prévention pour le grand public concernant la sécurité au travail.

Outre que la question des accidents du travail serait en elle-même de nature à justifier une action forte, ce texte brille par ses lacunes.

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