Intervention de Jean-Baptiste Djebbari

Séance en hémicycle du mercredi 3 mars 2021 à 15h00
Mutations du secteur aérien face aux défis économique et écologique

Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué chargé des transports :

Vous l'avez dit, mesdames et messieurs les députés : depuis un an, le secteur aérien et aéronautique fait face à une crise profonde, sans précédent, au caractère durable. Les chiffres parlent d'eux-mêmes. Durant le premier confinement, qui correspondait au pic de la crise, le trafic a chuté de 95 %. On dénombrait dix vols Air France par jour contre mille habituellement. Dix-sept aéroports français, dont Orly, ont dû fermer. Dans l'industrie aéronautique, des chaînes de production entières ont été mises en difficulté. La mécanique est implacable : si les passagers ne prennent pas l'avion, les compagnies ne renouvellent pas leurs flottes et les constructeurs doivent adapter leurs cadences de production ; vous l'avez souligné, cette situation a de graves répercussions sur les chaînes de sous-traitance, en particulier sur les équipementiers des PME et des ETI, partout dans le territoire.

Or le secteur aéronautique est stratégique, à plus d'un titre. Il est stratégique pour notre économie car il représente plus d'un million d'emplois directs et indirects et constitue notre premier secteur d'exportations. Il est stratégique pour notre industrie, donc pour notre souveraineté. Il est stratégique pour notre mobilité, donc pour notre liberté. Il est stratégique aussi pour la cohésion des territoires, au sein de l'hexagone et avec les outre-mer. Pour toutes ces raisons, nous l'avons massivement soutenu et nous continuerons de le soutenir. Le retour à la normale n'étant pas prévu avant quelques années, je serai clair : les dispositifs d'urgence seront adaptés autant qu'il le faudra. Les pertes ont été colossales. Les aides sont inédites et à la hauteur de l'enjeu.

Le secteur a bien évidemment bénéficié des aides de droit commun, en particulier du dispositif de chômage partiel, de l'activité partielle de longue durée, des prêts garantis par l'État et du fonds de solidarité. Le secteur s'en est pleinement emparé : en avril dernier, 70 à 90 % des personnels navigants étaient au chômage partiel, tout comme près de 35 % des effectifs de l'industrie aéronautique. Au total, le dispositif a concerné plus de 560 sites et 110 000 salariés.

Le secteur a aussi bénéficié d'aides spécifiques. Nous avons reporté un certain nombre de taxes, en faveur du pavillon français, et nous avons avancé 550 millions d'euros aux exploitants d'aéroport pour les aider à prendre en charge leurs dépenses de sûreté et de sécurité. Par ailleurs, nous avons consenti un soutien de 7 milliards à Air France avec des contreparties fortes : l'accélération du renouvellement de la flotte, pour qu'elle soit plus moderne et plus efficace sur le plan environnemental ; la restructuration du réseau domestique ; une meilleure articulation entre l'avion et le train, la priorité étant donnée au train pour les trajets de moins de deux heures trente.

On parle souvent d'Air France, mais nous avons aussi accompagné toutes les compagnies aériennes françaises qui en ont fait la demande – j'y reviendrai sans doute. Surtout, le secteur a bénéficié d'un plan de soutien d'une ampleur inédite, de 15 milliards, construit autour de trois priorités. La première est de protéger les salariés, tel est le sens du dispositif d'activité partielle que j'ai évoqué. La deuxième est d'investir dans nos PME et dans nos ETI, ce qui est essentiel pour nous prémunir de stratégies d'acquisition hostiles. Permettez-moi de préciser, à ce propos, que deux tiers des crédits du fonds de modernisation et diversification de la filière aéronautique ont d'ores et déjà été engagés et que les PME, notamment d'Occitanie, en ont été les premières bénéficiaires. Les 244 projets lauréats représentent près de 431 millions d'investissements. La troisième priorité, soulignée par nombre d'entre vous, est d'accélérer la transition énergétique du transport aérien. Car l'ambition de la relance n'est pas seulement de redresser notre économie, elle est de préparer l'avenir du pays. Le monde que nous voulons n'est pas un monde sans avions, mais un monde neutre en émissions de gaz à effet de serre. Or le meilleur moyen de sortir l'industrie aéronautique de la crise n'est pas de la mettre à bas, comme le voudraient certains esprits malthusiens, mais d'investir, d'innover et d'inventer la future génération d'avions sobres en carbone. Nous en sommes capables ! Ces avions permettront de réduire les émissions non seulement en France, mais dans l'ensemble de la planète, la flotte mondiale étant pour une bonne moitié équipée par Airbus et par Safran.

Grâce au plan de relance, nous investissons 1,6 milliard sur deux ans en R& D. En outre, la stratégie hydrogène, dotée d'une enveloppe de 7 milliards, nous permet d'investir massivement pour développer la production d'hydrogène décarbonée. Nous avons lancé une filière française de biocarburants l'année dernière à Toulouse : elle sera opérationnelle à compter du mois prochain. Notre objectif est simple : incorporer le plus possible de biocarburants dans la gamme de moteurs existants. Vous l'avez souligné, les possibilités sont considérables.

Cette transition énergétique, nous en sommes capables. Toute la filière est mobilisée, des constructeurs aux exploitants aéroportuaires en passant par les compagnies. Air France s'est engagée à réduire de 50 % les émissions de gaz à effet de serre au passager par kilomètre d'ici à 2030. Nous irons encore plus loin avec le projet de loi issu des propositions de la convention citoyenne pour le climat, qui vise aussi à accroître l'intermodalité. Je ne vous l'apprends pas : la réalité de nos territoires est telle qu'ils ont besoin, pour être desservis correctement, de modes de transport multiples et complémentaires.

C'est pourquoi nous renforcerons le ferroviaire. La SNCF lancera prochainement, en partenariat avec des compagnies aériennes, des offres combinées train et avion au départ de dix-huit villes, sur le modèle de ce qui avait été engagé en décembre avec le trajet Bordeaux-Orly via Massy. Nous allons également aider les régions à trouver les meilleures synergies entre leurs aéroports régionaux, souvent nombreux et au modèle économique fragile.

Agir pour la complémentarité des modes de transport, c'est aussi sécuriser les lignes d'aménagement du territoire, essentielles car elles participent au désenclavement des villes moyennes. Agir pour la complémentarité des modes de transport, c'est privilégier la connectivité des aéroports par rapport à des projets qui ont perdu leur pertinence au regard du contexte économique, social et environnemental. L'arrêt des projets de Notre-Dame-des-Landes et du terminal 4 de Roissy est un choix politique de notre gouvernement. Il est la preuve que l'écologie n'est pas le monopole d'un parti.

Moins d'émissions de gaz à effet de serre, plus d'intermodalité, plus de régulation politique : voilà l'avion de demain. C'est au niveau européen que le dumping social et fiscal a prospéré au cours des quinze dernières années ; c'est donc principalement au niveau européen qu'il faut le combattre. Nous devons en finir avec les zones grises du droit européen, dont profitent certaines compagnies low cost depuis des années. Un billet à 5 euros, ça n'existe pas ; quand ça existe, c'est que quelqu'un paie le différentiel de prix. Or ce sont souvent les collectivités, mises en concurrence par les opérateurs. Nous sommes d'ores et déjà huit pays européens à défendre une meilleure régulation. Celle-ci est non seulement possible, mais indispensable. Nous y travaillons au niveau français et au niveau européen. La présidence française de l'Union européenne sera, j'en suis convaincu, l'occasion d'obtenir des avancées décisives.

En parallèle, mais cela participe du même combat, nous poursuivons nos échanges avec la Commission européenne pour le groupe Air France-KLM. Ces échanges se poursuivront aussi longtemps que nécessaire. Air France est une compagnie aérienne systémique, essentielle pour l'emploi, la connectivité de nos territoires et le rayonnement de la France à l'étranger. Je serai donc très attentif à ce que l'accord final avec la Commission soit équitable et je veillerai à ce qu'il ne fragilise ni le plan de réorganisation d'Air France, ni l'emploi aérien en France.

Certains prétendent que la seule réponse possible au défi écologique serait de réduire drastiquement nos déplacements, de revenir en arrière et de créer une nouvelle forme d'assignation à résidence. Cela diminuerait assurément les émissions de gaz à effet de serre, mais cela enclaverait encore davantage nos territoires, nous isolerait, nous enfermerait. Ce serait finalement faire le choix de la décroissance, de la restriction de nos libertés, d'un déclassement qui frapperait d'abord les classes moyennes, et de l'impuissance industrielle de notre pays. Tel n'est pas le projet pour lequel nous avons été élus. Telle n'est pas la société que nous voulons.

Antoine de Saint-Exupéry, aviateur et humaniste, disait qu'« être homme, c'est être responsable. [… ] C'est sentir, en posant sa pierre, que l'on contribue à bâtir le monde. » Le bâtir, plutôt que le détruire ; permettre l'avenir, plutôt que l'empêcher ; inventer, plutôt qu'interdire ; concilier l'exercice de nos libertés et la préservation de notre environnement. Voilà le sens de notre action.

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