Intervention de Éric Woerth

Séance en hémicycle du mardi 18 juillet 2017 à 15h00
Règlement du budget et approbation des comptes de l'année 2016 — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Woerth, président de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, nous allons aujourd'hui examiner l'exercice budgétaire 2016 – on a l'impression de parler d'une époque lointaine alors qu'elle est en réalité très récente. Cette discussion se fait, comme l'a dit le rapporteur général, à la lumière d'un récent rapport de la Cour des comptes qui porte un jugement particulièrement sévère, tant sur la situation des finances publiques que sur les pratiques budgétaires du précédent gouvernement. Face à des mots très violents de la Cour des comptes – « insincérité », « exercice manqué » –, j'ai souhaité que la commission des finances entende la semaine dernière les anciens ministres Michel Sapin et Christian Eckert sur l'exécution 2016. Nous leur avons, en somme, conféré un droit d'explication, de réponse aux questions légitimes que se posait la représentation nationale.

Néanmoins, la loi de règlement des comptes 2016 ne doit pas être un simple règlement de comptes entre le précédent et le nouveau gouvernement, d'autant plus que l'un n'est pas toujours totalement étranger aux actions de l'autre. La Cour des comptes estime que l'exercice 2016 est une « occasion manquée » et confirme l'urgence de mener à bien des réformes structurelles. Quelles leçons peut-on tirer de cet exercice ?

D'abord, une réduction du déficit extrêmement faible. De fait, le déficit diminue en France depuis 2012 à la vitesse d'un escargot, bien moins rapidement que la plupart des pays de l'Union européenne. Une lanterne rouge peut en quelque sorte être décernée à la France, au même titre qu'un faible nombre de pays, parmi lesquels le Portugal. Nous faisons en effet l'objet d'une procédure de déficit excessif depuis de nombreuses années. Les derniers chiffres de l'INSEE montrent que la dette publique atteint des montants considérables : elle représente 98,9 % du PIB, soit un niveau très proche des 100 %. Cela représente, vous le savez, 30 points de plus que l'Allemagne et 7 points de plus que la zone euro.

Si l'on considère l'évolution entre 2015 et 2016, on constate, d'abord, une amélioration du solde de 0,2 point. C'est un sujet important parce que d'abord c'est très peu, et en plus c'est très faux ! Non seulement le montant des recettes a été mal calculé mais, surtout, le montant des dépenses a été très nettement sous-estimé ou, en tout cas, a bénéficié d'une sorte d'externalité positive. La charge de la dette, par exemple, a bénéficié d'une économie massive de 3 milliards d'euros par rapport aux prévisions – d'une certaine manière, qu'un gouvernement gouverne ou ne gouverne pas, il engrange les bénéfices de la baisse des taux d'intérêt, comme cela a été le cas sous le précédent quinquennat. Les reports de charges sont considérables. L'amélioration conjoncturelle des comptes spéciaux de 3 milliards d'euros l'est aussi. La baisse des prélèvements sur recettes, notamment au profit de l'Union européenne, est également très importante.

La vérité est également que les dépenses fiscales continuent leur progression inexorable – elles ont augmenté de 2,12 milliards d'euros en 2016. Plus grave, la hausse prévisible des taux d'intérêt est une menace constante pour la situation de nos finances publiques et pèsera probablement extrêmement lourd sur leurs trajectoires à venir. Nous ne pouvons pas être drogués, pour ainsi dire, aux taux bas, comme c'était le cas lors de l'exercice 2016.

Il faut maintenant intensifier l'effort en dépenses : les sous-budgétisations, dont on a parlé pour 2017, valent aussi pour 2016. C'est une pratique inhérente à la prévision budgétaire. D'ailleurs, les gouvernements précédents y ont recouru ; on peut y inclure les gouvernements de droite – je pense par exemple à ces fameuses OPEX, les opérations extérieures, qui étaient sous-budgétisées, même si elles ont été rééquilibrées au fil du temps. Les sous-budgétisations pour 2017 sont estimées à 4,2 milliards d'euros, auxquels s'ajoutent 3 milliards au titre de l'exercice 2016. Nous avons constamment alerté le Gouvernement sur cette dérive dangereuse des comptes publics et sur la méthode « insincère », pour reprendre le terme de la Cour des comptes, qui a été utilisée pour présenter le budget – Gilles Carrez, ici présent, l'a souvent fait au nom de la commission des finances. Plus grave, la France a communiqué à la Commission européenne, en avril 2017, un programme de stabilité marquée du sceau de l'insincérité : elle savait en effet, à cette date, qu'il ne correspondait pas à la réalité. Chacun le savait, l'opposition de l'époque l'a dénoncé, mais rien n'y a fait.

On peut aussi regretter l'utilisation de la réserve de précaution et des sur-gels – les gels, les sur-gels pourraient être un bienfait en ces temps de canicule, mais tel n'est pas le cas en matière budgétaire. Pratiquer la régulation budgétaire de cette manière conduit à piocher dans des dépenses dont on sait au départ qu'elles ne pourront pas être assumées. Ce n'est évidemment pas fait pour cela. Les réserves de précaution ont un but extrêmement précis dans le cadre de la LOLF, et il faut rompre avec ces pratiques. D'ailleurs, l'exemple du décret d'avance, que nous aurons à examiner ultérieurement en commission des finances, nous montre que l'exercice 2016, comme l'exercice 2017, nécessitent d'être corrigés. Lors de leur audition en commission des finances, les deux anciens ministres Michel Sapin et Christian Eckert ont déclaré que cette régulation en cours d'année, à hauteur de 4 milliards d'euros, était, au fond, quelque chose d'habituel. Habituel, peut-être, mais est-ce acceptable ? C'est une question que l'on peut se poser et que l'on doit même se poser en début de législature. De fait, ce mode de gouvernance banalise les mauvaises prévisions, les prévisions insincères, et affaiblit le rôle de notre assemblée dans le cadre de l'examen du PLF.

Ce décret d'avance et les décrets d'annulation, autrement dit ce décret global s'inscrit dans la droite ligne des dérapages constatés et permet d'y répondre de manière extrêmement ponctuelle en concentrant les efforts sur les crédits annulés au sein des ministères régaliens, qui représentent près de 47 % du total des crédits annulés. Ce matin, nous recevions le directeur général de la police nationale et celui de la gendarmerie nationale pour mettre en lumière l'impact de ces mesures sur les forces de sécurité, alors même que le Président de la République présente la lutte contre le terrorisme et l'insécurité, ainsi que la présence de la France sur les théâtres internationaux, dans le cadre de son action diplomatique, comme des priorités. La réalité est que le décret d'avance de 2017 représente 47 % des crédits annulés.

La seule solution pour notre pays est d'engager les réformes structurelles, de vraies réformes de dépenses publiques. On ne pourra pas maîtriser les dépenses publiques sans réellement revenir à une révision de nos politiques publiques, notamment s'agissant des transferts sociaux, qui représentent – il est impossible de l'ignorer – plus de la moitié de la dépense publique. Le précédent gouvernement avait annoncé 50 milliards d'euros d'économies. En réalité, la Cour des comptes indique que ces économies se sont limitées à près de 27 milliards : les engagements n'ont pas été respectés.

On ne peut pas continuer ainsi, notamment vis-à-vis de nos partenaires européens, qui attendent évidemment une France forte, c'est-à-dire, en premier lieu, une France crédible sur le plan des dépenses publiques comme sur celui du respect du solde qui est annoncé. Je rappelle qu'en 2016, la masse salariale et les effectifs ont augmenté, ce qui était tout à fait nouveau, après la forte réduction engagée sous la présidence de Nicolas Sarkozy et le gouvernement de François Fillon, et ce, pendant une période assez longue. On note ainsi, entre 2015 et 2016, une hausse de 15 623 effectifs. Ce n'est évidemment pas comme cela que l'on peut réformer les politiques publiques.

Cette loi de règlement, comme l'a dit le rapporteur général, doit être rehaussée. On doit repenser la procédure budgétaire. À cette fin, je vais proposer à la commission des finances de créer un groupe de travail qui formulera des propositions pour que l'on puisse mieux travailler tant sur l'exécution budgétaire que, par la suite, s'agissant des différents types de discussions que nous devrons avoir dans les commissions comme en séance publique. Il faut repenser la procédure budgétaire pour gagner en transparence et, peut-être, apporter un surcroît d'efficacité au débat budgétaire.

Insincérité, report de charges, manque de visibilité, inutilisation des externalités positives pour baisser le déficit et ralentir la dette, incapacité à respecter nos engagements, autant de faits qui, malheureusement, résument assez bien l'exercice 2016. Pour sa part, l'exercice 2017 n'est pas vraiment un modèle de transparence. En effet, nous aurions dû discuter ici même d'un projet de loi de finances rectificative ; nous l'avons dit à plusieurs reprises, le Gouvernement ne l'a pas souhaité, et je pense qu'il a bien tort. Je forme en tout cas le voeu que ce ne soit pas le cas pour 2018, et que nous puissions avoir une discussion budgétaire sincère et efficace.

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