Intervention de éric Dupond-Moretti

Séance en hémicycle du lundi 15 mars 2021 à 16h00
Protection des jeunes mineurs contre les crimes sexuels — Présentation

éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice :

Notre tâche est immense. Nous devons changer la loi pour, enfin, protéger complètement et absolument nos enfants. Je le sais, vous le savez, de très nombreuses victimes nous regardent et comptent sur nous.

Notre responsabilité commune est double : nous devons proposer des évolutions cohérentes et coordonnées pour protéger toutes les victimes mineures, mais également faire respecter les grands principes de l'État de droit. Car si elle est légitime, l'émotion qui entoure les débats, touchant à l'intimité de chacun, ne peut pas et ne doit pas être notre seule guide.

La loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes a déjà permis des avancées majeures, mais il nous faut aller plus loin encore pour que les choses soient désormais claires pour toutes et tous : on ne touche pas aux enfants.

La commission des lois de votre assemblée a voté la semaine dernière un texte comportant des avancées historiques. Il nous faut toutefois les conforter et les parfaire ensemble. Nos débats seront riches puisque près de 300 amendements ont été déposés, démontrant votre engagement à améliorer la protection des mineurs victimes de violences sexuelles.

Comme je l'ai annoncé en réunion de commission, les travaux normatifs se sont intensément poursuivis afin d'affiner les propositions qui vous sont soumises aujourd'hui. Nous devons désormais continuer nos échanges pour répondre à l'impératif de protection des mineurs, sans nous laisser emporter par la passion ou l'émotion. Inspirons-nous des professionnels de la protection de l'enfance qui, quotidiennement, s'engagent aux côtés des victimes : ils écoutent, conseillent, soignent, signalent, défendent, jugent, préviennent. En faisant cela, ils absorbent les émotions des autres pour rendre enfin visible l'invisible et exprimer l'indicible. Ce matin encore, avec Adrien Taquet et plusieurs d'entre vous, nous avons rencontré une association qui soutient les acteurs de terrain, ceux-ci ne devant jamais être laissés seuls face à l'innommable.

Il nous faut désormais être très concrets et répondre à la question suivante : en quoi la présente proposition de loi garantira-t-elle la protection des enfants ? Tout d'abord, aucun adulte ne pourra se prévaloir du consentement d'un mineur de moins de 15 ans et toute personne majeure devra savoir qu'elle commet un crime puni de vingt ans de réclusion ou un délit puni de dix ans lorsqu'elle s'en prend à un enfant de cet âge. Cette avancée majeure, unanimement soutenue, devra être précisée au cours des débats pour en parfaire les dispositions.

Les attentes fortes de nos concitoyens nous imposent, en effet, d'être extrêmement rigoureux dans la conception de ce dispositif pénal. Nos principes constitutionnels, notamment celui de la proportionnalité de la peine, nécessitent l'introduction d'un écart d'âge entre le majeur et le mineur dans les nouvelles définitions du viol et de l'agression sexuelle. Il convient également de trouver un équilibre entre la protection des plus fragiles et la préservation des amours adolescentes, le but étant de garantir la protection des mineurs sans pour autant nous ériger en censeurs de leur vie sexuelle. Mais, bien évidemment, l'instauration d'un écart d'âge n'a pas et ne saurait avoir pour effet de protéger des relations sexuelles non consenties.

Nous proposons d'instaurer une loi pénale plus forte qui, en vertu des principes constitutionnels, ne s'appliquera que pour l'avenir. Il nous faut donc maintenir un niveau très élevé de protection pour toutes les victimes de faits commis avant l'entrée en vigueur de cette future loi et c'est pourquoi les dispositions issues de la loi de 2018 continueront à s'appliquer.

Les qualifications de viol et d'agression sexuelle avec violence, contrainte, menace ou surprise sont évidemment maintenues ; de même, le délit d'atteinte sexuelle ne sera pas supprimé afin notamment de sanctionner des faits qui n'entreraient pas dans le cadre des nouvelles définitions, mais aussi afin de continuer à réprimer les faits commis avant la future réforme. Il n'est pas envisageable, en effet, de laisser sur le bord de la route les victimes passées des abus sexuels commis par des majeurs et d'adopter une loi qui aurait pour conséquence d'amnistier les auteurs de ces actes. Je pense en particulier à l'adolescente immature de 14 ans, traumatisée après s'être laissée influencer par les amis de son grand frère qui souhaitaient obtenir une relation sexuelle alors qu'ils étaient des jeunes majeurs de 19 ans.

Par ailleurs, que prévoit la proposition de loi en matière d'inceste ? C'est simple : l'inceste est un crime qu'aucun mineur ne pourra subir sans qu'une réponse pénale forte et claire y soit apportée. Nous adressons ce message aux victimes, à celles et ceux qui ont eu le courage de rompre le silence, mais aussi aux auteurs des faits. Partout et toujours, les pouvoirs publics seront là pour réprimer de telles atrocités. Grâce à cette proposition de loi, le viol incestueux et l'agression sexuelle incestueuse seront désormais nommés et définis spécifiquement dans le code pénal. Tous les ascendants seront visés ; oncles, tantes, neveux, nièces, frères et soeurs, conjoints de ces derniers, beaux-pères ou belles-mères le seront également s'ils exercent une autorité de fait ou de droit sur le mineur.

Ensuite, quelle réponse la proposition de loi apporte-t-elle s'agissant de la protection des mineurs prostitués ? Cette question a émergé lors de nos débats en commission et nous avons mis à profit la semaine de travaux normatifs pour l'intégrer dans le texte. Une avancée décisive sera ainsi proposée par un amendement de la majorité, prévoyant que tout majeur de 18 ans qui recoure à la prostitution d'un mineur de moins de 15 ans commet un viol puni de vingt ans.

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