Intervention de Danièle Obono

Séance en hémicycle du lundi 27 novembre 2017 à 16h00
Création de l'établissement public paris la défense — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDanièle Obono :

Il faut encourager certaines associations d'envergure internationale menant des campagnes contre les opérations d'optimisation fiscale. Nous tenons à saluer celle menée depuis plusieurs semaines par Attac – association pour la taxation des transactions financières et pour l'action citoyenne – , mettant en cause la multinationale Apple qui ne paie pas ses impôts comme elle le devrait.

Il faut, selon nous, définanciariser l'économie réelle et mettre la finance au service de l'intérêt général. À cette fin, nous avons formulé des propositions qui devraient être débattues à l'Assemblée nationale, car elles permettraient de mettre en oeuvre une véritable stratégie d'État en matière financière.

La finance a mis à terre l'économie en 2008. Censée être « l'adversaire » du président sortant, elle ne s'est jamais aussi bien portée : notre pays détient le record d'Europe en matière de versement de dividendes ! De nouvelles bulles se forment, portant en elles la menace d'une nouvelle déflagration encore plus terrible que la précédente.

Notre programme comporte plusieurs mesures telles que la séparation des banques d'affaires et de détail ; le contrôle des mouvements de capitaux ; l'instauration d'une taxe réelle sur les transactions financières ; l'interdiction des ventes de gré à gré et de la titrisation ; le plafonnement des effets de levier et des rendements actionnariaux exorbitants ; l'identification et l'interdiction des produits dérivés toxiques et inutiles au financement ou à la couverture des flux économiques réels ; l'engagement de procédures de recouvrement des 2,2 milliards d'euros d'argent public accordés sans preuve à la Société générale dans le cadre du règlement judiciaire de l'affaire Kerviel ainsi que l'évaluation des actes comparables et l'engagement de poursuites visant les coupables de ces abus. Ainsi, en matière d'encadrement de la finance, il existe bien d'autres mesures que celles visant à attirer encore davantage les fauteurs de trouble !

Il importe, par ailleurs, de placer la finance au service de l'économie réelle. Il nous semble, et de nombreux constats le confirment, que sa marche actuelle étrangle chaque jour les PME et les ménages au lieu de servir l'économie réelle. Les actionnaires exigent des taux de rendement intenables, sinon au détriment des droits sociaux et de l'appareil de production, et imposent la tyrannie du temps court sur le temps long. Il faut donc reprendre le pouvoir.

Sur ce point, nous avons également formulé des propositions, telles que la suppression de la cotation continue des entreprises en Bourse ; la modulation des droits de vote des actionnaires selon leur durée d'engagement dans l'entreprise, les conditionnant à une durée de présence ; la modulation de l'impôt sur les sociétés selon l'usage qu'elles font de leurs bénéfices afin d'encourager l'investissement en France, en appliquant un taux réduit aux bénéfices réinvestis en France et un taux plein à ceux distribués aux actionnaires ; l'augmentation de la mise en réserve légale obligeant l'entreprise à conserver en partie son résultat et l'empêchant de le distribuer entièrement sous forme de dividendes au-delà de 5 % du montant des bénéfices ; l'interdiction de distribuer un montant de dividendes supérieur au bénéfice de l'entreprise, donc d'emprunter à cette fin.

Ainsi, en matière de stratégie d'attractivité, il existe bien d'autres mesures que celles visant à favoriser l'optimisation fiscale et la mise en concurrence des capitales européennes. Je le répète, notre pays pourrait être à l'avant-garde de la lutte internationale contre des pratiques qui nuisent aux peuples et à l'économie réelle.

Telle n'est malheureusement pas la voie dans laquelle l'actuelle majorité – s'inscrivant ainsi dans la continuité de la précédente – a choisi de s'engager. En lui-même, le quartier de La Défense participe d'un seul projet : servir les intérêts des grands groupes et des puissants. Tel est le principal problème qui explique notre opposition au projet de loi.

Le second réside dans le fait que celui-ci, complété par les ajouts votés au Sénat, démantèle la capacité d'intervention de l'État. Vous prévoyez, monsieur le ministre, de confier l'entière responsabilité du développement du quartier d'affaires aux collectivités territoriales, notamment au département des Hauts-de-Seine, qui sera majoritaire au sein du conseil d'administration de l'établissement public créé. La présence de l'État y sera limitée au préfet de région. Au nom d'une idéologie libérale de mise en concurrence des territoires qui nous semble destructrice, vous niez ainsi le rôle stratégique de l'État dans l'aménagement du territoire.

D'ailleurs, le Sénat a voté de nombreux amendements procédant de la même logique, qui vont à l'encontre des intérêts de l'État, donc de la collectivité nationale. L'article 2, par exemple, vise exclusivement à renforcer le rôle des collectivités territoriales concernées par les projets d'aménagement. L'ordonnance prévoit, en effet, que l'établissement public que vous envisagez de créer aura compétence sur le périmètre géographique de La Défense étendu aux communes de La Garenne-Colombes et de Nanterre.

Cette logique de mise en concurrence des territoires, qui vous amène à confier au seul département des Hauts-de-Seine l'avenir du premier quartier d'affaires de France, prive l'État de la place centrale qu'il doit occuper. Celui-ci doit être le garant de l'intérêt général, qui est supérieur à l'intérêt local d'un unique département, et doit, à ce titre, assumer pleinement son rôle d'aménageur du territoire. L'État doit recouvrer ses moyens d'action humains et financiers afin de jouer son rôle de stratège.

J'évoquerai également l'article 5 du projet de loi initial, dont nous avons demandé l'abrogation en commission des lois et dont nous nous félicitons qu'il ait été supprimé. Il est néanmoins révélateur du principe général qui sous-tend le texte. Il visait à supprimer la possibilité ménagée au représentant de l'État siégeant au conseil d'administration de l'établissement public d'opposer un droit de veto en cas d'atteinte aux intérêts nationaux – en particulier aux intérêts patrimoniaux de l'État – ou au bon fonctionnement des services publics. Cet article voté par le Sénat avait pour seule finalité de déposséder l'État de son rôle d'aménagement du territoire ainsi que de celui d'arbitre en dernier ressort si les grands intérêts nationaux sont en jeu. Il s'agissait donc, non seulement de nier, mais d'effacer le rôle de l'État en tant que garant de l'égalité entre les territoires et de l'intérêt général.

Quant à l'article 7, il prévoit le transfert en pleine propriété des parcs de stationnement relevant du patrimoine de l'EPADESA. Il procède donc à un transfert gratuit des parcs de stationnements de l'État au département des Hauts-de-Seine, majoritaire dans le nouveau conseil d'administration. Quelle est la justification d'un tel cadeau à ce département ?

Sur ce point, nous rejoignons le Gouvernement. Il ressort des échanges au Sénat que ce dernier considère qu'il n'existe pas de motif d'intérêt général justifiant un transfert à titre gratuit des espaces de stationnement. Nous espérons que le Gouvernement saura faire preuve d'un même souci pour les deniers publics et l'intérêt général, en renonçant à développer tel qu'il l'entend actuellement ce quartier de la finance et de l'affairisme.

Nous ne sommes pas les seuls à questionner l'entreprise générale que propose cette ordonnance. Un article du Monde, publié le 14 novembre et intitulé « La Défense : la Cour des comptes fustige le retrait de l'État », évoque un rapport provisoire qui n'a pas été rendu public. Selon le journal, les magistrats financiers dénoncent les « conditions très discutables » du transfert de la gouvernance de cet établissement de l'État au département des Hauts-de-Seine. Ils évoquent des comptes non sincères et ajoutent que le futur établissement serait « fragile sur le plan juridique ». Dans ce rapport provisoire, la Cour des comptes estime que l'État se départit de biens de grande valeur, sans aucune contrepartie.

Dans une période où l'on demande à tous de faire de gros efforts pour réduire les déficits, cette circonstance nous a interpellés. L'ordonnance acte que La Défense verserait la somme de 150 millions d'euros à l'État si elle parvenait à céder ses biens à des entreprises privées. Cette valeur, ainsi que le relève la Cour des comptes, est bien éloignée de la valeur réelle des actifs qui seront cédés.

Dans un communiqué du 15 novembre, nous avons demandé au président de l'Assemblée nationale de renoncer, dans ces conditions, à inscrire ce texte à l'ordre du jour et demandé à avoir accès à l'intégralité du rapport, dans sa version provisoire ou définitive. Il nous semble pour le moins problématique qu'alors qu'une instance aussi importante que la Cour des comptes lance l'alerte, la représentation nationale ne dispose pas de tous les éléments pour prendre sa décision, en cohérence avec l'intérêt général.

Nous nous opposons donc à la création d'un pôle territorial comme Paris La Défense, dont l'existence même prouverait que le secteur financier et les multinationales éludant l'impôt sont au coeur du projet économique national. Nous critiquons la logique générale de construction de ce quartier et la logique d'intervention de l'État sur les questions financières. Nous dénonçons aussi la logique de rupture de la cohésion nationale, qui verrait certaines collectivités territoriales s'approprier la compétence de l'État en tant que stratège et chargé de l'aménagement du territoire dans l'intérêt général.

Il est finalement cohérent que nous examinions cette ordonnance juste après les débats sur la loi de finances. Après que votre majorité a entériné le verrou de Bercy, refusé de condamner les entreprises qui seraient liées au financement d'actes de terrorisme, remis en cause le code du travail, protecteur des salariés, elle donne des terrains à de grandes entreprises pour les attirer et favoriser la finance. La majorité souhaite que l'État cède gratis des terrains à des entreprises étrangères, qui ne donneront pas un centime d'impôt en retour !

En outre, des communes déjà nanties auront la mainmise sur l'établissement public. Comme l'expliquait hier un article du Parisien, « pour obtenir le droit de vote au conseil d'administration de Paris La Défense, donc prendre part aux décisions, les collectivités devront passer à la caisse. ''Qui paie décide'', estime le président du conseil départemental, Patrick Devedjian (LR), qui a réclamé la majorité des sièges (9 sur 17). Le maire de Nanterre, Patrick Jarry (Gauche citoyenne), n'aura lui qu'une voix, alors que le futur établissement présidera aux destinées d'un tiers de son territoire. »

Par cette ordonnance, vous permettez la mise en concurrence des territoires et un accroissement des inégalités entre eux. Ainsi, en perdant son pouvoir de stratège, l'État perd son pouvoir d'effacer les inégalités, de les corriger, de les nuancer.

Pour l'ensemble de ces raisons, le groupe La France insoumise demande le rejet préalable de ce projet de loi.

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