Intervention de Éric Woerth

Séance en hémicycle du mardi 23 mars 2021 à 15h00
Dépôt du rapport annuel de la cour des comptes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Woerth, président de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire :

Comme chaque année, nous nous retrouvons à l'occasion de la présentation du rapport public annuel de la Cour des comptes, ce qui permet de rappeler l'importance du travail d'évaluation des politiques publiques conduit par celle-ci, ainsi que la force de ses liens – vous l'avez rappelé, monsieur le Premier président – avec notre mission d'évaluation et de contrôle, et plus largement avec le Parlement en tant qu'il évalue ces mêmes politiques. Cette articulation va bien au-delà du rapport annuel. En 2020, malgré les difficultés suscitées par la pandémie, la Cour des comptes a remis les cinq rapports demandés par la commission des finances ; depuis trois ans, elle participe au printemps de l'évaluation, nombre de ses magistrats étant notamment auditionnés par les rapporteurs spéciaux, ce qui éclaire et enrichit leur travail, en complément des notes d'exécution budgétaire. Je me félicite de ces relations efficaces et régulières. Ce ne sont pas seulement là de belles paroles prononcées à la tribune, mais l'expression de la réalité des rapports que la commission des finances et l'Assemblée en général entretiennent avec la Cour.

Cette année, le rapport déroge à sa présentation traditionnelle : il ne consacre pas sa première partie – laquelle donne souvent lieu à force débats – au bilan des finances publiques en 2020. Vous l'avez dit : vous réservez celui-ci en vue du rapport sur la stratégie d'évolution des finances publiques que le Premier ministre vous a demandé pour début avril. Nous serons particulièrement attentifs à cette étape importante, afin de débattre de cette sortie de crise. En raison du caractère exceptionnel de la période, cette première partie est entièrement vouée à des thèmes d'étude en rapport direct avec la crise que nous traversons.

L'ensemble des développements et conclusions du rapport public rejoignent nos préoccupations. J'en profite pour rappeler que j'ai demandé à la Cour des comptes, en application de l'article 58, alinéa 2 de la LOLF, la loi organique relative aux lois de finances, un rapport sur l'évolution des dépenses publiques pendant la crise sanitaire et le bilan opérationnel de leur utilisation. La Cour devrait nous apporter en juillet cet éclairage transversal tout à fait précieux.

Une autre des demandes que nous avons formulées au titre de l'article 58 est relative à la continuité de l'activité du ministère de la justice pendant la crise ; le rapport qui sera publié permettra d'apprécier la façon dont l'État, dans le champ d'une politique publique régalienne, a pu mener une de ses missions fondamentales.

Je me félicite également que les rapports publics thématiques que la Cour envisage de publier en 2021 soient consacrés à d'autres aspects de la crise, comme le soutien au spectacle vivant – un sujet dont l'Assemblée débat souvent – , la gouvernance du mouvement sportif ou encore les mesures d'urgence et de soutien prises par le ministère du travail. Ces travaux viendront compléter les enseignements du rapport public annuel et ceux des rapports demandés par le Parlement lui-même.

Il est important de souligner, comme vous l'avez fait monsieur le Premier président, que la dizaine de thèmes analysés ne suffisent pas à dresser un bilan d'ensemble de la gestion de la crise et de ses conséquences. Néanmoins, nous pouvons d'ores et déjà relever un certain nombre de lignes directrices qui ne manqueront pas de nourrir le débat public.

Ainsi, le fait qu'une partie des dispositifs d'anticipation de la crise soient apparus insuffisants ou lacunaires a été largement contrebalancé par la capacité de mobilisation et d'adaptation des acteurs directement sollicités. L'analyse du dispositif d'aide au retour des Français retenus à l'étranger par la pandémie, par exemple, démontre la réactivité des services et celle de la compagnie Air France, en dépit d'une réelle sous-estimation initiale des besoins et malgré les difficultés rencontrées par le centre de crise du Quai d'Orsay pour répondre à l'ensemble des appels et courriels. Une solution de transport a ainsi pu être apportée à 243 000 Français – pour deux tiers d'entre eux, dès le premier mois de la crise – , alors que le trafic aérien national et international était quasiment à l'arrêt.

Point positif, la dépense budgétaire a pu rester contenue, puisqu'elle s'est élevée à 21,1 millions d'euros environ, alors qu'en comparaison l'Allemagne a dépensé 93 millions d'euros pour le rapatriement de ses ressortissants. Peut-être le coût a-t-il été légèrement sous-estimé, certaines personnes ayant pu être prises en charge directement par Air France, qui a elle-même bénéficié d'un soutien sous forme de subventions et par le biais d'une augmentation de capital. Le coût global net pour l'État est même ramené, après perception des participations des passagers et d'une contribution du mécanisme européen de protection civile, à 8,5 millions d'euros – même si, je le répète, ce montant est probablement sous-estimé. Comme le reconnaît la Cour, cette politique aura donc été menée avec un réel souci d'efficacité et de réactivité.

En revanche, la Cour analyse de manière beaucoup plus sévère certaines réponses d'urgence qu'elle n'hésite pas à qualifier d'échecs. Ainsi, s'agissant de l'hébergement et le logement des personnes sans domicile au printemps 2020, non seulement les services n'étaient pas prêts à faire face à la crise, mais les outils mobilisés ont été mal exploités. Par exemple, les centres spécialisés créés pour les personnes atteintes par le covid-19 n'ont été utilisés en moyenne qu'à hauteur de 10 % de leur capacité. Dans ce domaine, il y a donc une profonde différence entre le discours et la réalité. Les tarifs hôteliers pratiqués dans l'urgence ont été élevés. Le coût pour l'État des dispositifs exceptionnels est évalué à plus de 650 millions d'euros, ce qui démontre l'existence de défauts structurels dans la conception et l'organisation de cette politique publique.

En ce qui concerne les établissements de santé face à la première vague de covid-19, la Cour a privilégié des analyses à partir d'études de cas territoriales. Celles-ci révèlent une réelle capacité de réorganisation des établissements, rendue possible par des déprogrammations massives – vous avez indiqué que vous y reviendriez, ce que je crois tout à fait nécessaire – notamment dans les services de chirurgie. L'importance des conséquences de cette gestion sur l'activité des établissements de santé est soulignée. Si la prime covid accordée aux soignants est intégralement compensée aux établissements par l'assurance maladie, et si un mécanisme de garantie de financement est accordé par l'État à ceux-ci, la question de la répartition de la charge financière générée par la pandémie est loin d'être définitivement éclaircie et résolue.

La Cour des comptes s'est également intéressée à certains dispositifs spécifiques mis en place pour faire face aux conséquences économiques de la crise sanitaire. Là encore, la capacité d'adaptation se révèle une force, même si l'on ne peut nier des faiblesses inquiétantes, voire des tentations bureaucratiques que l'on découvre jour après jour. Le fonds de solidarité en faveur des entreprises a été déployé très rapidement. Il a permis de soutenir efficacement les TPE et les PME, comme chacun a pu le constater dans son propre département. Les critères d'éligibilité au fonds ont évolué rapidement, dès le 1er juillet 2020, ce qui a eu pour effet de rendre le dispositif beaucoup plus complexe.

À partir du second confinement, le fonds de solidarité a considérablement évolué puisqu'il ne visait plus à tenir compte des difficultés de trésorerie uniquement, mais aussi des frais fixes en eux-mêmes. La pression du Parlement a eu, je crois, une influence notable à cet égard. Cette évolution a eu une incidence directe sur les montants dépensés, qui ont fortement augmenté. Près de 9 milliards d'euros ont en effet été ainsi dépensés au cours des trois derniers mois de 2020, c'est-à-dire trois fois plus qu'au cours des sept mois précédents. L'instruction des demandes et la procédure de versement des fonds n'ont toutefois pas été modifiées, ce qui soulève un certain nombre de questions quant à leur caractère « fraudogène » et quant au ralentissement probable des délais d'indemnisation des entreprises. La Cour fait des préconisations très concrètes à ce sujet, sans doute utiles, même si les délais de paiement des mesures de soutien doivent tout de même rester très courts.

Enfin, le coût financier élevé des mesures adoptées de façon exceptionnelle peut être le révélateur des problèmes préexistants, structurels et non pas conjoncturels, dont souffrent certains modèles de financement. Vous l'avez évoqué au sujet des soins de réanimation et critiques, en indiquant que ce secteur était mal préparé à affronter la crise. Un débat national aura lieu à ce sujet. Vous avez également mentionné l'assurance chômage et l'UNEDIC, avec beaucoup de précisions.

En lisant le rapport, j'ai tout de même eu quelquefois le sentiment que la Cour, sans doute sensible au contexte – comment ne le serait-on pas ? – , retenait ses coups. Il m'a semblé que vous n'alliez pas toujours au bout de ce que vous pensiez. Peut-être aurons-nous accès, dans les rapports suivants, à des formulations plus sincères.

Nous aurons aussi bientôt, monsieur le Premier président, de nouveaux rendez-vous. Vous produirez en effet très rapidement un rapport sur la situation des finances publiques, qui viendra s'ajouter à celui de Jean Arthuis, paru il y a quelques jours, et à d'autres travaux, notamment dus à des économistes. Nous aurons aussi le soin, avec M. le rapporteur général de la commission des finances, de déposer une proposition de loi organique en vue de modifier notre constitution financière. Il ne s'agit pas de faire de la comptabilité en temps de crise, mais de se doter des outils qui permettront d'éclairer les débats relatifs à la sortie de crise. Il convient en particulier de s'interroger sur la nécessaire période de transition qu'il faudra aménager entre l'urgence et la relance. C'est à cette condition que nous pourrons redresser la France en redressant, au fur et à mesure, notre situation financière. Il s'agira d'un débat fondamental pour nos finances publiques, dans lequel la commission des finances, comme toute l'Assemblée nationale, entend pleinement s'engager. Nous vous lirons donc dans quelques semaines avec beaucoup d'intérêt.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.