Intervention de François Ruffin

Séance en hémicycle du jeudi 25 mars 2021 à 9h00
Accompagnement des enfants atteints de pathologie chronique ou de cancer — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Ruffin :

« Quand on arrête de travailler parce que son enfant est malade, on n'a rien, aucune aide, alors qu'on perd ses revenus » : c'est Sonia qui m'a alerté il y a deux ans, pendant le mouvement des gilets jaunes. Nous étions sur le rond-point du Cannet-des-Maures, entourés d'un arc de triomphe en palettes, d'une tour Eiffel en palettes, d'une pyramide du Louvre en construction et en palettes ; il faisait nuit et, se réchauffant dans ma voiture, elle s'est confiée : « Il a fallu compter sur le soutien des amis, de la famille. Nous, par exemple, on a passé une année à l'hôpital, il fallait être sur place, à Marseille. On a eu de la chance, un couple d'amis nous a prêté un studio à côté de la Timone. En plus, on reçoit des courriers d'huissier : vous avez un trop-perçu de Pôle emploi, des choses qui remontent à six mois plus tôt… Il faudrait que les parents soient protégés, que les dettes soient gelées. Le plus compliqué, c'est quand Évan est sorti de l'hôpital : on s'est retrouvés dehors avec un enfant qui ne mangeait plus par la bouche et qui avait un trou dans l'estomac, donc il vomissait beaucoup de choses ; il ne supportait plus qu'un lait maternisé qui nous coûtait 250 euros par mois – et encore, la pharmacie serrait ses prix pour qu'on puisse le prendre. Tout ça sans compter les traitements non remboursés, ce qui nous revenait à beaucoup plus cher. »

Ces témoignages, vous les connaissez, madame la rapporteure. Vous proposez d'instaurer un congé de deux jours quand les parents apprennent la maladie de leur enfant, bien souvent un cancer. C'est un petit pas. Nous le voterons, mais, vous le savez vous-même, cela ne suffit pas. Après ce petit pas, quel horizon visons-nous ? Que souhaitons-nous, vous comme moi ? Ce que nous souhaitons, c'est instaurer un vrai statut pour le parent accompagnant, un statut de parents protégé durant toute la maladie de l'enfant, et pas seulement lors de son annonce. Vous ouvrez la porte à de nouveaux droits, nous prenons. Nous prenons, même si c'est un petit pas ; c'est un pied dans la porte, à peine un orteil, mais nous prenons, en faisant le pari de l'élargir demain.

Je l'ai déjà dit dans cet hémicycle, de quoi parle-t-on aujourd'hui ? De la tragédie des tragédies, du cauchemar de tout parent. Que doit-on chercher ? Qu'à un calvaire, un calvaire humain, ne s'ajoute pas l'angoisse financière. La maladie, nous, on n'y peut pas grand-chose : les médecins, les chercheurs peuvent lutter contre, mais nous ? En revanche, la société, le politique, nous, ici, nous pouvons agir sur l'angoisse financière et nous le devons.

Que se passe-t-il quand un enfant tombe malade ? Non seulement il y a une perte de revenus pour la famille, qui doit prendre des semaines de congés, qui parfois arrête de travailler, qui risque d'être licenciée, mais en plus il y a des dépenses supplémentaires : il faut se déplacer, se loger, chercher des aliments adaptés, des traitements non remboursés. Le calvaire moral conduit parfois à la misère sociale.

Je sais que vous en êtes consciente, madame la rapporteure. D'ailleurs, ces témoignages, nous les avons entendus ensemble, ici même, à la questure, lors d'un petit déjeuner, par exemple. Voici ce que nous a dit Sophie Combe : « On a appris la maladie de Renan alors qu'il avait huit ans. J'étais en profession libérale, infirmière, mère seule avec trois enfants. J'ai pas eu le choix, j'ai dû arrêter de travailler. De Clermont-Ferrand, du jour au lendemain, il a donc fallu partir à Nice, quitter la fratrie – car j'ai deux autres enfants. Il a fallu trouver un hébergement là-bas par Airbnb. J'ai arrêté de travailler. J'ai pu être couverte pendant quelque temps, mais grâce à des certificats médicaux de complaisance, on doit le dire, pour syndrome dépressif. Mais j'étais protégée que six mois en tant que travailleuse libérale. Or le combat allait durer seize mois. Tout cela a un coût. La séparation de Renan d'avec son frère et sa soeur a été insupportable. J'ai essayé d'être là le plus souvent possible. Comme Renan ne pouvait pas se déplacer, revenir sur Clermont, il fallait faire venir son frère et sa soeur sur Nice. Là aussi, ce sont des dépenses. On entre dans un cercle vicieux. Moi, heureusement, j'avais des économies – pas beaucoup, mais ça m'a permis de tenir. D'autres, dans mon association, se retrouvent dans des situations beaucoup plus compliquées quand la perte de deux emplois vient s'ajouter à la précarité. Mais tout cela devrait être pris en charge par la solidarité nationale. » Ce que nous dit Sophie Combe relève de l'évidence : être pris en charge par la solidarité nationale.

Aussi, je rappelle les propositions de la fédération Grandir sans cancer, des propositions que nous avions reprises dans des amendements qui n'ont pas été jugés recevables et qui ne figurent pas dans votre proposition de loi. Mais je pense que vous ouvrez un chemin et que votre but est bien d'aboutir à ces propositions. En quoi consistent-elles ? Il s'agit d'accorder un statut de parent protégé avec un gel des échéances de crédits, avec un arrêt maladie et avec un emploi garanti. C'est un chemin de progrès, de progrès humain, de progrès à portée de main, parce que ce n'est pas la lune – on ne parle pas, et heureusement, de centaines de milliers de familles. Cela apparaît en fait comme un minimum, un minimum de solidarité sociale, de solidarité nationale, de solidarité dans le malheur.

Je le redis : au calvaire moral, il ne faut pas que s'ajoute l'angoisse de la misère sociale.

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