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Marie-France Lorho
Question N° 1895 au Ministère de l'europe


Question soumise le 10 octobre 2017

Mme Marie-France Lorho attire l'attention de M. le ministre de l'Europe et des affaires étrangères sur les sanctions choisies à l'encontre des agissements du cimentier Lafarge en Syrie. Le 29 juin 2014, alors même qu'Abou Bakr al-Baghdadi proclamait à la tête de l'État islamique la naissance du califat, certains responsables du cimentier Lafarge présentait ses hommages à ce groupe de terroristes islamistes. Parce qu'il comptait notamment perpétuer l'activité de son usine à Jalabiya (87 km de Raqqa), le groupe français a financé l'État islamique, comme l'a démontré l'enquête préliminaire du parquet de Paris ouverte en octobre 2016. Cette enquête a souligné que les responsables de l'usine en Syrie ont versé près de 5 millions de livres syriennes par mois à l'EI (soit 20 000 euros). Elle n'a pas encore permis, à ce jour, de définir toutes les personnes responsables de ce financement scandaleux. Quoique la participation financière du groupe serait indirecte - c'est un tiers qui aurait produit les fausses pièces comptables permettant ces mouvements discrets d'argent - la culpabilité de certaines cadres du groupe reste encore à prouver, tout comme l'attitude détachée des personnes responsables du dossier au Quai d'Orsay. En effet, la décision de Lafarge de rester en Syrie a bénéficié de l'accord des autorités françaises, le groupe était en relation régulière avec elles de 2011 à 2014. Jusqu'en mars 2012, où Nicolas Sarkozy a déclaré la fermeture de l'ambassade de France à Damas, Lafarge était en contact avec la diplomatie française. Comment se fait-il que le Quai d'Orsay ait soutenu le maintien du groupe Lafarge en Syrie alors qu'il connaissait pertinemment les risques sur le terrain ? À cet égard, l'ancien directeur général adjoint opérationnel du groupe a indiqué aux rapporteurs de l'enquête que, fin 2012, « Le quai d'Orsay di[sait] qu'il fa[llait] tenir, que [ça allait] se régler ». Cette posture du quai d'Orsay a encouragé les responsables du groupe à y rester, quitte à recourir à des protecteurs extérieurs peu recommandables. Jean-Claude Veillard (directeur de la sûreté) et Jacob Waerness (gestionnaire de risque sur le site) se sont ainsi rendus à Gaziantep en Turquie dès septembre 2012 pour y rencontre des milices djihadistes, pudiquement qualifiées par les médias de « milices de l'opposition syrienne ». Cette dénomination ne peut en effet que prêter à confusion, notamment parce que certaines factions déclarées « d'opposition » en occident se sont avérés relever de groupements terroristes. Par ailleurs, au vu de la situation géostratégique troublée, les affiliations de certaines milices armées ont pu changer durant le développement de l'affaire. Quoiqu'il en soit, Lafarge a clairement eu recours à des factions armées pour protéger ses passages sur les routes syriennes et continuer son activité. « C'était clairement du racket, même si c'était les « bons » qui rackettaient, a ainsi souligné M. Herrault, ancien directeur adjoint du groupe en qualifiant ces groupes armés qui monnayent la sécurité des personnels du groupe sur les routes. Tous les six mois on allait voir le Quai d'Orsay qui nous poussait à rester. [...] On allait voir tous les six mois l'ambassadeur de France pour la Syrie et personne ne nous a dit : « maintenant il faut que vous partiez » ». L'État islamique fait partie des bénéficiaires de ces subsides, et a permis aux personnels du groupe de rester en Syrie en échange du passage sur les routes. Les responsables ont déclaré avoir financé à hauteur de 10 % l'EI sur la totalité des sommes qui leur a été demandées. À plusieurs reprises, les personnels de l'usine ont été mis en danger. Le 17 juillet 2014, les personnels de l'usine sont sous le contrôle de l'EI, qui les empêche de rentrer ou de sortir de celle-ci. Le 19 septembre 2014, lorsque l'usine est attaquée, les personnels ont risqué de perdre la vie par absence de plan d'évacuation viable ; deux chrétiens ont été forcés à la conversion. Il est surprenant que l'État français n'ait pas pris la mesure plus tôt du danger qu'encourrait le cimentier français et ses personnels. Il est intolérable qu'il n'ait, par sa posture détachée, pas pris la mesure des financements que pourraient octroyer le cimentier à l'égard du groupe terroriste. Elle lui demande donc quelles dispositions vont être prises à l'encontre des responsables du dossier Lafarge, qu'il s'agisse des argentiers de l'usine même, qui par leur geste ont vivement contribué à développer l'activité de l'État islamique en Syrie, mais également à l'encontre des responsables français du dossier d'alors, qui par leur attitude irresponsable font de la France un collaborateur actif de ce groupe terroriste.

Réponse émise le 18 juin 2019

Dès le début du conflit syrien, le gouvernement a informé le public français, et notamment les entreprises : - de la fermeture de notre ambassade et de notre représentation consulaire dans un contexte de répression engagée par le régime syrien et de conflit armé étendu par la suite à l'ensemble du territoire de la Syrie ; - de la nécessité de rapatrier tous les ressortissants français face au risque sécuritaire encouru ; - des sanctions adoptées par l'Union européenne, qu'il appartient à chaque entreprise de respecter. Le ministère de l'Europe et des affaires étrangères n'a pas, au-delà de l'information qu'il communique aux entreprises, compétence pour enjoindre une entreprise de poursuivre ou non ses activités en lien avec un pays en particulier, pourvu que ces activités ne soient pas contraires à la loi. A ce titre, le choix fait par l'entreprise Lafarge de maintenir son activité sur le territoire syrien relève de sa seule responsabilité. Le ministère de l'Europe et des affaires étrangères rappelle que c'est à l'initiative des autorités françaises, dans un souci de transparence et dans le respect de la présomption d'innocence, que le Procureur de la République a été saisi en septembre 2016 afin qu'une enquête judiciaire soit menée sur l'éventuelle violation des sanctions à l'encontre des organisations terroristes Daech et al-Qaida. Les autorités françaises coopèrent activement avec la justice dans le cadre de cette enquête afin d'établir toute la lumière sur les faits allégués. Les éléments sont couverts par le secret de l'instruction, et il est important d'en assurer le respect. La position de la France vis-à-vis de Daech en Syrie est sans ambiguïté : elle a constamment réaffirmé sa détermination à lutter contre ce groupe terroriste et rappelé la nécessité d'un strict respect des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies et des conventions et normes internationales prohibant toute forme de soutien au terrorisme. Les forces françaises ont joué tout leur rôle dans la campagne contre l'implantation territoriale de Daech en Irak et en Syrie et nous demeurons vigilants face aux tentatives de résurgence de cette organisation, comme face à la présence d'Al-Qaïda dans la province syrienne d'Idlib. En outre, la France fait de la lutte contre le financement du terrorisme l'une de ses priorités pour sa présidence du G7. A ce titre, elle a été récemment à l'initiative de la conférence internationale contre le financement du terrorisme "No Money for Terror" qui s'est tenue les 25 et 26 avril 2018 à Paris. Cette initiative a permis l'adoption par les 70 Etats et 20 organisations internationales participants de mesures fortes, particulièrement dirigées contre le financement de Daech. Elle sera prolongée par une réunion du même type organisée par l'Australie en novembre 2019.

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