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Benoit Potterie
Question N° 38937 au Ministère auprès de la ministre de la transition écologique


Question soumise le 18 mai 2021

M. Benoit Potterie attire l'attention de Mme la ministre de la transition écologique sur la réglementation environnementale 2020 et la filière béton et autres matériaux. La réglementation environnementale 2020 (RE2020) entrera en vigueur le 1 janvier 2022, imposant notamment à tous les acteurs de la construction de réaliser des analyses de cycle de vie des projets. Dans huit mois, ces analyses des cycles de vie devront être obligatoirement réalisées et les solutions les moins carbonées (en matériaux comme en vecteur énergétique) seront favorisées. Cette démarche est indispensable au futur de tous et on peut que la saluer. L'analyse des cycles de vie (ACV) dynamique simplifiée est la méthode qui a été imposée par les pouvoirs publics. Cette méthode a pour particularité d'évaluer le poids carbone d'un projet de construction en tenant compte du fait que les matériaux biosourcés stockent, un certain temps, du CO2. L'utilisation de cette méthode de calcul s'est vue imposée afin de favoriser les biosourcés : « considérant que l'urgence climatique c'est maintenant et qu'il faut empêcher un maximum d'émissions aujourd'hui ! », sans tenir compte que ce carbone sera toutefois libéré au moment de la fin de vie du bâtiment, sans connaître la manière dont il sera détruit. En un mot, l'ACV dynamique ne considère absolument pas le cycle de vie complet du matériau, il tient compte uniquement du temps durant lequel le carbone n'est pas libéré dans l'atmosphère, contrairement à l'ACV statique qui lui prend en compte le cycle de vie complet. Si on prend le cas du bois, par exemple, matériaux biosourcés champion de l'ACV dynamique, en aucun cas on ne tient compte de son impact carbone lié à l'importation ou lié à son circuit de transformations successives, ou lié à la capacité à produire le bois au plus près de son utilisation. Ainsi, le bois réalise forcément des performances tronquées sur le plan carbone, nettement supérieures à celles du béton ou de l'acier ; cela correspondant à une vision à court terme de la transition énergétique, car peu importe le devenir de ce bois à trente ans. Cette approche conduit également à opposer les producteurs de bois aux fabricants de matériaux traditionnels alors que sur le fond tous les acteurs du bâtiment sont d'accord, prônent des constructions plus écologiques, et sont actifs sur leurs propres programmes de décarbonation. Les désaccords ne sont profonds que sur la méthode, les critères à prendre en compte et l'efficacité des mesures proposées. La pertinence scientifique de cette méthode ACV dynamique simplifiée sur lesquels s'appuie le Gouvernement, pour justifier cette réglementation et d'autant plus inquiétante que d'après certains scientifiques et experts : « faute de démonstration scientifique solide, rien ne garantirait l'efficacité dans la lutte contre le réchauffement climatique de la méthode « dynamique » imposée ». Dans le cadre de la directive dite 2015/1535, la France est tenue de soumettre à l'avis de la Commission européenne et des États membres de l'UE, les règlements techniques concernant les produits industriels. L'objectif étant de s'assurer qu'ils sont compatibles avec les règles du marché intérieur, notamment de la concurrence et dans le même temps d'engager un dialogue entre les parties prenantes. Plusieurs organisations professionnelles et fédérations du bâtiment européennes ont émis des protestations, ce qui amené à reporter au 1er janvier 2022 cette mesure initialement annoncée pour le 1er juillet 2021. Cette réglementation, pro-matériaux biosourcés, s'appliquant de plus dans le contexte de la crise sanitaire ayant déjà impactée l'ensemble de la filière des matériaux de construction. Aussi, dans ce contexte, il interroge le Gouvernement sur le devenir des filières béton et autres matériaux. Comment ces filières pourront à la fois travailler sur l'amélioration de leur impact écologique, accentuer la recherche et investir dans de nouveaux procédés, dans le renouvellement de leur équipement, sachant que la filière bois sera favorisée par la méthode de calcul ACV dynamique simplifiée, dans le cadre d'une mise en œuvre en janvier 2022 (ou éventuellement plus tard) alors que cette mesure pourrait conditionner l'autorisation de construction ? Comment accompagner ces filières face à la distorsion de concurrence qu'impose cette méthode de calcul ? Quelle visibilité pour la filière béton dans l'hexagone ? Il souhaite connaître son avis sur toutes ces questions?

Réponse émise le 14 septembre 2021

Le choix de l'approche d'analyse du cycle de vie (ACV) dite « dynamique », s'est fait à la suite d'une large concertation initiée en 2019. Un groupe d'expertise a proposé l'approche dynamique qui constituait la première piste du rapport qu'il a rendu début mars 2019. En novembre 2019, le comité technique de l'expérimentation E+C- a présenté des recalculs de l'observatoire E+C- selon les méthodes statiques et dynamiques. Ceux-ci ont été rendus publics sur le site de l'expérimentation E+C-. Tout d'abord, il convient de noter que l'analyse en cycle de vie dynamique, comme l'analyse statique, prend bien compte l'ensemble du cycle de vie du matériau, en particulier durant la phase amont mentionnée (impact carbone lié à l'importation et aux transports ou lié à son circuit de transformations successives). Dans les deux cas, statique ou dynamique, les données utilisées sont celles des fiches environnementales (FDES ou PEP). Plus spécifiquement, la méthode dynamique a l'avantage de prendre en compte le moment des émissions de gaz à effet de serre, ce que ne permet pas la méthode d'ACV dite « statique ». En effet, une tonne de CO2 émise aujourd'hui commence à réchauffer le climat dès aujourd'hui alors que la même tonne émise dans 25 ans ne commencera à produire ses effets que dans 25 ans. Les gaz à effet de serre restent des dizaines, voire des centaines ou des milliers d'années dans l'atmosphère, c'est la raison pour laquelle une molécule de CO2 émise aujourd'hui réchauffera l'atmosphère non seulement aujourd'hui mais aussi demain et tous les jours jusqu'à ce qu'elle soit finalement captée par les océans, les forêts, etc. et disparaisse de l'atmosphère. On peut alors mesurer l'effet cumulé d'une émission de gaz à effet de serre sur le climat, ce que l'on appelle le forçage radiatif cumulé. Ainsi les dynamiques physiques induisent un réchauffement climatique qui varie selon qu'on l'évalue à un horizon de 20 ans, de 100 ans ou de 500 ans. C'est ce qu'on appelle « l'horizon temporel ». Le choix de l'horizon temporel est donc directement lié à l'horizon des stratégies de lutte contre le changement climatique que l'on peut souhaiter mettre en place puisque c'est à l'aune de cet horizon temporel que l'impact du réchauffement climatique est ainsi évalué.L'urgence de la crise climatique actuelle, qui nous pousse à agir au plus vite, pourrait justifier une évaluation de l'impact des politiques publiques sur le réchauffement climatique à un horizon temporel très proche, à 10 ou 20 ans. Néanmoins un tel choix présenterait le risque de privilégier des solutions court-termistes, qui pourraient se révéler négatives pour le climat à plus long-terme. C'est pour cela que le Gouvernement a choisi un horizon temporel plus lointain, de 100 ans, qui est cohérent avec l'engagement pris lors de l'Accord de Paris de limiter au maximum le réchauffement climatique en 2100. Ce choix est aussi cohérent avec les travaux du GIEC qui étudient différents scénarii climatiques à l'horizon 2100. Cet horizon temporel est d'ailleurs utilisé dans un grand nombre d'études scientifiques et est notamment privilégié dans le calcul de l'unité de mesure conventionnelle des émissions de gaz à effet de serre, le kilogramme « équivalent » CO2 (kgCO2eq). Le choix du Gouvernement de retenir la méthode dynamique est cohérent avec la volonté du législateur et l'article L. 111-9 du code de la construction qui indique qu'« un décret en Conseil d'Etat détermine […] à partir de 2020, pour les constructions nouvelles, en fonction des différentes catégories de bâtiments, le niveau d'empreinte carbone à respecter, évalué sur l'ensemble du cycle de vie du bâtiment, en intégrant la capacité de stockage du carbone dans les matériaux […] ». Dans son chapeau, ce même article indique : « Les performances énergétiques, environnementales et sanitaires des bâtiments et parties de bâtiments neufs s'inscrivent dans une exigence de lutte contre le changement climatique, de sobriété de la consommation des ressources et de préservation de la qualité de l'air intérieur. Elles répondent à des objectifs d'économies d'énergie, de limitation de l'empreinte carbone par le stockage du carbone de l'atmosphère durant la vie du bâtiment, de recours à des matériaux issus de ressources renouvelables, d'incorporation de matériaux issus du recyclage, de recours aux énergies renouvelables, de confort thermique et d'amélioration de la qualité de l'air intérieur. » A ce même titre, le stockage temporaire de carbone est d'ailleurs considéré comme un levier central de la Stratégie nationale bas carbone, et le stockage temporaire de carbone dans les produits bois est pris en compte dans les inventaires officiels de GES rapportés à la CCNUCC (Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques). L'intérêt du stockage de carbone dans les bâtiments ne fait donc pas de doute. Par ailleurs, une telle stratégie ne génère pas de pic d'émissions futures. Il s'agit en effet de stocker du carbone dans les bâtiments construits chaque année, et ainsi lorsqu'arrivera le temps de déconstruire les premiers bâtiments et d'éventuellement émettre le carbone qui y était stocké (il existe des solutions de recyclage, de réemploi, de valorisation énergétique qui évitent des émissions fossiles, …), ces émissions seront compensées par le stockage que constitueront les constructions neuves annuelles. Il en résultera donc une stabilisation du stock de carbone qui aura été constitué dans le parc de bâtiment. En complément, il convient de noter qu'il n'existe pas à ce jour de consensus international sur les normes d'analyse en cycle de vie car plusieurs méthodes coexistent. Bien que les normes actuelles relatives à l'ACV dans le domaine du bâtiment ne prennent pas en compte le stockage temporaire du carbone, certaines laissent la possibilité d'ajouter une information à ce sujet. La RE2020 différera en partie de la norme européenne relative à l'ACV des bâtiments (EN15978), comme c'était le cas pour E+C- sur d'autres et pour la réglementation environnementale néerlandaise par exemple, autre pays pionnier en la matière. Compte tenu des débats liés à la méthode d'ACV dynamique mise en place dans la cadre de la RE2020, et sur les hypothèses qu'elle considère, le Gouvernement portera avec l'ensemble des parties prenantes un travail de normalisation de l'approche d'ACV dynamique à l'échelle française et européenne. La méthode pourra être ajustée lors d'étapes ultérieures de la réglementation si cela apparaissait nécessaire. Enfin, au-delà du choix de la méthode dynamique et de la valorisation du stockage du carbone, la RE2020 permet de valoriser l'ensemble des matériaux bas carbone et encourage la mixité des matériaux ainsi que la diversité des modes constructifs. Les travaux préparatoires à la RE2020 ont d'ailleurs montré que le seul recours au bois d'oeuvre dans un bâtiment ne permet pas d'atteindre automatiquement les exigences fixées pour 2030. Surtout, ces travaux font apparaître que le bois d'oeuvre n'est pas toujours le levier le moins coûteux pour réduire l'impact carbone des projets : l'ensemble des leviers en conception, en second oeuvre, sur les équipements, ont vocation à être mobilisés. En particulier, concernant les matériaux, l'utilisation de béton bas carbone sera valorisée dans le calcul en analyse de cycle de vie, encourageant ainsi l'utilisation de liants moins émissifs, les bétons biosourcés, les innovations technologiques concernant les process ou encore l'optimisation des formulations des bétons. A ce titre, la filière béton s'est engagée sur sa capacité à abaisser ses émissions de gaz à effet de serre d'ici 2030 en parfaite cohérence avec la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) et engage de nombreux investissements dans cette direction. Sous réserve que ces objectifs de décarbonation soient tenus, les exigences de la RE2020 permettront toujours l'utilisation de béton de manière courante, même pour les jalons ultimes de la réglementation (à partir de 2031).

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