Intervention de Béatrice Descamps

Séance en hémicycle du jeudi 1er décembre 2022 à 15h00
Juridiction spécialisée dans l'expulsion des étrangers délinquants — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBéatrice Descamps :

Simplifier le contentieux des étrangers n'est pas chose aisée. Après des décennies de réformes successives, ce droit a atteint une complexité excessive, avec une multiplicité de règles particulières, de procédures et de délais. Nous en sommes à un stade où l'action judiciaire dans ce domaine est devenue peu lisible pour l'ensemble des acteurs, à commencer par les justiciables, mais aussi les avocats et les associations.

Face à ce constat, la proposition de loi vise à créer une nouvelle cour unique et spécialisée, laquelle serait compétente pour tous les recours formés contre les expulsions d'étrangers accusés de troubles à l'ordre public.

En dépit de son objectif affiché d'efficacité, ce texte manque sa cible : le choc de simplification que vous souhaitez se révèle peu adéquat, et les contours des mesures proposées incertains. Mes chers collègues, les enjeux à la fois humains et d'ordre public liés au contentieux des expulsions sont bien trop grands pour que l'on puisse légiférer à ce sujet en quelques heures : l'expérience nous a appris que le législateur ne se montre jamais plus sage, plus avisé, que lorsqu'il prend la plume avec recul, après une nécessaire réflexion.

J'en arrive au cœur du sujet. La situation actuelle est difficile, et notre groupe le reconnaît pleinement. Lorsqu'il met sa casquette de juge des étrangers, si j'ose dire, le juge administratif doit faire face à un flot incessant de dossiers : c'est là son principal problème. Le Conseil d'État a déjà alerté le Gouvernement à ce propos. Sur les 241 300 affaires enregistrées en 2021 par les tribunaux administratifs, plus de 100 000, soit plus de 42 %, relevaient du contentieux des étrangers. Au niveau de l'appel, cette proportion dépasse les 50 % ! Encore une fois, cette situation est intenable, tant pour les justiciables que pour les juges. Les délais de jugement dans les dossiers ordinaires, c'est-à-dire hors procédures d'urgence, demeurent excessifs : plus de un an et quatre mois pour les tribunaux administratifs, par exemple.

Devons-nous en conclure que de notre organisation juridictionnelle en matière d'expulsions il faut faire table rase ? Telle n'est pas notre conviction. Bien que le constat soit alarmant, monsieur le rapporteur, notre groupe ne peut souscrire à vos propositions visant à remédier aux maux de la justice administrative.

En matière d'expulsion des étrangers, le traitement des dossiers incombe intégralement aux tribunaux administratifs, aux cours administratives d'appel et, en dernier lieu, au Conseil d'État ; je salue d'ailleurs ces magistrats dont le travail quotidien garantit l'État de droit. Mais soyons raisonnables : la création d'une cour spécialisée ne résoudrait pas les problèmes de fonctionnement du service public de la justice. Pour mémoire, l'expulsion administrative relève du contentieux du contrôle des mesures de police et, par conséquent, du droit de la préservation de l'ordre public. Il ne s'agit pas d'un contentieux dont la spécificité demanderait une juridiction distincte ; celle-ci pourrait au contraire nuire à l'unité du droit administratif, dont la jurisprudence en la matière est déjà consolidée. Concrètement, nous nous demandons ce qu'apporterait l'adoption de ce texte. En quoi une cour unique serait-elle plus efficace que les quarante-deux tribunaux administratifs, chacun traitant les dossiers de son ressort ? Par ailleurs, face à l'afflux potentiel de dossiers, les cinq conseillers d'État que vous souhaitez y nommer ne suffiraient pas à la tâche.

Monsieur le rapporteur, si votre texte ne convainc pas notre groupe, cela ne signifie pas que nous plaidions pour le statu quo. Une évolution est nécessaire, mais elle requerrait un texte plus englobant, dont notre assemblée aurait à débattre durant plusieurs jours. Je le répète, une niche d'une dizaine d'heures n'est pas suffisante pour bouleverser l'organisation de nos juridictions administratives.

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