Intervention de Élodie Jacquier-Laforge

Séance en hémicycle du mardi 6 décembre 2022 à 15h00
Déclaration du gouvernement relative à la politique de l'immigration

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉlodie Jacquier-Laforge :

Grande artiste de music-hall, humaniste et femme de cœur, elle fut avant tout une grande patriote, sous-lieutenante au sein des Forces françaises libres. Et lorsqu'elle était félicitée pour son action, elle répondait : « La France m'a ouvert les bras, je ne fais que lui rendre ce qu'elle m'a donné. »

Par cette introduction, je tenais à rappeler que de nombreuses autres Joséphine existent, même si l'histoire ne leur a pas rendu les mêmes honneurs.

Chers collègues, nous vivons une époque troublée. Une guerre a lieu à nos portes, après qu'une pandémie a déstabilisé durablement l'économie mondiale. La crise énergétique se double d'une crise climatique majeure. Une montée de l'inflation inquiète nos concitoyens, tandis que l'incertitude, la tentation du repli sur soi et la peur saisissent les populations. Le débat qui nous occupe aujourd'hui, et pour l'organisation duquel je remercie le Gouvernement, nous oblige à prendre en considération cette situation.

Au fond, la question qui se pose est toujours la même : comment conjuguer le principe universel de libre circulation des personnes avec le droit des peuples et des gouvernants à disposer librement de leurs frontières ? Je le concède, cet équilibre est difficile à trouver, certains souhaitant la fin irréaliste des frontières et d'autres voulant construire des murs tout aussi illusoires entre les pays. Nous devons à nos compatriotes de métropole et d'outre-mer de chercher ce chemin d'équilibre. Les Français attendent des réponses et nous les savons exigeants.

La dernière loi que nous avons adoptée, en 2018, a produit des résultats et entraîné une forte progression des éloignements en 2019, soit avant la crise du covid-19. C'est mieux que ce que font nos voisins européens, même si c'est évidemment insuffisant.

Voilà pourquoi notre groupe aborde le prochain projet de loi relatif à l'immigration avec beaucoup de pragmatisme, mais aussi avec beaucoup d'humanité. Je l'avais dit en 2018, il faut selon nous avoir une politique d'immigration et d'intégration à la fois humaine et opérante, car l'un ne va pas sans l'autre : c'est pour nous la clé d'une législation réussie. Sans ces deux facettes, sans cette action exigeante pour accueillir chez nous ceux qui ont besoin de notre protection, ceux qui sont une chance ou un soutien pour notre activité économique, ceux qui viennent s'enrichir de nos savoirs et faire rayonner notre pays à l'international, nous risquons de renforcer la défiance de certains de nos concitoyens, de réveiller des sentiments de rejet et d'accentuer les fractures dans notre société.

Vous l'avez indiqué, madame la Première ministre : la première réponse est européenne. En effet, une organisation régionale telle que l'Union européenne – et a fortiori un État – ne peut espérer maîtriser seule les mouvements migratoires qui la concernent, ce qui n'enlève rien à la nécessité de mener des politiques pertinentes.

L'exemple récent de l'Ocean Viking en est une parfaite illustration. Les trois semaines d'errance du navire, qui a fini par trouver refuge en France, nous rappellent qu'il faut impérativement harmoniser les conditions d'entrée, mais aussi renforcer notre capacité à respecter les droits humains.

En 2018, des lignes avaient été tracées et je tiens à saluer le travail riche et fourni accompli alors par notre groupe et particulièrement par Marielle de Sarnez qui, en tant que présidente de la commission des affaires étrangères, avait rappelé à juste titre que la stratégie que nous devons adopter est européenne, diplomatique, de développement et fondée sur une vision de long terme.

À cet égard, elle plaidait pour faire de l'harmonisation de nos pratiques notre objectif principal. En effet, la convergence européenne tant attendue en matière de droit d'asile doit désormais être réalisée, si nécessaire sous la forme d'une coopération renforcée entre les États membres désireux d'avancer ensemble.

Dans le domaine de l'asile, nous savons tous que si le régime européen fixe des normes minimales communes applicables en matière de traitement des demandes, celui-ci ne se fait pas de manière uniforme. Le taux de reconnaissance varie d'un État membre à l'autre, ce qui entraîne une course au droit d'asile démontrant combien l'harmonisation des procédures et des normes est nécessaire dans ce domaine.

Par ailleurs, c'est une évidence, notre gestion des flux migratoires, qui doit avoir lieu à l'échelle européenne, nous impose de regarder par-delà nos frontières et d'établir des partenariats globaux et équilibrés avec les pays d'origine et de transit, afin de permettre aux femmes, aux enfants et aux hommes qui fuient leur pays d'avoir le choix de rester vivre là où ils sont nés, là où leur famille est installée, là où se trouvent leur culture et leur identité.

À l'échelle nationale, entre autres priorités, il est indispensable que nous poursuivions nos efforts pour réduire les délais de traitement des demandes d'asile. C'est ainsi que nous permettrons aux bénéficiaires de la protection internationale de s'inscrire plus rapidement dans un parcours d'intégration, sans perdre de temps. Et c'est également de cette manière que nous opérerons plus rapidement le retour effectif des déboutés vers leur pays d'origine.

Tels étaient les objectifs de la loi de 2018, dont il convient d'interroger et d'évaluer les résultats à l'aune de la courte période d'application. Promulgué en 2018, ce texte n'a en effet été pleinement appliqué qu'en 2019, les années 2020 et 2021 ayant été marquées par la crise sanitaire.

Il est ensuite essentiel de mener une politique d'intégration renforcée. Cela passe par l'acquisition de la langue et par le travail. Il y a quelques jours, François Bayrou disait à juste titre qu'« on devrait exiger deux choses : la maîtrise de la langue, qui est la garantie de la volonté de s'intégrer, de participer à un pays avec son mode de vie, et […] la volonté de s'engager dans le travail pour gagner sa vie. »

À l'heure actuelle, 75 % des étrangers signataires du contrat d'intégration républicaine (CIR) atteignent le niveau requis à l'issue de la formation obligatoire dispensée par l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii). Ce chiffre est bon, même s'il demeure insuffisant.

Cela étant, l'atteinte d'un niveau de langue n'est pas exigée pour obtenir un titre de séjour, la seule obligation étant de suivre avec assiduité cette formation civique et linguistique organisée par l'Ofii. Nous devons donc passer d'une obligation de moyens à une obligation de résultat, ce qui nécessite selon nous que le futur projet de loi relatif à l'immigration comporte des mesures volontaristes en la matière.

Par ailleurs, le travail doit redevenir le premier lieu de l'intégration des étrangers. M. le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion a rappelé les chiffres : le taux de chômage des immigrés s'élève à 14,6 %, contre 8,3 % pour les personnes nées en France, tandis que le taux d'emploi des immigrés s'établit à seulement 58,5 %, contre 66,4 % pour les personnes nées dans le pays – le différentiel s'élevant même à 15 points, je tiens à le signaler, entre les femmes immigrées et celles nées en France.

Plusieurs dispositifs existent pour favoriser l'intégration des réfugiés, particulièrement le programme d'accompagnement global et individualisé des réfugiés (Agir). Toutefois, trop de travailleurs étrangers contribuant à l'économie de notre pays sont installés et maintenus dans le non-droit, dans l'illégalité, ce qui les empêche de rejoindre un parcours d'intégration.

Je le dis avec force au nom de mon groupe : nous voulons que l'hypocrisie cesse et que ces trappes à illégalité disparaissent. Il faut des mesures destinées aux travailleurs étrangers eux-mêmes, afin de faciliter leur accès au travail dans des situations bien définies, et des dispositifs destinés aux employeurs, afin qu'ils participent au mieux à l'intégration sociale de leurs salariés immigrés.

Cela passe, entre autres, par des mesures de régulation – je pense au secteur des plateformes de transport et de livraison –, par des réponses adaptées aux métiers en tension et aux besoins des entreprises en matière de profils très qualifiés et, si nécessaire, par des sanctions dissuasives et appliquées en cas d'emploi d'un étranger clandestin.

Né en 2005, le Ceseda, le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, peut-être le code le plus épais de notre droit, a connu de nombreux toilettages. Depuis la fin des années quatre-vingt, l'immigration a connu vingt et une lois. Vingt et une lois en trente-deux ans, c'est certainement trop, reconnaissons-le. Il existe très peu de domaines dans lesquels on légifère autant ; cela doit nous conduire à l'humilité, quelle que soit notre place dans l'hémicycle.

Monsieur le ministre de l'intérieur et des outre-mer, vous avez choisi de lancer plusieurs chantiers. Le premier consiste à renforcer l'efficacité de la lutte contre les menaces à l'ordre public et l'immigration irrégulière. Nous nous réjouissons que la lutte contre les passeurs, qui exploitent la détresse humaine, en fasse partie. Le deuxième consiste à engager une réforme structurelle de notre système d'asile. En effet, le traitement des demandes d'asile est encore beaucoup trop long et source d'un trop grand contentieux. Sur ce point, il est important que les collectivités territoriales soient des partenaires actifs et des relais sur lesquels les représentants de l'État puissent s'appuyer ; sans l'échelle locale, rien ne se fera. Cependant, il faudra être attentif à ne pas déséquilibrer le système des OQTF en voulant aller trop vite, sans respecter le droit du recours en appel d'une décision. Vous entendez également renforcer les exigences d'intégration par la langue et le travail. Nous en sommes satisfaits ; comme je le disais tout à l'heure, il ne peut y avoir d'intégration sans maîtrise de la langue et sans accès au travail.

Sur tous ces sujets, nous aurons le temps de travailler ensemble pour arriver à l'équilibre et à l'efficacité. Nous croyons qu'un juste équilibre est possible et nécessaire : un humanisme lucide, adapté et exigeant. C'est pourquoi nous serons force de proposition, en veillant à ce que nos valeurs soient préservées. L'accueil et l'intégration ne pourront se faire que si nous sommes exigeants sur les modalités de leur mise en œuvre, car ils sont les seules clefs de l'acceptation par tous de notre devoir d'accueil et, ainsi, d'un climat apaisé dans notre pays, où chacun pourra trouver sa place.

La migration n'est pas un phénomène dont nous devons avoir peur. Elle existe depuis la nuit des temps. Qui d'entre nous n'a pas un parent, un ami, un collègue qui n'est pas d'origine française ? Qui d'entre nous ne voit pas aussi combien la France a pu s'enrichir de cette diversité ? Alors, trouvons ensemble le courage de donner à ceux qui ont toute légitimité à rester dans notre pays les moyens de le faire dans les meilleures conditions.

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