Intervention de Christine Arrighi

Séance en hémicycle du mercredi 11 janvier 2023 à 15h00
Aides publiques aux entreprises

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristine Arrighi :

Le recensement opéré à l'Assemblée nationale sous la précédente législature fait apparaître entre 1 800 et 2 000 dispositifs de soutien aux entreprises, qu'il s'agisse d'aides directes, d'annulations de dettes fiscales ou sociales, d'exonérations partielles ou totales de cotisations sociales ou encore de niches fiscales. La difficulté d'obtenir un chiffrage exact des dispositifs d'aide aux entreprises complique l'évaluation précise et à jour de leurs montants.

Si les objectifs poursuivis par les mesures de soutien aux entreprises peuvent être justifiés selon le contexte – on l'observe tout particulièrement en ce moment –, les questionnements relatifs à l'efficacité de ces aides ainsi qu'à notre capacité à en assurer le contrôle sont tout aussi pertinents, notamment en raison de la situation actuelle de nos finances publiques. Sans caricaturer, nous disons oui aux aides mais également oui au contrôle.

En 2007, selon un rapport de l'Inspection générale des finances, le montant des aides aux entreprises représentait 65 milliards. Pour 2018, le ministre de l'action et des comptes publics l'évaluait à 140 milliards. Selon le rapport de l'Ires cité par l'orateur précédent, ces aides atteindraient entre 200 et 205 milliards d'euros en 2019, soit l'équivalent de 8,4 % du PIB ou encore 41 % du budget de l'État. L'essentiel provient de niches fiscales, à hauteur de 109 milliards, des allègements de cotisations sociales – 64 milliards – et des dépenses budgétaires – 32 milliards.

Les aides aux entreprises constituent ainsi le premier poste de dépense de l'État, devant l'éducation nationale et loin devant les 70 milliards d'aides sociales qui représentent 3 % du PIB. Le silence relatif sur cette augmentation contraste d'ailleurs significativement avec le battage médiatique à propos des aides sociales et de leur coût.

Par ailleurs, si les aides aux entreprises ont augmenté, ont-elles été conditionnées au respect d'un certain nombre de critères sociaux, fiscaux ou écologiques ? La réponse est non, à l'évidence, ce qu'a confirmé le rapport de la mission d'information commune sur la conditionnalité des aides publiques aux entreprises de 2021 – n'est-ce pas, monsieur Viry ?

D'ailleurs, plusieurs exemples illustrent ce gâchis. C'est le cas du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi. Les travaux menés par France Stratégie montrent qu'il a été extrêmement coûteux au regard du faible nombre d'emplois créés ou sauvegardés. De même, d'après les premières analyses portant sur sa transformation en allègement de cotisations sociales, cette baisse de cotisations salariales, dont les effets étaient censés être positifs, n'a pas produit les résultats espérés.

Autre exemple, le coût du crédit d'impôt recherche, longuement évoqué tout à l'heure et devenu la première niche fiscale en France, dépasse les 7 milliards d'euros en 2022, pour un résultat très contrasté – pour le moins. Selon l'OCDE, « le crédit d'impôt recherche est l'un des soutiens publics à la recherche et au développement les plus généreux de tous les pays de l'OCDE ».

Mes chers collègues, toutes ces données permettent donc de largement relativiser l'image de l'entrepreneur que certains d'entre vous véhiculent ici : un solitaire écrasé de charges. La solidarité nationale joue un rôle fondamental dans le succès des entreprises, la mise en place de mécanismes de régulation des tarifs de l'énergie en cette période de crise en témoigne à son tour. Les entreprises ne profitent pas du système, monsieur Viry : c'est le système qui est défaillant et qui doit être adapté.

En effet, les soutiens publics majeurs que j'ai évoqués devraient justifier de demander des garanties de la part des entreprises en contrepartie des aides accordées. Cette conditionnalité relève fondamentalement d'un choix politique, en l'occurrence de l'orientation économique, sociale et environnementale que nous souhaitons donner à la dépense publique et au tissu économique ; elle permet de peser sur les choix stratégiques des acteurs économiques en faveur d'un avenir plus durable, plus écologique ; cela s'appelle la planification.

C'est dans cet esprit que les parlementaires ont adopté l'article 9 de la loi de finances rectificative du 25 avril 2020, qui a permis à Air France de bénéficier de deux dispositifs d'aide généreux pour un montant de 7 milliards, en contrepartie de l'obligation d'intégrer « pleinement et de manière exemplaire les objectifs de responsabilité sociale, sociétale et environnementale dans [sa] stratégie, notamment en matière de lutte contre le changement climatique ». Même si cet engagement n'a pas été respecté par l'entreprise, il n'en demeure pas moins qu'il est inscrit explicitement dans la loi – je reviendrai bientôt sur le sujet du contrôle du respect des engagements pris. De plus, la conditionnalité des aides offre la possibilité de vérifier l'efficacité de la dépense publique et de mesurer son impact économique, social et environnemental ; elle démontre plus que jamais, dans ce contexte de crise et de défiance sociale, la capacité du politique que nous sommes à définir et à impulser un changement de modèle.

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