Intervention de Marie Pochon

Séance en hémicycle du mercredi 11 janvier 2023 à 21h30
Application de la loi climat et résilience

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie Pochon :

Le changement climatique sera l'affaire de ce siècle, et nous entrons de plus en plus rapidement dans l'ère de l'incertitude. Les projections de Météo-France prévoient une hausse des températures de 3,9 degrés Celsius à la fin du siècle en France, et de 6 degrés si nous n'agissons pas. La lutte contre le changement climatique est désormais un enjeu de protection des droits de nos compatriotes : droit à la santé, à la propriété, à la vie familiale, au travail, voire à la vie. C'est aussi, désormais, un enjeu de sécurité nationale.

Cela implique pour nous, décideurs politiques, de mettre en œuvre les solutions immédiatement : non pas celles qui nous chantent ni celles que les industriels valident en amont, mais bien celles qui nous sont imposées. Elles appellent, pour se déployer, des politiques publiques puissantes, et bien plus qu'un questionnement simpliste du Président de la République, un soir de 31 décembre. Ces mesures supposent du volontarisme, de la cohérence, de la constance ; un cap.

La loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ces effets, entrée en vigueur le 22 août 2021, aurait dû, certes vingt ans trop tard, en être la base. L'occasion était parfaite : des centaines de milliers de personnes dans les rues pour le climat ; le mouvement des gilets jaunes exigeant la justice dans la transition écologique ; les millions de doléances du grand débat national, dont on ne peut que regretter qu'elles aient été reléguées dans les tréfonds des archives départementales tant on y parlait de justice, de dignité et de la nécessité d'un cap écologique. Et cet ovni qui débarquait dans la Ve République : la Convention citoyenne pour le climat, 150 citoyens tirés au sort qui, après plus d'un an et demi de travaux ont émis 149 propositions d'une très grande qualité, prouvant que, même lorsqu'ils sont très éloignés d'un sujet, si on leur fournit de l'information, l'aide d'experts qualifiés et du temps, les citoyens peuvent construire des compromis et des solutions à la hauteur des défis.

Tout à coup, tout s'accélérait. Le Président avait promis, hormis trois jokers, que sa majorité reprendrait « sans filtre » les propositions de la Convention. Des milliers de petites mains – de jeunes, de militants, de juristes, d'experts – se sont activées en tous sens pour appuyer le travail parlementaire, l'affiner, faire de ces 149 propositions une réalité concrète, qui nous permettrait d'atteindre nos objectifs et redonner espoir à toute une génération. Pourtant, si le Gouvernement s'est vanté d'avoir repris 67 % des propositions, le journal Le Monde n'en comptabilise que 12 %. Cent filtres sont venus tamiser un projet de loi sur lequel pesait déjà l'accusation de viser des objectifs trop faibles, la réduction de 40 % de nos émissions de gaz à effet de serre étant vouée à être revue si l'on veut atteindre l'objectif européen d'une réduction de 55 %. Le verdict sera finalement posé par le Haut Conseil pour le climat, qui affirmera que la loi ne va pas assez loin : ne permettant pas de rattraper le retard pris par notre pays, elle n'est pas à la hauteur de nos objectifs de réduction d'émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2030.

Vous vous demandez peut-être ce qui pousse tant de personnes à se coller au goudron pour bloquer les routes, à jeter de la peinture sur des œuvres d'art, à mettre de côté leur vie familiale, leur travail, leur santé, leur liberté pour clamer leur désespoir. C'est le sentiment d'impuissance.

Où sont passées les propositions visant à interdire la publicité pour les produits les plus polluants ? Celles concernant le bilan carbone des entreprises ? Où est passée l'obligation de rénovation énergétique globale et performante des logements ? Où est la criminalisation de l'écocide – car un simple délit est loin de dissuader les pollueurs majeurs de la planète ? Qu'en est-il de l'instauration d'un chèque « bien manger » ? Alors que les 150 citoyens tirés au sort avaient émis nombre de propositions s'appliquant au secteur agricole, deuxième secteur le plus émetteur en France, la loi « climat et résilience » n'a fait que retarder la mise en place de mesures clés permettant de soutenir l'agriculture biologique, de réduire drastiquement l'utilisation des engrais ou de nous encourager à réduire notre consommation de viande.

Alors que la Convention proposait de supprimer les vols intérieurs, dès lors qu'il existe une solution alternative bas-carbone, satisfaisante en prix et en temps, sur un trajet de moins de quatre heures, la loi s'est montrée moins ambitieuse et a choisi de s'en tenir aux trajets n'excédant pas deux heures et demie. Heureusement, il ne s'agit que du secteur… le plus polluant ! Sentiment d'impuissance.

Au-delà des insuffisances de la loi, c'est son application qui, plus d'un an après sa promulgation, fait défaut. Le Sénat relevait en juin dernier qu'au 31 mars 2022, sur les 142 mesures adoptées, seules 14, soit moins de 10 % du texte, avaient été effectivement prises. Ce niveau exceptionnellement faible s'explique notamment par le retard pris par le Gouvernement dans la publication des textes d'application de la loi. Vous invoquiez pourtant l'urgence climatique !

Comme le soulignait Bruno Latour, « le contraste entre le calme avec lequel nous continuons à vivre tranquillement et ce qui nous arrive est vertigineux ». Il nous faut fixer le cap, nous y tenir et entraîner tout le monde : les puissants en fixant des obligations, et les plus vulnérables en les accompagnant. Garder le cap, c'est la seule chose qu'il importe de faire désormais.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion