Intervention de Sophie Taillé-Polian

Séance en hémicycle du mardi 17 janvier 2023 à 15h00
Proposition de législation européenne sur la liberté des médias — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSophie Taillé-Polian :

Tout d'abord, je remercie le rapporteur pour son état d'esprit très constructif durant nos travaux. Le groupe écologiste accueille très favorablement la proposition de législation européenne sur la liberté des médias. Mais si l'Europe demeure l'un des continents les plus favorables à la liberté de la presse, il n'empêche que cette dernière a été sérieusement mise à mal au cours des dernières années – et la France n'y fait pas exception.

Cinq journalistes, qui enquêtaient sur des faits de corruption, ont été assassinés en cinq ans sur le sol européen et ses frontières. L'arrivée au pouvoir de nationalistes en Pologne, en Hongrie et en Italie – les amis de certains –, s'accompagne d'une hausse des exactions commises sur des journalistes.

Orbán, Morawiecki et Meloni n'ont pas tardé, une fois au pouvoir, à déployer un arsenal juridique répressif à l'égard de la presse. La Hongrie a usé du harcèlement administratif jusqu'à faire disparaître la principale radio privée indépendante de Budapest. La Pologne a d'abord supprimé les aides à la presse pour les médias critiques du pouvoir avant d'instaurer des taxes démesurées qui ont conduit les médias indépendants à la faillite et à leur rachat par les milieux patronaux proches du pouvoir. En Italie, des procès-bâillons ont visé les journalistes qui critiquent l'inhumanité de la politique antiréfugiés de Mme Meloni. À l'occasion de ce débat, j'adresse à mon tour le plus profond soutien et respect de mon groupe à tous les journalistes qui sont sur le terrain et prennent des risques pour nous, pour la démocratie.

Nous approuvons donc la volonté, exprimée dans la proposition européenne, d'élever l'information au rang de bien public, d'offrir à chaque média européen des garanties contre l'ingérence politique dans ses décisions éditoriales, la surveillance étatique et l'espionnage. Nous approuvons les objectifs fondamentaux affichés : garantir les droits de la presse vis-à-vis des plateformes numériques ; promouvoir une meilleure transparence actionnariale, même légère, car savoir qui possède quoi est déterminant pour comprendre d'où chacun s'exprime.

Cependant, nous ne sommes pas totalement à l'aise avec la rédaction de certaines propositions laissant en quelque sorte penser qu'il y aurait deux Europe : celle de la Hongrie et des pays illibéraux ; celle de pays comme la France où tout irait bien. Ce serait se gonfler d'orgueil car la liberté recule aussi en France, pays qui est passé du onzième au vingt-quatrième rang en vingt ans dans le classement mondial de la liberté de la presse de Reporters sans frontières.

Ne nions pas la réalité : en France, des journalistes sont régulièrement blessés par les forces de l'ordre pendant des manifestations qu'ils couvrent ; ils sont la cible d'interpellations arbitraires, je pense particulièrement aux journalistes de Reporterre, condamnés pour avoir couvert une action militante ; ils peuvent être convoqués par la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) au nom de la défense nationale, comme ce fut le cas il y a à peine un mois.

Et surtout, on observe en France un niveau record de concentration actionnariale des médias dans les mains d'une poignée d'industriels qui, comme M. Bolloré, ne se privent pas de fabriquer de toutes pièces des candidats à l'élection présidentielle. Sur leurs chaînes, on ne se prive pas non plus de plaider pour l'anéantissement de l'audiovisuel public, accusé de coûter trop cher. Pour notre part, nous trouvons que c'est leur travail qui coûte cher à la démocratie.

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