Intervention de Sabrina Sebaihi

Séance en hémicycle du mercredi 1er février 2023 à 15h00
Accords sur le partage de l'information maritime et sur la coordination des opérations en mer dans l'océan indien occidental — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSabrina Sebaihi, rapporteure de la commission des affaires étrangères :

Nous examinons donc un projet de loi portant sur l'approbation de deux accords visant à renforcer la réponse à l'insécurité maritime dans la partie occidentale de l'océan Indien. En préambule, je tiens à remercier tous les membres de la commission des affaires étrangères : grâce à la qualité de nos débats, nous avons pu percevoir les apports et les limites de ce texte. La commission l'a adopté sans modification, mais nos échanges ont mis en évidence quelques points d'ombre et d'amélioration.

Revenons rapidement sur les raisons pour lesquelles cette région est primordiale. La France y compte un million de ressortissants, un quart de sa zone économique exclusive, deux bases militaires, l'une à Djibouti et l'autre à La Réunion. En outre, une part importante de nos approvisionnements transite par cette zone. La France étant riveraine de l'océan Indien, nous déployons naturellement des efforts pour nous intégrer dans cette région, en développant des actions de coopération ou en investissant des organisations régionales.

Dans cette région, tous les pays sont confrontés à un défi commun : celui de l'insécurité maritime, qui nous évoque spontanément la piraterie au large de la corne de l'Afrique ou le terrorisme dans le canal du Mozambique. Or les menaces sont multiples : contrebande, trafic de drogues, d'armes et de personnes, ou pêche illicite sur laquelle nous n'insistons pas assez.

Depuis des années, l'Europe est l'un des principaux pourvoyeurs de sécurité maritime dans l'océan Indien occidental. Dans le cadre de sa récente stratégie indo-pacifique, l'Union européenne a développé le concept de présence maritime coordonnée (PMC) qui vise précisément à mieux coordonner les déploiements des marines européennes dans la zone, sur le modèle de ce qui existe notamment dans le golfe de Guinée.

De façon très positive, les pays riverains ont manifesté au cours des dernières années leur volonté d'assurer eux-mêmes une plus grande part des efforts de sécurisation maritime dans la région. Ces efforts convergent au sein du programme Mase, qui peut être considéré comme le socle de l'architecture régionale de sécurité maritime à l'ouest de l'océan Indien. Ce programme se distingue de l'action conduite par l'Union européenne par deux caractéristiques : il ne dépend pas d'une impulsion extérieure à la région ; il traite tout le spectre de l'insécurité maritime, et pas seulement la piraterie ou le terrorisme.

Les deux accords en débat s'insèrent dans le cadre de ce programme Mase qu'ils ont vocation à renforcer.

Le premier vise à approfondir le partage de l'information maritime pour améliorer le suivi des activités des bateaux dans la zone. Pour résumer, il prévoit que les États parties établissent un cadre pour échanger des informations, veillant à l'intégrité et à la confidentialité de ces dernières et limitant l'usage qui peut en être fait.

Le deuxième accord vise à renforcer la coordination des opérations en mer. Prenons un exemple. Grâce à cet accord, un navire français, embarquant des agents de sécurité français et malgaches et guidé depuis les Seychelles, pourra intervenir dans une mission de sauvetage en mer ou arraisonner une embarcation soupçonnée de trafic de stupéfiants.

Ces deux accords disposeront d'une assise institutionnelle grâce à deux centres régionaux, l'un situé à Madagascar et responsable de la fusion de l'information maritime, l'autre basé aux Seychelles et chargé de la planification des opérations en mer.

L'élan en faveur de la coopération régionale est toutefois tempéré par un élan contraire qui tend à préserver la souveraineté des États parties. D'abord, tout échange d'information maritime reste à la discrétion des États. En d'autres termes, il n'y a aucune obligation. Ensuite, les réserves sont autorisées. La France prévoit ainsi d'en faire usage pour exclure toute information classifiée du champ des informations pouvant être communiquées dans le cadre de ces accords. Enfin, les modalités de coopération les plus poussées, comme celles qui permettent d'embarquer des forces de sécurité d'un État sur le navire d'un autre État, nécessitent la conclusion d'accords complémentaires.

Si ce nouveau cadre normatif semble relativement positif, il ne sera pas mis en œuvre dans les faits s'il ne s'accompagne pas d'une réelle volonté politique de la France – qui devra consentir des moyens administratifs et budgétaires pour jouer pleinement son rôle dans la coopération régionale – et des autres États riverains – dont les ressources sont beaucoup plus comptées que les nôtres.

Venons-en au point d'amélioration souligné lors de nos discussions en commission des affaires étrangères, à savoir la nécessité de renforcer la lutte contre une menace bien particulière : le fléau de la surpêche. Il ne s'agit pas de relativiser les autres menaces – comme la piraterie – qui pèsent sur la région. Mais si la piraterie a fortement diminué au cours des dernières années, ce n'est le cas ni de la surpêche ni même de la pêche illégale. Or l'océan Indien est une zone particulièrement sensible car beaucoup de populations des pays côtiers dépendent de la pêche pour survivre.

Notre pays a ici une responsabilité majeure : la France est l'un des principaux acteurs de la pêche industrielle dans cette partie du monde et nos bateaux utilisent des méthodes destructrices pour l'environnement. Outre qu'elle dégrade l'environnement, la surpêche renforce aussi l'insécurité maritime elle-même. Quand elle prive les populations locales de moyens de subsistance, elle contribue à l'insécurité alimentaire et à l'instabilité politique. Quand elle prive les pêcheurs locaux des moyens de nourrir leur famille, elle contribue aussi à la piraterie et au trafic de drogue.

Certes, ces accords incluent la lutte contre les atteintes à l'environnement marin. Encore faut-il qu'ils soient mis en œuvre. Et s'ils incluent théoriquement la lutte contre la pêche illégale, ils ne permettront pas de s'attaquer au problème plus global de la surpêche, dont une large partie reste légale.

C'est pourquoi je réitère les recommandations qui ont été émises lors de l'examen en commission : adopter des normes internationales, régionales et françaises plus contraignantes ; renforcer la transparence dans le secteur de la pêche industrielle ; interdire les méthodes de pêche les plus nocives pour l'environnement.

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