Intervention de Emmanuelle Ménard

Séance en hémicycle du jeudi 9 février 2023 à 9h00
Cout de la vie en outre-mer — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaEmmanuelle Ménard :

C'est un champ d'îles déployées sur trois océans, tourmenté par des meutes de vent, parachevé par une nature sauvage, presque originelle. Sur leurs côtes, dans leurs lagons, au sommet de leurs montagnes, de leurs volcans, dans les creux de leurs plaines, se cachent une faune et une flore digne de l'Éden. Les traditions y sont légion et les coutumes innombrables. Elles ont leur art de vivre, leur culture, leur identité, leur spécificité aussi, mais toutes sont françaises.

Ces îles françaises, il faut le dire, se sentent délaissées, abandonnées. Si leur cadre de vie est idyllique, leurs conditions de vie le sont beaucoup moins ; et comme souvent, les chiffres parlent d'eux-mêmes. Selon une enquête de l'Insee intitulée « Une pauvreté marquée dans les DOM, notamment en Guyane et à Mayotte » et datant de juillet 2020, le niveau de vie médian de la population des départements ultramarins est moins élevé que dans l'Hexagone. Le taux de pauvreté calculé selon le seuil national est de 34 % en Guadeloupe, 33 % en Martinique, 42 % à La Réunion et 53 % en Guyane ; il atteint même 77 % à Mayotte, contre 14 % en France métropolitaine.

Toujours selon l'Insee, dans une étude datant cette fois de 2015, les prix s'avèrent plus élevés dans les départements ultramarins que dans l'Hexagone : ils le sont de 12 % aux Antilles, de 11,7 % en Guyane et de 7 % à La Réunion et à Mayotte. Un tel écart provient majoritairement des prix des produits alimentaires : en la matière, le différentiel par rapport à l'Hexagone s'élève à plus de 37 % à La Réunion, 42 % en Guadeloupe, 45 % en Guyane et 48 % en Martinique ; il atteint même 64 % à Mayotte.

De tels écarts s'expliquent non seulement par la grande dépendance des territoires ultramarins aux produits importés, qui représentent 74 % des achats des distributeurs, mais aussi par l'importance des frais de transport, liée à leur éloignement géographique. Ces derniers représentent tout de même 16 % du coût d'un produit pour un distributeur, coût qui, mécaniquement, a des conséquences sur le porte-monnaie des consommateurs. Un seul exemple suffit pour comprendre la situation : à Mayotte, le pack d'eau coûte 9 euros ! Notons également que l'exiguïté des territoires ultramarins favorise les ententes : les distributeurs ne sont pas engagés dans une guerre des prix comparable à ce qui peut être constaté en métropole.

Pour corriger le tir, il est urgent d'adapter un certain nombre de dispositifs. Je pense au bouclier qualité prix, qu'il serait pertinent d'élargir. Un effort a été fait en décembre 2022, puisque ce bouclier a été étendu à de nouveaux produits, mais il a été jugé encore insuffisant par de nombreux acteurs, dont l'observatoire des prix, des marges et des revenus.

Il me semble aussi que les lacunes des projets de loi de finances doivent être comblées. Si l'on peut reconnaître que la loi du 16 août 2022 portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat, de même que la loi du 16 août 2022 de finances rectificative pour 2022, ont prévu des mesures pour soutenir le pouvoir d'achat des ménages ainsi que des mécanismes d'aides aux collectivités territoriales, ceux-ci s'appliquent malheureusement de manière uniforme sur l'ensemble du territoire national, en ne tenant compte que très à la marge des spécificités des territoires d'outre-mer.

Notons également que plusieurs dispositifs d'aide spécifiques aux outre-mer ont été amputés ou ont tout simplement disparu. Je pense à la TVA non perçue récupérable (TVA NPR) des entreprises, supprimée en 2018 – elle représentait une dépense fiscale annuelle de 100 millions d'euros ; je pense aussi à l'allègement des cotisations sociales des travailleurs indépendants, diminuées de 40 millions d'euros à partir de 2018, sans oublier la diminution de l'abattement relatif à l'impôt sur le revenu, censé rapporter 70 millions par an et qui doit finalement permettre de récupérer 400 millions, ainsi que la défiscalisation qui est passée de 1 milliard en 2011 à moins de 500 millions en 2022.

D'après notre collègue Johnny Hajjar, la suppression de l'octroi de mer et son remplacement par une TVA à 20 % seraient à craindre. Si tel était le cas, cela aura des conséquences désastreuses pour le développement des collectivités locales, car l'octroi de mer est une ressource financière pour celles-ci, à l'inverse de la TVA.

Ce sont autant de problèmes qu'il faut considérer en apportant des solutions sectorisées en fonction de chaque territoire ultramarin, car chacun est particulier et ne peut se satisfaire de dispositifs harmonisés et déconnectés du réel. Ainsi, la création d'une commission d'enquête sur la vie chère me paraît tout à fait justifiée et je voterai pour, tout en sachant que les difficultés rencontrées dans certains territoires ultramarins sont structurelles, comme à Mayotte qui se paupérise notamment à cause d'un flux migratoire incontrôlé.

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