Intervention de Alain David

Séance en hémicycle du mardi 28 février 2023 à 15h00
Baisse démographique en france

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlain David :

La tendance à la baisse du taux de fécondité est avérée dans notre pays. Même si la France demeure l'un des meilleurs élèves d'Europe, le nombre de naissances, de 723 000 en 2022, est historiquement bas. Si cette tendance perdurait, cela aurait évidemment des conséquences de long terme, et je ne suis pas surpris de la malice qui consiste à programmer ce débat lors de notre semaine de contrôle, alors que les discussions sur la réforme des retraites ont animé notre hémicycle et se poursuivent désormais chez nos collègues sénateurs.

Est-il de bon ton de vouloir justifier cette régression sociale et l'allongement de la durée de cotisation en évoquant l'alourdissement supposément insupportable du fardeau des retraites, et le vieillissement supposément inquiétant de la population ?

C'est passer un peu rapidement sur les très nombreux leviers d'une politique démographique.

Ainsi, dans notre pays, carrefour géographique et creuset de la tradition d'accueil, le solde migratoire reste une chance malgré les débats nauséabonds. Il y a aussi le taux de mortalité qui, malgré les progrès de la médecine, peut toujours subir des évolutions. Quant à la productivité, elle évolue et, rappelons-le, elle reste à un niveau très élevé en France. Enfin le niveau de chômage est la clé de la capacité des travailleurs français à financer notre système envié de protection sociale.

L'éminent démographe Hervé Le Bras rappelait récemment que les différents scénarios établis par le Conseil d'orientation des retraites (COR) reposaient sur une série d'hypothèses en matière de mortalité, de natalité, de solde migratoire, de taux de productivité et de taux de chômage. Pas moins de 108 combinaisons sont ainsi possibles, sans que l'on puisse préjuger si certaines sont plus plausibles que d'autres. C'est l'une de ces combinaisons, dite projection centrale, aboutissant à un éventuel déficit de 12 milliards d'euros en 2027, qui a été abondamment reprise – un peu comme le chiffre mensonger de 1 200 euros pour les petites retraites, comme l'a démontré avec talent mon collègue Jérôme Guedj. Il aurait donc été souhaitable d'aborder la question moins dogmatiquement et de ne pas décider a priori qu'il fallait imposer aux Français une régression sociale injuste.

Les remarquables travaux parlementaires proposent pourtant régulièrement des pistes transpartisanes et ambitieuses pour remédier, par exemple, à la baisse de la fécondité, qui reste quand même l'une des plus élevées d'Europe, avec 1,8 enfant par femme.

Ainsi, lors d'une précédente législature, nos collègues Michel Heinrich et Régis Juanico ont déposé un rapport d'information sur l'évaluation de la performance des politiques sociales en Europe. Ils ont montré que des politiques publiques volontaristes pouvaient avoir des effets indéniables sur le taux de fécondité : politiques familiales ; aide à la garde d'enfants et service public de la petite enfance, afin d'augmenter le taux d'activité des parents ; promotion de l'égalité entre les femmes et les hommes. Ces exemples prouvent que d'autres pistes pourraient être explorées pour financer notre système de retraite par répartition. Le président du groupe Socialistes et apparentés, Boris Vallaud, l'a justement rappelé lors des débats sur la réforme.

Le Gouvernement a choisi d'ignorer toutes ces pistes alternatives et de se concentrer sur l'allongement de la durée de cotisation. Cette contre-réforme est donc un impôt, que le Gouvernement cherche à prélever sur la vie des gens. C'est un impôt injuste, dégressif, qui prend beaucoup à ceux qui possèdent peu et peu à ceux qui possèdent beaucoup ; un impôt sur la vie des classes populaires et des classes moyennes ; un impôt sur les carrières longues et les carrières pénibles. Voilà la vérité à laquelle cette contre-réforme ne changera rien. Pire, elle aggraverait toutes les injustices, approfondirait toutes les inégalités : c'est du sel jeté sur les plaies de la vie. Après la contre-réforme, la probabilité de mourir avant d'atteindre l'âge de la retraite augmentera deux fois plus pour les plus modestes que pour les plus aisés.

Je le répète, l'éventuelle confirmation de la tendance à une baisse de la fécondité ne peut justifier la contre-réforme des retraites. D'abord parce qu'il ne s'agit pas de la seule variable de l'équilibre de notre système – vous remarquerez que je n'ai pas évoqué la taxation des superprofits –, ensuite parce que si l'on peut convenir qu'il s'agit d'un critère important, il existe néanmoins de nombreuses politiques publiques pour encourager la natalité et inverser cette tendance.

Un pays plus juste, des conditions de vie améliorées, une retraite accessible en bonne santé, sont autant d'incitations fortes à avoir foi en l'avenir des siens en général et de ses éventuels enfants en particulier.

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