Intervention de Frédéric Charillon

Réunion du jeudi 19 janvier 2023 à 18h00
Commission d'enquête relative aux ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères-États, organisations, entreprises, groupes d'intérêts, personnes privées-visant à influencer ou corrompre des relais d'opinion, des

Frédéric Charillon, professeur en sciences politiques à l'université Paris Cité :

Israël conduit une stratégie d'influence, que j'évoque d'ailleurs dans mon livre. J'ai notamment interrogé des personnes considérées comme des relais d'Israël et qui ne s'en cachent pas. À cet égard, il y a sans doute là une différence majeure entre les démocraties et les pays autoritaires : les personnes qui défendent les démocraties dans le débat public avancent à visage découvert.

De nombreux travaux universitaires ont d'ailleurs été menés sur la question de la stratégie d'influence d'Israël. Je pense notamment au célèbre livre Le Lobby pro-israélien et la politique étrangère américaine de John Mearsheimer et Stephen Walt, que l'on ne peut suspecter d'antisémitisme. Ces derniers ont ainsi décortiqué les mécanismes de cette influence tout en démystifiant un certain nombre de fantasmes. L'action des réseaux n'est d'ailleurs pas univoque : dans le cas d'Israël, les lobbys AIPAC et J Street sont plus attachés à des partis politiques qu'à l'État d'Israël à proprement parler.

La Turquie a également mis au point une stratégie d'influence à travers la gestion du culte musulman, qui tourne parfois à l'intimidation. Je pense tout particulièrement aux actions de la Diyanet, qui jouit d'une visibilité et de moyens financiers importants.

Tout le monde n'est pas à armes égales face à ces stratégies, d'autant que les alliances peuvent être mouvantes. Jusqu'à peu, les pays du Golfe faisaient par exemple bloc au sein du Conseil de coopération du Golfe. À partir de 2017, le Qatar a été soumis à un blocus sous les accusations de plusieurs pays dont l'Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis. La Turquie a longtemps été associée au Qatar, mais depuis quelque temps, le rapprochement d'Erdogan avec le régime saoudien entraîne des dissensions. Pour étudier et suivre ce paysage changeant, il faudrait disposer d'un observatoire. De la même manière, certains pays dont on parle peu, comme les pays scandinaves ou l'Australie, réussissent en toute discrétion à élaborer une excellente stratégie d'influence, notamment dans les instances internationales. En Afrique, un pays comme le Rwanda a également réussi à obtenir des positions importantes, notamment dans les opérations de maintien de la paix.

Le Maroc mène de son côté une stratégie intéressante : les MEDays de Tanger étaient initialement des journées stratégiques orientées comme leur nom l'indique vers la Méditerranée, mais leur objet s'est progressivement élargi pour concerner aujourd'hui l'ensemble de l'Afrique subsaharienne. En réalité, presque tous les pays conduisent aujourd'hui une stratégie d'influence à leur mesure, qu'il s'agisse d'enjeux liés seulement à la sécurité nationale ou d'ambitions plus larges.

Pour en revenir à votre question, l'Arménie mène aussi une telle stratégie, même si elle paraît aujourd'hui plus impuissante face à l'alliance turco-azérie en raison du moindre intérêt de la Russie. En résumé, quand on y regarde de plus près, on découvre une palette de stratégies nationales d'influence qui méritent d'être étudiées avec attention. Au sein de l'Union européenne, des pays moins puissants que la France en termes politiques, démographiques ou militaires sont parvenus à des résultats notables à Bruxelles. Je pense notamment au Portugal qui est devenu très influent au sein de l'Union dans les années 1990 et 2000.

On pourrait évoquer à loisir d'autres réussites, à l'image de la Corée du Sud et même de la Nouvelle-Zélande dans certains secteurs – c'est aujourd'hui le nouvel Eldorado des étudiants.

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