Intervention de Karine Lebon

Séance en hémicycle du jeudi 2 mars 2023 à 15h00
Instaurer une majorité numérique et lutter contre la haine en ligne — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaKarine Lebon :

En inscrivant cette proposition de loi dans sa niche parlementaire, le groupe Horizons et apparentés pointe un sujet majeur, sur lequel il est temps d'avancer : l'usage par les mineurs d'internet et des réseaux sociaux. Nous sommes tous et toutes conscients des conséquences sur les enfants et de la nécessité de mieux encadrer les plateformes, d'accompagner les parents et de lutter contre le fléau du cyberharcèlement.

Comme l'ont souligné M. le rapporteur et plusieurs groupes en commission, la nécessité de légiférer en la matière se heurte à plusieurs limites ; toutefois, cela ne doit pas servir de prétexte à l'inaction et à la procrastination. Qui ne veut rien faire trouve des excuses, qui veut faire trouve des moyens : c'est dans cet état d'esprit que le groupe Gauche démocrate et républicaine – NUPES aborde la proposition de loi.

La situation de ces milliers d'enfants à travers la France hexagonale et les outre-mer nous oblige : cela commence par un message, puis se transforme progressivement en un mouvement de masse, jusqu'à ce que l'enfant, ne sachant vers qui se tourner, craque définitivement. « N'ayez plus peur de parler ! » : tel est le message de la maman de Lucas, qui, à seulement 13 ans, a décidé de mettre fin à ses jours. Nous avons ici une pensée émue pour toutes celles et tous ceux qui n'ont pu surmonter cette horde de messages haineux et insultants, pour toutes ces vies confisquées, ces enfances et ces adolescences brisées.

S'agissant du respect des obligations réglementaires de ces plateformes, les chiffres illustrent l'ampleur du décalage entre la théorie et la pratique. Malgré l'existence d'un âge minimum requis pour s'y inscrire, 60 % des enfants de moins de 13 ans possèdent un compte sur un réseau social. La prématurité croissante de l'accès aux smartphones expose de plus en plus tôt les enfants aux dérives de l'utilisation constante des nouvelles technologies.

Il n'est pas question de blâmer une quelconque méthode d'éducation ou d'interférer dans l'intimité des foyers. Nous devons au contraire continuer d'accompagner autant que possible les familles dans leur mission. C'est pourquoi les outils de prévention à destination des parents et des tuteurs doivent constituer une priorité de notre action politique. En effet, les parents ignorent souvent le contenu de la vie numérique de leurs enfants et supervisent rarement leur activité. Ainsi, à peine plus de 50 % d'entre eux décident du moment et de la durée de connexion de leurs enfants, et 80 % déclarent ne pas savoir exactement ce que leurs enfants font sur internet ou sur les réseaux sociaux. Si ce manque de visibilité par les parents peut faciliter l'apprentissage de l'autonomie, il peut aussi, malheureusement, favoriser certains phénomènes qui font souvent l'objet d'une triste actualité, comme le cyberharcèlement ou l'exposition à des images inappropriées. S'y ajoutent les nombreuses autres conséquences qu'entraîne pour un jeune public la fréquentation des réseaux sociaux – les premières études des spécialistes laissent présager de leur ampleur.

Que se passe-t-il dans la tête des plus jeunes lorsqu'ils « scrollent » ? Lorsque les réseaux sociaux sont utilisés à bon escient, ils permettent indéniablement d'acquérir des connaissances. Mais ces plateformes, qui devraient pourtant constituer un outil d'affirmation et d'acceptation de soi, mènent au contraire à l'intériorisation des stéréotypes. C'est ainsi qu'on y voit défiler des femmes et des hommes au physique parfait, à qui il faut ressembler, ce qui discrédite automatiquement le naturel des corps adolescents. Convenons-en, l'adolescence est une période difficile pendant laquelle les psychés sont fragiles. Certains adolescents déclarent d'ailleurs ne supporter de se voir en photo qu'avec les filtres que permettent d'appliquer les réseaux sociaux. Les visages naturels apparaissent alors à ces jeunes comme enlaidis, pleins de défauts insupportables.

L'instauration d'une majorité numérique, objet de cette proposition de loi, s'inscrit dans la lignée de la loi du 20 juin 2018 relative à la protection des données personnelles, qui a modifié la loi du 6 janvier 1978, dite loi informatique et libertés. Nous sommes favorables au choix de l'âge de 15 ans, conforme à la législation européenne et aux préconisations de la Cnil. L'obligation faite aux plateformes de contrôler de manière effective l'âge des utilisateurs est également bienvenue, même si elle se heurte une nouvelle fois à l'écueil technologique de la protection des données. Ce texte prévoit également que les entreprises de réseaux sociaux fournissent sur réquisition judiciaire, dans un délai de dix jours, réduit à huit heures dans les cas les plus urgents, toute information jugée utile dans le cadre d'une enquête. Nous considérons cette disposition comme une avancée, même si nous aurions préféré un délai de quarante-huit heures, étant donné les graves conséquences que peut engendrer la lenteur des procédures. Enfin, le groupe Gauche démocrate et républicaine – NUPES souscrit aux deux demandes de rapport, en particulier à celle prévue à l'article 4, qui permettra de parfaire nos connaissances quant aux conséquences de l'utilisation des plateformes et des réseaux sociaux chez les jeunes.

Nous voterons donc pour ce texte, première pierre d'un édifice plus large qu'il nous revient de construire ensemble.

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