Intervention de Anna Pic

Séance en hémicycle du lundi 13 mars 2023 à 16h00
Accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires et fonctionnement des installations existantes — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAnna Pic :

En décembre dernier, nous examinions le projet de loi relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables. Quelques semaines plus tard, nous débutons l'examen du présent projet de loi, qui vise à relancer la filière nucléaire. Qu'ont en commun ces deux textes ?

D'une part, ils prévoient un allégement parfois hasardeux des procédures administratives en vigueur, pour faciliter les installations d'énergies renouvelables et nucléaires. D'autre part, ils ont une fâcheuse tendance à préempter le débat relatif aux grandes orientations énergétiques du pays, alors que le projet de loi de programmation sur l'énergie et le climat doit être examiné dans quelques mois. Curieuse façon de concevoir la fabrique de la loi que de vous assurer que rien ne viendra perturber votre dessein, avant même que la stratégie générale de politique énergétique soit établie. Nous ne partageons pas cette conception de l'élaboration de la loi, mais elle est sans doute fidèle à la volonté du Président de la République. N'a-t-il pas décidé seul, il y a à peine plus d'un an, de relancer l'industrie nucléaire ?

Venons-en au projet de loi qui nous intéresse aujourd'hui. Les besoins mondiaux en électricité vont croissant, or nous disposons dorénavant de moins de trente ans pour atteindre l'objectif de neutralité carbone que nous nous sommes fixé. Dans ce contexte, le groupe Socialistes et apparentés n'est pas antinucléaire par principe. Nous assumons même de considérer qu'il est nécessaire de faire de cette énergie décarbonée et pilotable une énergie de transition, afin d'éviter que le dérèglement climatique ne soit irréversible. Pour autant, nous ne pouvons pas raisonnablement approuver la relance que vous proposez, pour plusieurs raisons.

Premièrement, votre projet se heurtera irrémédiablement à la complexité du réel. La France n'a pas mené de programme de construction quasi simultanée de plusieurs réacteurs depuis plus de vingt ans. Ce constat est d'abord synonyme d'un véritable manque de compétences industrielles, dont Flamanville 3 est certainement le meilleur exemple. Ensuite, l'outil de production est notablement dégradé. Enfin, nous payons collectivement le prix du délitement du tissu de sous-traitance.

Tout cela, l'Autorité de sûreté nucléaire en a parfaitement conscience, raison pour laquelle elle appelle à un plan Marshall qui pourrait se révéler une chimère. L'exploitant EDF ne dit pas autre chose. La pyramide des âges entraînera le départ à la retraite de 70 000 des 220 000 travailleurs de la filière dans les années à venir. Dans le même temps, il faudra quelque 300 000 personnes pour réaliser la relance souhaitée. Il faudra donc trouver et former 150 000 ingénieurs, techniciens et ouvriers au cours des dix prochaines années, dans des secteurs parfois en très forte tension.

Deuxièmement, la relance que vous appelez de vos vœux ne tient absolument pas compte du cycle de vie du combustible, qui constitue pourtant d'ores et déjà un enjeu majeur. Au cours de l'examen du texte, nous proposerons l'élaboration d'une loi de programmation quinquennale entièrement dédiée à cet aspect, ainsi que la remise d'un rapport qui détermine les moyens nécessaires pour garantir la réussite de chaque étape, de l'extraction au stockage définitif, en passant par le recyclage et le retraitement.

Enfin, votre volonté de fusion-absorption de l'IRSN par l'ASN est à la fois grave et préoccupante. Sur la forme, on ne peut prévoir une réorganisation de cette ampleur par voie d'amendement, sans aucune étude d'impact et à rebours des conclusions de la Cour des comptes. Sur le fond, ce que vous considérez comme une fluidification est incompatible avec la possibilité de maintenir une indépendance entre la fonction de régulateur, qui est celle de l'ASN, et la mission d'expertise de l'IRSN, ce qui fait pourtant la force de notre modèle de sûreté.

En tout état de cause, il serait aventureux d'envoyer un tel signal à l'orée d'une prolongation du parc existant et d'une éventuelle relance. En matière de sûreté nucléaire, la France est considérée, à juste titre, comme une référence à travers le monde : notre organisation y participe grandement. Nous veillerons fermement à ce qu'il en aille toujours ainsi car nous ne voulons pas d'un nucléaire low cost. La relance souhaitée par le Président de la République, aussi discutable soit-elle – et nous en discuterons lors de la loi de programmation –, ne doit en aucun cas servir de prétexte au nivellement par le bas de nos normes de sécurité.

Ce projet de loi, comme la loi relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables, pose la question bien plus vaste des orientations énergétiques que la représentation nationale souhaite donner à la France pour les prochaines années. En outre, à l'heure où les factures énergétiques des Français s'envolent, nous veillerons légitimement, tout au long de l'examen du texte, à préserver leurs intérêts. Dès lors, notre position dépendra de l'évolution des débats et du sort qui sera réservé à nos amendements.

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