Intervention de Emmanuelle Ménard

Séance en hémicycle du lundi 13 mars 2023 à 16h00
Accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires et fonctionnement des installations existantes — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaEmmanuelle Ménard :

Évoquer la question du nucléaire français, c'est parler d'une vision mais aussi d'un fiasco. En cela, vous avez raison, madame la rapporteure, quand vous soutenez en commission que « ce n'est pas en se refilant la patate chaude concernant l'état de la filière qu'on fera avancer le débat ». Cependant, la commission d'enquête en cours sur la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la France montre d'ores et déjà combien les politiques publiques ont manqué, en la matière, de clairvoyance, d'ambition et de courage. Personne n'a rien vu, personne ne se souvient de rien, mais tout le monde savait. Dommage pour les Français qui payent chaque jour au prix fort une errance faite d'idéologie, de pusillanimité, d'atermoiements, de compromissions et, j'ose le dire, de veulerie. Et cela dure depuis trente ans.

Faut-il égrener ici la litanie des décisions désastreuses qui ont conduit la France à la situation dans laquelle elle se trouve ? Il y a encore vingt ans, grâce au plan Messmer, EDF était le champion mondial du nucléaire, la France bénéficiait d'une électricité parmi les moins chères au monde, et, de plus, d'une énergie décarbonée. Alors que nous aurions dû actuellement engranger des superprofits, il ne nous reste que des pertes records, qui se sont élevées à 19,7 milliards d'euros en 2022.

L'arrêt en 1997 de Superphénix, sans concertation et pour des motifs plus ou moins valables, fut le premier coup porté à notre souveraineté énergétique. Non seulement l'arrêt de ce programme a coûté une fortune, mais il a mis un terme à des années de recherche et de savoir-faire dans le retraitement et l'utilisation des déchets. Il était l'avenir du nucléaire et nous l'avons bradé.

Ensuite, ce fut au tour de Nicolas Sarkozy et de Jean-Louis Borloo d'expliquer que la France n'avait pas besoin de nouvel EPR. Vinrent ensuite François Hollande et son mix énergétique, puis Nicolas Hulot pour lequel le nucléaire était « une folie » – sans parler de la fermeture de Fessenheim décidée par François Hollande et réalisée par Emmanuel Macron, ni de la mise à mort programmée du projet Astrid qui est de toute évidence un immense gâchis.

En février 2022, le Président de la République a annoncé, à grand renfort de communication, un vaste plan de relance qui implique la construction de six voire de quatorze réacteurs de dernière génération d'ici à 2050. Cette bonne nouvelle ne peut rester à l'état d'annonce. Il est urgent d'agir et, en cela, le projet de loi que nous examinons va dans le bon sens, parce qu'il témoigne de cette volonté de faciliter le développement du nucléaire.

Toutefois, je ne peux que m'interroger sur la méthode : pourquoi dissocier énergies renouvelables, nucléaire et programmation pluriannuelle de l'énergie ? Pourquoi ce saucissonnage qui nous empêche d'avoir une vision d'ensemble indispensable pour assurer notre souveraineté énergétique ? Supprimer les articles programmatiques introduits par les sénateurs n'a pas de quoi nous rassurer. De même, nous devons évidemment conserver l'objectif « zéro artificialisation des sols » tout en protégeant non seulement le développement de notre énergie nucléaire, mais aussi, plus généralement, le déploiement de gigafactories d'envergure nationale capables de développer de l'hydrogène bas carbone, par exemple.

Par ailleurs, votre projet de loi reste muet sur l'impact des décisions européennes sur la dépendance énergétique de la France. Entre le marché européen de l'énergie et le mécanisme absurde de l'Arenh, nous sommes devenus les idiots utiles de l'énergie européenne. Il est urgent d'en sortir : la compétitivité de la France est en jeu. En témoignent les récents blocages de l'Union européenne, en particulier avec l'Allemagne et l'Espagne, sur l'hydrogène bas-carbone produit à partir du nucléaire qui, pour l'instant, n'est pas inclus dans la directive européenne révisée sur les énergies renouvelables.

Nous avons les capacités de nous relancer dans la course au nucléaire. Neutrons rapides, sels fondus, fusion nucléaire : ces alternatives existent pour rendre l'énergie atomique encore plus sûre. Et que dire de quelques fleurons français de pointe comme Jimmy Energy, Naarea, Transmutex, Renaissance Fusion ou Genvia à Béziers dans le domaine de l'hydrogène décarboné justement ?

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