Intervention de Pierre Moscovici

Séance en hémicycle du mardi 14 mars 2023 à 15h00
Dépôt du rapport annuel de la cour des comptes

Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes :

…ou je ne sais quelle hache, ce n'est pas ce dont il s'agit. Elle préconise d'examiner sérieusement la qualité de la dépense publique pour réformer les politiques publiques et, in fine, déterminer comment en maîtriser les coûts.

Après 2021, l'année du rebond de l'activité économique, 2022 a été celle d'un premier ralentissement et surtout de l'inflation, ce qui n'a pas permis pas d'améliorer substantiellement le déficit public. Le choc sur les prix de l'énergie et les conséquences de la guerre en Ukraine ont ramené la croissance à 2,6 %, en deçà des 6,8 % de 2021, il est vrai année d'un rattrapage exceptionnel par rapport à la terrible année 2020. L'économie française a heureusement montré des signes de résilience en 2022, mais l'inflation s'est peu à peu imposée dans le paysage et devrait demeurer à des niveaux élevés en 2023, atteignant, selon le projet de loi de finances initiale, 4,2 %, soit un peu moins que la prévision qui fait consensus chez les économistes.

Du côté des recettes publiques, le tableau est là aussi contrasté : elles ont conservé un certain dynamisme en 2022, mais un ralentissement est à prévoir pour 2023. Le taux de prélèvements obligatoires a atteint un pic, à 45,2 %, et devrait diminuer en 2023 pour retrouver son niveau d'avant-crise, soit 44,7 %. Hors CICE – le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi –, les mesures nouvelles en prélèvements obligatoires devraient rapporter au total 5,5 milliards d'euros en 2023 après une baisse de 5,7 milliards en 2022.

En ce qui concerne les baisses pérennes d'impôts, certaines ont été temporairement compensées par une hausse des recettes liées à l'énergie. Disons-le : c'est un dynamisme exceptionnel des recettes, notamment fiscales, qui a caractérisé les exercices 2021 et 2022, sans permettre pour autant une inflexion du déficit du fait d'un dynamisme tout aussi marqué des dépenses. Car, et c'est là pour nous le point le plus préoccupant, la dépense publique continue de croître à un rythme soutenu. Après avoir atteint 1 461 milliards d'euros en 2021, les dépenses publiques ont progressé en valeur de 4,3 % en 2022 et augmenteront, selon les prévisions, de 3,2 % en 2023.

À partir de 2020, le Gouvernement a mis en œuvre le « quoi qu'il en coûte », c'est-à-dire un ensemble de mesures importantes pour soutenir les ménages et les entreprises face aux effets de la crise sanitaire, prolongées ensuite par des dépenses de relance dès l'automne puis de lutte contre l'inflation. Le poids de ces mesures a certes ralenti, mais elles restent très significatives puisqu'elles atteignent 37,5 milliards en 2022 et encore 12,5 milliards en 2023.

L'année 2022 devait marquer la sortie du « quoi qu'il en coûte », mais d'autres dépenses ont pris le relais, notamment pour atténuer la hausse des prix de l'énergie, pour un total de 25 milliards d'euros en 2022 et de 36 milliards en 2023. En parallèle, les dépenses publiques ont été mécaniquement alourdies par l'inflation.

Je ne veux pas ici lancer un dialogue avec le ministre de l'économie et des finances, qui affirme que le « quoi qu'il en coûte » est terminé : il est vrai que certaines mesures sont désormais plus ciblées, mais cela coûte encore très cher – près de 50 milliards d'euros en 2023. Notre message est donc très clair sur ce point : l'ampleur des dépenses engagées en réponse aux crises sanitaire et énergétique brouille l'appréciation de l'évolution de la dépense publique totale. Même si l'on défalque ces mesures exceptionnelles, la dépense publique a continué de progresser en volume de 3,5 % en 2022 et de 0,7 % en 2023, soit un niveau supérieur à ce qui était prévu par la loi de programmation des finances publiques.

Tout cela m'amène à mon dernier point sur les finances publiques, auquel je suis très attaché : la trajectoire de notre dette. Là encore, les scénarios annoncés ne sont pas très satisfaisants. Les déficits ont atteint 6,5 % du PIB en 2021 et devraient se stabiliser autour de 5 % en 2022 et en 2023. C'est un ratio qui reste assez élevé, alors que la croissance va se tasser. Il en résulte une dette publique qui devrait atteindre 111 % de PIB en 2023, soit près de 14 points au-dessus de son niveau d'avant-crise, ce qui représente 700 milliards supplémentaires.

Prenons un peu de recul historique. En 2000, c'est-à-dire lors de l'entrée dans l'euro, la France et l'Allemagne avaient exactement le même taux de dette publique, soit 58,8 % du PIB. Le déficit de l'Allemagne a augmenté de 10 %, celui de l'Italie de 40 % et celui de la France de 55 %. Cet effet de divergence et de stagnation de notre endettement est selon nous tout à fait préoccupant et traduit une dégradation relative de nos finances publiques.

Pour ma part, je n'ai jamais parlé de la France comme d'un pays en faillite. Je ne parle pas non plus de la soutenabilité de notre dette car, fort heureusement, nous avons une signature solide.

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