Intervention de Circé Lienart

Réunion du jeudi 2 mars 2023 à 9h00
Commission d'enquête relative aux révélations des uber files : l'ubérisation, son lobbying et ses conséquences

Circé Lienart, coordinatrice Maison des coursiers :

Je suis coordinatrice de la Maison des coursiers depuis 18 septembre 2021. J'ai auparavant été bénévole à CoopCycle. Cette association souhaite proposer une alternative où les livreurs seraient salariés dans des coopératives.

L'objectif était, dès le départ, de redonner la propriété des moyens de production à ces travailleurs. Nous sommes aujourd'hui une fédération de plus de 65 coopératives dans le monde, dont une importante partie en France avec 150 livreurs.

La première conséquence de l'ubérisation est de tirer vers le bas les secteurs concernés avec du dumping social. En effet, les entreprises qui salarient se retrouvent en situation de concurrence déloyale vis-à-vis des plateformes, puisque ces dernières ne respectent pas les rémunérations minimales prévues par le droit du travail. Elles ne paient pas les cotisations employeur et ne participent pas forcément aux frais de transport, au téléphone professionnel ou encore aux frais d'essence et de réparation du matériel.

À CoopCycle, nous recommandons à nos coopératives de viser un chiffre d'affaires horaire de 35 à 40 euros pour être rentables. Les plateformes ne supportent pas l'ensemble des coûts. Elles ne paient que les courses,et non les temps d'attente, et ne doivent pas respecter le SMIC horaire. En outre, les livreurs doivent eux-mêmes payer les cotisations, les réparations et les frais de transport.

Tout le secteur est tiré vers le bas. Nous l'avons vu avec des plateformes qui ont essayé de salarier. Je pense par exemple à Just-Eat, qui a par exemple annoncé un plan social quelques mois plus tard.

La Maison des coursiers a ouvert en septembre 2021. Ce lieu permet aux travailleurs de se reposer, de prendre un café, d'aller aux toilettes, ou encore de recharger la batterie de leur vélo.

L'essentiel de mon travail est aussi d'accompagner ces travailleurs dans différentes démarches, principalement avec l'Urssaf ou dans l'ouverture des droits de santé à la Sécurité sociale et pour remplir le formulaire spécifique pour le paiement des impôts. Je peux également être amenée à les aider à trouver un emploi salarié. 80 % des personnes que je reçois préféreraient être salariés.

Nous disposons également de permanences syndicales, avec notamment le syndicat Sud Commerces et Services et la CNT-SO.

Dans le cadre de cette activité, j'ai reçu 690 livreurs « uberisés » et j'ai la possibilité de témoigner d'une part de leur réalité.

75 % d'entre eux travaillent au moins six jours par semaine et 56 % travaillent entre neuf et douze heures par jour, sachant que le temps de travail augmente avec l'allongement continu des plages de livraison.

80 % des livreurs accueillis touchent moins de 1 500 euros bruts par mois, en moyenne, sans prendre en compte les 22 % de cotisation de l'Urssaf et les frais que cette activité entraîne (réparation du vélo, essence, pass Navigo, etc.).

Les trois quarts des personnes que je reçois sont sans papiers et travaillent beaucoup. 80 % de ces sans-papiers sont en France depuis plus de trois ans et 28 % depuis plus de cinq ans.

56 % de ces travailleurs ont livré pendant le confinement, ce qui a permis d'atténuer les effets négatifs du confinement en permettant aux Français de se faire livrer. Ils ont surtout permis à de nombreuses plateformes de se développer pendant cette période.

Parmi ces sans-papiers, 175 ont travaillé en leur nom, sans sous-louer de compte. Uber et d'autres plateformes cherchent à faire oublier cette réalité. Tous les sans-papiers n'ont pas sous-loué leur compte. De nombreuses personnes ont travaillé, cotisé et payé des impôts en leur nom. Tout ce travail n'a apporté aucune reconnaissance de leurs droits puisque ces personnes ne sont pas salariées.

Parmi les livreurs que j'ai reçus, 205 seraient théoriquement régularisables au titre de la circulaire Valls de 2012, en tenant compte de leur ancienneté de séjour et de leur temps de travail. Or, étant auto-entrepreneurs, ces travailleurs ne peuvent pas bénéficier de la régularisation par le travail qui se fonde uniquement sur des bulletins de salaire. Dans ce cadre, la Maison des coursiers soutient les mobilisations du CLAP, de la CNT-SO et de Sud Commerces et Services qui ont lieu depuis septembre.

Les élections de l'Arpe se sont déroulées du 9 au 16 mai 2022. À la Maison des coursiers, nous avons reçu trente livreurs qui ont essayé de voter. Dix d'entre eux étaient chez Frichti. Cette plateforme est non éligible, n'étant pas considérée comme une plateforme de mise en relation, même si les livreurs sont auto-entrepreneurs et que leur travail est exactement le même que celui d'Uber Eats ou Deliveroo.

Les vingt personnes restantes qui ont essayé de voter ont dû traverser un réel parcours du combattant. Les identifiants étaient envoyés par courriel. Les listes ont été transmises par les plateformes. Les travailleurs qui ont changé d'adresse électronique entre-temps se sont ainsi retrouvés en difficulté.

Par ailleurs, le mot de passe correspondait aux cinq derniers chiffres de l'IBAN renseigné sur les plateformes. Il était impossible de se connecter si le compte avait été perdu. L'identifiant ou le mot de passe manquait dans la grande majorité des cas. Un service téléphonique était disponible mais l'obtention d'informations s'est avérée difficile.

Sur les vingt livreurs qui auraient pu voter aux élections de l'Arpe, seuls deux y sont parvenus à la Maison des coursiers. Ces problèmes techniques expliquent en partie cette participation extrêmement faible enregistrée dans le collège des livreurs (1,8 %) et qui remet quelque peu en question la représentativité de l'Arpe, organisme qui vise à protéger le statut des plateformes, sans forcément protéger les travailleurs.

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