Intervention de Marc Fesneau

Séance en hémicycle du mercredi 22 mars 2023 à 15h00
Approvisionnement en produits de grande consommation — Présentation

Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire :

Je tiens tout d'abord à saluer l'accord intervenu en commission mixte paritaire sur cette proposition de loi, qui porte sur un sujet capital pour l'avenir de l'agriculture : la juste répartition de la valeur entre les différents maillons de la chaîne agroalimentaire. Cet accord est le signe, je crois, de la volonté du Gouvernement, partagée avec le Parlement, d'œuvrer et de continuer à œuvrer en ce sens.

Cette proposition de loi, que le Sénat a adoptée hier et sur laquelle l'Assemblée nationale s'apprête à se prononcer définitivement, contribuera à poursuivre le rééquilibrage des relations commerciales dans la chaîne agroalimentaire et, ce faisant, à assurer un meilleur partage de la valeur au bénéfice des agriculteurs.

Les ajustements apportés s'inscrivent dans la continuité de la loi de 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous et de la loi de 2021 visant à protéger la rémunération des agriculteurs, dites lois Egalim 1 et 2, qui ont déjà produit des effets tout à fait significatifs. C'est du reste ce que constate l'Inspection générale des finances, qui relève une progression de l'excédent brut d'exploitation de la filière agricole – reste la question des industries agroalimentaires, que nous nous efforçons de régler. Ce sont, ne nous y méprenons pas, des éléments déterminants pour préserver notre souveraineté alimentaire.

À cet égard, le texte va globalement dans le bon sens, notamment en prévoyant la nécessaire prolongation – c'était l'un de ses motifs – du dispositif expérimental de relèvement du seuil de revente à perte de 10 % (SRP + 10) pour les produits agricoles et alimentaires. Cette prolongation faisait l'objet d'une attente très forte du monde agricole.

Le texte issu de l'Assemblée nationale proposait de prolonger l'expérimentation jusqu'en 2026 ; c'était aussi, vous le savez, la position exprimée par le Gouvernement. Je vous avais alors indiqué qu'il ne s'agissait pas d'opposer le revenu des agriculteurs à la protection du pouvoir d'achat des ménages – vous l'avez d'ailleurs rappelé, monsieur le rapporteur –, en particulier des plus modestes, mais bien de mener ces deux combats de front.

J'avais également rappelé qu'il fallait que nous assumions collectivement le fait qu'une alimentation de qualité, sûre et produite dans des conditions respectueuses de notre environnement, a un coût, de même que le fait de maintenir un outil de production agricole et agroalimentaire dans nos territoires.

J'avais par ailleurs constaté avec vous que l'évaluation de l'expérimentation du SRP + 10 avait été rendue difficile par la crise sanitaire, à laquelle a succédé le choc inflationniste concomitant à la guerre en Ukraine. Il semblait donc au Gouvernement nécessaire de prolonger cette expérimentation, mais en prévoyant les dispositifs de contrôle et d'évaluation adéquats, pour répondre aux préoccupations légitimes exprimées par votre commission et votre rapporteur.

Vos travaux avec le Sénat ont abouti à une prolongation du SRP + 10 jusqu'en 2025. Bien sûr, le Gouvernement demeure convaincu – comme vous l'étiez, au fond – qu'une prolongation de trois années à périmètre constant aurait été plus adaptée, plus opérante, sur le plan de la lisibilité et de la cohérence du dispositif pour les acteurs des relations commerciales.

Je pense naturellement à la désynchronisation des dates respectives de l'encadrement des promotions – 2026 – et du SRP + 10 – 2025 – et à l'exclusion des fruits et légumes sans justification préalable. Malgré ces deux réserves, réelles, il me semble que l'équilibre global est satisfaisant et que l'objectif global est atteint.

J'en viens à présent à l'article 3, qui fixe les modalités de la relation commerciale entre fournisseurs et distributeurs en cas d'échec de la négociation annuelle. Cette disposition, très discutée, avait pour objectif d'apporter une solution adaptée qui comble un angle mort des négociations commerciales annuelles.

Les opérateurs, qu'ils soient fournisseurs ou distributeurs, ont un intérêt commun à ce que les flux de vente ne s'interrompent pas en cas d'échec de la négociation annuelle. Mais parfois, la relation commerciale doit s'interrompre ; c'est précisément cette situation qui requérait un encadrement juridique plus précis.

Le Gouvernement avait indiqué qu'il était nécessaire de poursuivre le travail à l'issue de l'adoption du texte en première lecture par votre assemblée. Ce fut le cas, et je m'en réjouis. À l'issue des travaux en commission au Sénat, le Gouvernement considérait qu'un équilibre satisfaisant avait été trouvé, qui permettait notamment de sécuriser juridiquement le dispositif.

L'écriture retenue en CMP laisse un choix clair au fournisseur et prévoit que tout préavis tienne compte des conditions économiques de marché, précision ô combien utile en période inflationniste. Par ailleurs, le recours à la médiation pour conclure un préavis est facultatif, ce qui évitera l'engorgement du médiateur et le report systématique de la date butoir.

Le texte a atteint son point d'équilibre en évitant les écueils que les versions antérieures avaient pu rencontrer ; parce qu'expérimental, il est empreint d'une certaine prudence.

Je salue par ailleurs le rehaussement des amendes administratives pouvant être infligées en cas de non-respect de la date du 1er mars. Je serai attentif – car c'est de la responsabilité du Gouvernement – à ce que nos services de contrôle se saisissent pleinement de cette disposition afin de lutter contre les pratiques de certains distributeurs, qui sont tentés de jouer la montre pour mettre la pression sur les producteurs.

Permettez-moi d'être moins disert sur les autres avancées, réelles, permises par cette proposition de loi.

Le souhait d'un encadrement renforcé des pénalités logistiques est exaucé : les obligations sont plus précises et les sanctions alourdies. Il faut en effet en finir avec l'exception française consistant pour certains acteurs à reconstituer leurs marges par l'application de pénalités abusives. Le mécanisme de suspension de l'application des pénalités logistiques en cas de circonstances exceptionnelles me semble également tout à fait pertinent. Les crises d'ampleur traversées ces dernières années, comme celle du covid, viennent légitimer, auprès de nos citoyens, la possibilité pour l'État d'user de ce type de prérogative régalienne.

Par ailleurs, la proposition de loi consacre la compétence exclusive des tribunaux français, sous réserve des dispositions applicables du droit de l'Union, pour connaître des litiges portant sur les négociations commerciales annuelles. Il s'agissait, sinon d'un angle mort, du moins d'une ouverture dans notre droit, ouverture qu'il convenait de refermer pour éviter ce qui s'apparente à un contournement de la loi, après l'adoption des lois Egalim 1 et 2. Le Gouvernement a particulièrement à cœur, comme vous, de lutter contre les comportements qui consistent à contourner la loi française.

Le texte apporte enfin quelques correctifs bienvenus à la loi Egalim 2, notamment en ce qui concerne le champ d'application de la clause de renégociation, le fonctionnement de « l'option 3 », de transparence » – il reprend, sur ce point une recommandation du médiateur des relations commerciales agricoles – ou le renforcement du cadre applicable aux produits vendus sous marque de distributeur, après des échanges nourris entre l'Assemblée, le Sénat et le Gouvernement. Je ne peux évidemment que partager cet objectif.

Jamais les divergences de point de vue ou d'analyse qui ont pu être exprimées ne nous ont fait perdre de vue les finalités poursuivies. Je veux, en conclusion, remercier l'Assemblée nationale, en particulier le rapporteur, Frédéric Descrozaille, et le président de votre commission des affaires économiques, d'avoir su trouver un chemin qui n'était pas évident, reconnaissons-le, pour améliorer le texte.

Il est plutôt de bonne intelligence de s'efforcer d'améliorer les textes existants, en l'espèce la loi Egalim 2, en identifiant les angles morts et les pratiques consistant à détourner le sens et l'objectif de la loi. Je me réjouis donc que nous puissions clore cette séquence, au bénéfice de notre agriculture, de nos agriculteurs et de notre industrie agroalimentaire.

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