Intervention de Florian Colas

Réunion du mercredi 15 février 2023 à 15h30
Commission d'enquête relative aux ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères-États, organisations, entreprises, groupes d'intérêts, personnes privées-visant à influencer ou corrompre des relais d'opinion, des

Florian Colas, directeur national du renseignement et des enquêtes douanières :

Cela ne fait en tout cas écho à aucun dossier du service. L'hypothèse d'entreprises françaises qui maintiendraient sciemment des relations économiques illégales avec des États sous sanctions en organisant à cette fin un circuit frauduleux ne peut être totalement exclue, mais on observe en réalité peu de schémas aussi simples et visibles.

De tels circuits s'organisent parfois avec des entreprises de bonne foi : une entreprise française voit arriver un nouveau client, ne présentant en apparence aucun lien avec le pays sanctionné, ayant pris soin de créer une ou plusieurs sociétés intermédiaires, dans un ou plusieurs pays tiers ne constituant pas des juridictions à risque, mais travaillant avec des intermédiaires financiers installés, eux, dans des juridictions dites non coopératives, assurant l'opacité de la chaîne transactionnelle. Ce cadre, mis en place par l'État sanctionné pour maintenir son flux d'approvisionnement, est conçu de sorte que le fournisseur ne puisse identifier le destinataire final du bien ou de la prestation. L'entreprise française n'est donc pas forcément consciente de cette manœuvre, dont elle est, d'une certaine manière, la victime. A-t-elle réalisé toutes les vérifications voulues pour s'assurer que son client n'était pas, de près ou de loin, lié à des intérêts étrangers ? Jusqu'où ces vérifications doivent-elles aller ? Tout cela est très nouveau pour tout le monde. Aujourd'hui, nous alertons les entreprises sur le fait que, tout en étant de bonne foi, elles peuvent être victimes de schémas frauduleux de ce type qui entraînent non seulement un préjudice considérable pour leur réputation à l'étranger et en France mais aussi, évidemment, la notification d'une infraction et des sanctions sous le coup de la législation nationale. De plus, elles peuvent s'exposer à l'étranger, en raison par exemple de l'extraterritorialité de la législation américaine, à des risques sans commune mesure avec les ceux qu'elles peuvent affronter au regard de la législation française. Nous nous attachons à les sensibiliser à ces questions.

Quant au contrôle de l'origine réelle du pétrole, il s'agit naturellement d'une affaire complexe. Les schémas possibles de contournement de l'embargo sur les exportations sont multiples et les contrer demande un travail considérable. On a connaissance de transbordements en haute mer, mais le pétrole brut russe peut aussi être exporté vers un pays intermédiaire pour raffinage, le pétrole raffiné étant ensuite réexporté muni du label d'origine d'un pays tiers qui n'est pas sous sanctions. Contrôler cette chaîne suppose un contrôle documentaire portant non seulement sur le pays de provenance immédiate mais sur l'ensemble des pays par où le pétrole est passé depuis l'origine. L'alternative est le contrôle sur échantillon, mais cela suppose une capacité très poussée d'analyse et d'identification des gisements de pétrole russe au regard du pétrole issu de gisements d'autres pays.

L'application de régimes de sanctions entraîne, comme dans tous les domaines de lutte contre la fraude, une course permanente entre mesures et contre-mesures qui exige, si l'on souhaite des sanctions effectives, d'être mobile pour réagir aux contre-mesures des infracteurs. Nous sommes dans cette phase. Les sanctions sont nouvelles, les contre-mesures le sont également, et les réponses que nous pouvons y apporter doivent s'adapter.

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