Intervention de Mark MacGann

Réunion du jeudi 23 mars 2023 à 9h15
Commission d'enquête relative aux révélations des uber files : l'ubérisation, son lobbying et ses conséquences

Mark MacGann, ancien dirigeant et lobbyiste d'Uber, lanceur d'alerte sur les pratiques de la société Uber pour entrer sur les marchés français et européen :

Avant de travailler pour la société Uber, j'étais cadre dirigeant de la Bourse de New York, à l'époque où cette société détenait Euronext, qui rassemble plusieurs Bourses européennes. Nous avions ouvert des négociations avec la Bourse allemande en vue d'une fusion mais elles n'ont pas abouti. Libre de poursuivre ma carrière ailleurs, j'ai été approché par la société Uber. J'avais 43 ans. J'ai saisi l'occasion de voir de près le monde des start-up, qui était très à la mode.

La facilité avec laquelle Uber a levé des fonds ne doit pas occulter le fait que la société opérait dans l'illégalité dans environ 90 % des marchés où elle était présente. Ses relations avec les gouvernements et les régulateurs n'étaient pas au beau fixe, tant s'en faut. Elle a donc fait appel à moi pour réparer quelques torts et surtout, compte tenu de mon expérience de représentant du secteur privé auprès des élus, essayer de bâtir des relations de confiance en Europe et ailleurs car sa situation n'était pas tenable.

La difficulté, pour moi, résidait dans le fait que j'étais en désaccord quasi-complet et quasi-permanent avec mon patron, Travis Kalanick, fondateur de la société. Il voyait les gouvernements et les politiques comme un obstacle à écarter. La méfiance était complète.

Néanmoins, j'ai essayé de recruter des gens qualifiés en interne, à rebours de la pratique consistant à recourir à de nombreux cabinets externes. Avec tout le respect que je porte à cette commission d'enquête, je ne comprends pas pourquoi elle persiste à parler du cabinet Fipra, qui n'est qu'un cabinet parmi les centaines qui existent dans le monde et les douzaines qui existent en France, aux côtés notamment de Publicis, APCO, Bredin Prat et Havas. J'avais, comme disent les jeunes, le « 06 » des patrons de ces sociétés. Nous les avons embauchés pour qu'ils nous aident. C'est leur métier et ils ont fait de leur mieux.

Mon travail consistait à essayer de redorer un peu l'image d'Uber auprès de ceux qui nous gouvernent, aux échelons national et européen. À deux reprises, j'ai présenté ma démission car j'étais tout à fait en désaccord avec la culture de la société. La troisième tentative a été la bonne. J'étais alors protégé par un garde du corps vingt-quatre heures sur vingt-quatre. J'avais l'impression d'être dans une mauvaise série B. Mieux valait donc, pour ma santé et ma sécurité, ainsi que celle de ma famille, quitter cette entreprise.

Je croyais pourtant dur comme fer en la mission. Nous disions aux consommateurs : « Avec nous, vous pouvez mieux vivre vos villes, mieux vous déplacer et pour beaucoup moins cher qu'en taxi ». Je vous épargne ce que vous savez déjà sur les taxis, d'autant que vous entendrez Jacques Attali après moi sur la nécessité de réformer ce secteur d'activité parmi d'autres.

Nos chauffeurs n'avaient pas d'autres offres d'emploi que les nôtres. La plupart n'avaient pas le bac. Ils n'avaient rien de commun avec les brillants jeunes gens, diplômés à bac+5, bac+6 ou bac+7, qui dirigeaient Uber en France ou ailleurs. Nous leur disions : « Venez avec nous : non seulement vous allez gagner votre vie mais vous allez faire partie de quelque chose de splendide et de fabuleux ». Nous les séduisions avec des iPhones, des vêtements gratuits et des promesses de salaires mirobolants. Puis, petit à petit, on a retiré les subventions qui avaient servi à casser les prix sur le marché du transport de personnes, on a augmenté la commission, on a inventé tel ou tel tarif supplémentaire sur le dos des chauffeurs.

Je me suis rendu compte que nous avions vendu un mensonge et que le vrai but d'Uber, hélas, était, comme souvent, d'enrichir une poignée de personnes aux dépens des autres.

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