Intervention de Mark MacGann

Réunion du jeudi 23 mars 2023 à 9h15
Commission d'enquête relative aux révélations des uber files : l'ubérisation, son lobbying et ses conséquences

Mark MacGann, ancien dirigeant et lobbyiste d'Uber, lanceur d'alerte sur les pratiques de la société Uber pour entrer sur les marchés français et européen :

Il y avait un choc de cultures. Je n'étais pas là pour défendre l'immobilisme de certains gouvernements. En France, la famille Rousselet jouissait d'un quasi-monopole sur les taxis à Paris. Nous estimions qu'il fallait y introduire de la concurrence, pour que le service soit moins cher et de meilleure qualité. Travis Kalanick pensait que le modèle français était identique à celui de New York, avec une poignée de personnes richissimes détenant les médaillons ou les licences. Il est vrai que certains chauffeurs de taxi ont travaillé toute leur vie pour ensuite vendre leur licence et s'assurer une petite retraite mais de nombreux chauffeurs de taxi louaient leurs licences ou travaillaient de longues heures pour peu de revenus.

Mon travail consistait à essayer de trouver un compromis dans ce dialogue de sourds. David Plouffe, qui a dirigé la campagne électorale de Barack Obama en 2008, a rejoint la société à peu près en même temps que moi. À deux, nous avons parcouru le monde pour rencontrer les dirigeants et leur expliquer le bien-fondé de ce modèle ainsi que son potentiel pour les villes et l'économie locale. Nous avons eu un certain succès mais très mince. Ce n'est qu'en établissant un dialogue avec le vrai pouvoir décisionnel, comme nous l'avons fait en France, que nous avons pu faire avancer le « schmilblick », si je puis dire. Nous nous sommes heurtés à de nombreuses résistances et à de nombreux refus de réformer un marché que beaucoup de gouvernements avaient échoué à réformer, en France et ailleurs.

Je n'aurais jamais cru que ma carrière m'amènerait non seulement à avoir un garde du corps mais à recevoir, tandis que je marchais dans le 8e arrondissement, le 1er juin 2015, un appel sur mon portable me convoquant dans le bureau du ministre de l'intérieur. Bernard Cazeneuve, que je connais depuis vingt ans et pour lequel j'ai beaucoup de respect, m'a dit : « Je regrette, Marc : si vous ne fermez pas le service UberPop d'ici à la fin de la semaine, je te tiendrai personnellement responsable de la poursuite d'une activité illégale ».

Tandis que nous tentions de bâtir des relations avec les politiques et de calmer le jeu, Kalanick refusait de fermer UberPop, qui était le pan le plus sulfureux de notre activité. Paris était en feu, ses rues bloquées par les taxis qui avaient peur pour leur avenir. Ils se disaient : « Ce mastodonte débarque de San Francisco avec 10 milliards et les menaces brandies par le Gouvernement restent sans effet ! Comment le pouvoir régalien peut-il être incapable d'obliger une société privée à cesser une activité illégale ? ».

Aux manifs répondaient des contre-manifs et des voitures étaient en feu. Tout cela faisait la Une des journaux. L'équipe locale était paniquée, ce qui est compréhensible. Au siège, à San Francisco, ils n'étaient pas tellement émus. Comme le démontrent les textos publiés par les journalistes auxquels je les ai remis, le patron-fondateur de la société considérait que la violence garantissait le succès. Il voulait dire par là que, si une manif de taxis et des voitures qui brûlent attirent l'attention des médias, nous devions faire en sorte que les chauffeurs Uber agissent de même et organisent une contre-manif. Il fallait les encourager à descendre dans la rue pour plaider la cause de leur avenir pour occuper davantage encore la Une des journaux et mettre ainsi sous pression les Hollande, les Valls et les Cazeneuve de ce monde, pour qu'ils changent rapidement la loi, car Uber a raison et les autres ont tort.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion