Intervention de Mark MacGann

Réunion du jeudi 23 mars 2023 à 9h15
Commission d'enquête relative aux révélations des uber files : l'ubérisation, son lobbying et ses conséquences

Mark MacGann, ancien dirigeant et lobbyiste d'Uber, lanceur d'alerte sur les pratiques de la société Uber pour entrer sur les marchés français et européen :

J'ai été auditionné par le Parlement européen en octobre dernier, alors qu'il était en train de débattre du texte initié par la Commission européenne visant à fixer, enfin, un cadre réglementaire pour protéger les 28 millions de travailleurs inscrits sur des plateformes en Europe. Le débat a été difficile en raison de la forte résistance de certains groupes politiques mais, in fine, le Parlement européen a adopté ce que les chauffeurs et leurs représentants ont estimé être un bon compromis.

Le Conseil européen doit désormais donner sa version du texte législatif. Or certains pays nordiques s'y opposent car ils veulent au contraire une présomption d'entreprenariat. Si ces États membres obtiennent gain de cause et parviennent à diluer le sens du texte, à chaque fois qu'un chauffeur Uber ou qu'un livreur Uber Eats estimera qu'il n'est pas chef d'entreprise mais a un lien de subordination claire avec sa plateforme, il devra engager un cabinet d'avocats pour saisir les tribunaux. Cela lui occasionnera des coûts énormes et il devra attendre des années avant que le tribunal ne décide s'il est ou non un salarié d'Uber. À l'inverse, la présomption de salariat, contenue dans la version actuelle du texte, impose aux plateformes de démontrer que ces personnes veulent être indépendantes et refusent absolument d'avoir les obligations associées au statut d'employé. Ce sera alors à ces sociétés qui, comme Uber, valent des milliards de dollars en bourse, de recruter des avocats pour prouver qu'il s'agit d'indépendants et non de salariés.

Je rappelle tout cela pour expliquer à quel point je suis choqué. Ayant eu la chance inouïe de faire une partie de mes études en France, à Science-Po et de travailler pour l'industrie française, je sais que ce pays n'est pas parfait mais je suis consterné que ce soit le gouvernement français qui non seulement soutient cette dilution de la présomption de salariat mais également pilote les États membres dans cette démarche. Il en est même le fer de lance : c'était le cas avec le groupe Renew au Parlement européen, c'est maintenant le cas au Conseil européen, sous présidence suédoise – heureusement, la présidence sera bientôt assurée par l'Espagne, qui a adopté sa propre loi pour protéger les travailleurs. Je ne parle pas des droits sociaux dont j'ai bénéficié comme cadre dirigeant du groupe Alcatel – des cotisations pour la retraite et pour l'assurance maladie, un bon salaire, une protection sociale, des congés payés – mais du minimum minimorum social auquel ont droit ces millions de personnes. Utiliser cette commission d'enquête pour évoquer ce point est sans doute opportuniste de ma part mais les chauffeurs ne sont pas là et il est plus compliqué pour eux de parler devant des élus de la République.

Je demande tout simplement, avec le respect et l'amour que j'ai pour la France, de ne pas se battre contre les travailleurs. Pourquoi se plier en quatre pour défendre les plateformes comme Uber quand on sait ce que nous disions au Gouvernement à l'époque et étant donné la réalité des faits sur le plan fiscal ?

J'ai été auditionné par la commission des Finances de la Seconde chambre du parlement néerlandais avant-hier. Je leur ai expliqué que, pour l'essentiel, nous mentions au fisc français. Je peux le démontrer.

Je demande, avec beaucoup de respect et beaucoup d'humilité, à la France de soutenir la version du Parlement européen de la proposition de directive relative à l'amélioration des conditions de travail dans le cadre du travail via une plateforme.

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