Intervention de Mark MacGann

Réunion du jeudi 23 mars 2023 à 9h15
Commission d'enquête relative aux révélations des uber files : l'ubérisation, son lobbying et ses conséquences

Mark MacGann, ancien dirigeant et lobbyiste d'Uber, lanceur d'alerte sur les pratiques de la société Uber pour entrer sur les marchés français et européen :

Beaucoup de rencontres très diverses ont eu lieu avec la DGCCRF et l'Urssaf car elles estimaient que nos opérations posaient problème d'un point de vue légal. L'Urssaf considérait que nous organisions du travail dissimulé. Toutes ces administrations voulaient l'identité de nos chauffeurs pour pouvoir prélever l'impôt sur le revenu, la TVA et les cotisations sociales. Or nous ne voulions absolument pas que les autorités obtiennent les données sur nos chauffeurs ; nous prétendions que nous voulions les protéger. En fait c'était pour des raisons égoïstes car si l'un d'entre eux était poursuivi et condamné, il allait arrêter de travailler pour Uber et la stratégie de l'entreprise s'effondrerait.

La DGCCRF estimait non seulement que nos opérations n'étaient pas conformes à la loi sur les transports mais qu'en plus nous faisions une concurrence déloyale aux compagnies de taxis et aux VTC autorisés et formés.

Tous les éléments issus des contacts avec les administrations étaient rapportés à Thibaud Simphal, qui dirigeait les opérations pour la France, et ensuite à Pierre-Dimitri Gore-Coty, qui donnait les instructions pour la France et pour l'Europe. Ils pilotaient le dossier avec les avocats de leurs équipes, dont ceux du cabinet Bredin Prat. Je ne sais pas où en sont les procédures engagées par la DGCCRF. Aux Pays-Bas, où est installé le siège international d'Uber, après des années de poursuites le procureur du royaume a décidé de passer un accord qui inflige à la société la peine maximale pour ses pratiques illicites.

Selon mon expérience, ce n'est pas mieux ailleurs en Europe en ce qui concerne le lobbying – et surtout pas aux États-Unis. Il n'y a pas une réglementation en particulier qui mérite d'être copiée. Travaillant avec le Parlement européen depuis des décennies, je pense que le scandale impliquant le Qatar n'est peut-être que la partie visible de l'iceberg – hélas !

Les fautifs constituent cependant une infime minorité. La plupart des parlementaires, européens comme français, sont honnêtes. Il faudrait peut-être éviter le cumul du mandat avec un autre métier. Entre un tiers et un quart des parlementaires européens continuent, en effet, à exercer une activité professionnelle, dont celle d'avocat. Je ne me permettrai pas de commenter la situation s'agissant de l'Assemblée nationale. Quitte à choquer le contribuable, j'estime qu'il faut que l'on puisse vivre de son indemnité d'élu, tant au niveau national qu'européen. Cela évitera les confusions et les irrégularités – voulues ou accidentelles.

Je vous invite à prendre connaissance des propositions déjà faites par des ONG comme Transparency International. Alberto Alemanno, professeur à HEC, en fait également depuis des années. Il y a de la matière. Contrairement à nos économistes, les auteurs de ces propositions ne sont pas payés par des intérêts privés.

Les responsables d'Uber disent qu'ils ont changé. Mais la première chose qu'ils ont faite quand il est apparu que j'étais la source de l'enquête parue le 11 juillet a été de donner instruction à leurs avocats d'intenter un procès contre moi. Ils disent à présent qu'ils ne vont pas le faire. On verra. Mais je ne vais pas me taire, même s'il faut aussi que je passe à autre chose. Tant que des autorités parlementaires ou judiciaires auront besoin de mes données ou de mon témoignage, il est évidemment de mon devoir de répondre à leurs demandes.

Uber n'a pas changé. Même si une partie des dirigeants sont partis, la moitié des plus importants de l'époque est restée. Il suffit de voir comment les chauffeurs continuent d'être traités. Uber est prête à dépenser des millions de dollars pour se battre contre eux dans les tribunaux français, italiens, britanniques ou californiens, afin de priver ces gens de leurs droits les plus élémentaires – peut-être parce que les dirigeants savent que si la présomption de salariat était retenue leur modèle économique ne tiendrait absolument plus la route, en tout cas pour ce qui concerne les transports. Il ne serait plus possible de continuer à faire du dumping sur le marché. Selon moi, cette société n'a pas changé. Et c'est une conclusion que je tire de mon expérience personnelle depuis la publication de l'enquête par la presse.

Plusieurs personnes ont occupé mon poste depuis que je suis parti. J'imagine que vous allez entendre les personnes les plus pertinentes, c'est-à-dire les deux responsables d'Uber respectivement pour la France et pour l'Europe à l'époque. Je me permets de vous indiquer qu'entendre des gens qui n'étaient pas en fonction au moment des faits serait probablement du temps perdu pour votre commission.

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