Intervention de Jacques Attali

Réunion du jeudi 23 mars 2023 à 9h15
Commission d'enquête relative aux révélations des uber files : l'ubérisation, son lobbying et ses conséquences

Jacques Attali, président de la commission pour la libération de la croissance française en 2008 :

Je vous remercie de cette occasion de revenir quinze ans en arrière.

Tout d'abord, homme de gauche, je ne pouvais accepter la présidence de cette commission – et le petit échange précédent sur son nom l'a bien montré – qu'à la condition qu'elle soit bipartisane ; ce que le président de l'époque, Nicolas Sarkozy et son Premier ministre ont parfaitement accepté.

J'étais donc libre, premièrement, d'en choisir les membres ; je n'ai subi aucune pression pour tenter de m'imposer qui que ce soit. Cette commission bipartisane, aussi équilibrée, que possible était composée de leaders syndicaux, patronaux, d'intellectuels et d'étrangers.

Ensuite, j'avais demandé d'écrire moi-même la lettre que m'enverraient le Président et le Premier ministre, ce qu'ils ont parfaitement respecté.

Enfin – et ce fut l'un des points les plus discutés –, je souhaitais choisir moi-même les rapporteurs de la commission de façon à ne pas me laisser imposer quoi que ce soit par les pouvoirs publics.

Ces conditions ont été respectées. Nous avons pu travailler librement.

La commission a rendu un rapport unanime, consensuel. Nous ne l'avons jamais voté au sens propre mais j'ai tout fait en tant que président pour que nous n'inscrivions aucune proposition qui ne soit pas acceptée par tous. Inutile de dire que la question des taxis était très accessoire, presque minuscule, par rapport à tous les sujets que nous avions à traiter. Ce n'était qu'une proposition parmi les 316 que nous avions présentées mais nous avions conscience qu'elle ferait grand bruit – ce qui n'a pas manqué, puisque des manifestations de taxis ont éclaté le soir même de la remise du rapport –, au point que l'un de nos débats avait porté sur le fait même de traiter du sujet craignant que cette question ne noie tous ceux que nous avions à traiter par ailleurs. Je rappelle incidemment que, parmi les nombreuses autres réformes radicales que nous avions proposées, l'une concernait la retraite par points.

S'agissant des taxis, j'ai, sur ce sujet comme sur bien d'autres, refusé d'entendre le point de vue de qui que ce soit. Je n'ai pas auditionné les compagnies de taxis ni accepté de les recevoir. Je dois d'ailleurs reconnaître qu'elles ne me l'ont pas demandé. C'est tout à leur honneur. Même si André Rousselet était un ami personnel, personne ne m'a rien demandé. Cela s'est passé très élégamment.

Notre préoccupation a donc été de faire en sorte que ce sujet ne cannibalise pas la totalité du rapport – ce sur quoi nous avons un peu échoué puisqu'il est souvent question des taxis lorsque cette commission est évoquée – et d'essayer de trouver une solution simple.

Les taxis étaient trop peu nombreux à Paris. Il en fallait plus. Il fallait donc plus de plaques, sans que cela nuise à ceux qui en possédaient une. La solution était simple : créer les conditions pour délivrer plus de plaques et indemniser ceux qui risquaient d'y perdre. Telle fut notre proposition, qui prévoyait une réglementation beaucoup plus sévère pour les « voitures de place », comme on les appelait à cette époque.

Même si je n'ai pas approfondi la question par la suite, j'ai toujours pensé que si les syndicats de taxis avaient accepté cette proposition, leur situation eût été meilleure que ce qu'elle a été lorsqu'ils ont ensuite été confrontés au tsunami des plateformes – mais tel a été leur choix. Nous avions proposé de créer quelques milliers de plaques. Il en manquait 6 000 à Paris à cette époque ; en tout cas, 6 000 personnes en demandaient une. Nous avions proposé d'en créer autant que nécessaire mais il se serait agi de plaques incessibles, c'est-à-dire sans valeur marchande.

Dans les circonstances politiques, culturelles et technologiques de l'époque, c'était la seule solution qui pouvait être proposée mais, je le répète, cela ne concernait qu'un aspect tout à fait particulier et minuscule de ce rapport.

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