Intervention de Nathalie Homobono

Réunion du jeudi 23 mars 2023 à 14h45
Commission d'enquête relative aux révélations des uber files : l'ubérisation, son lobbying et ses conséquences

Nathalie Homobono, ancienne directrice générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes :

J'ai été nommée directrice générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes à la mi-avril 2009 et j'ai quitté mes fonctions dans les tout premiers jours de janvier 2018 : j'ai donc exercé ces responsabilités un peu moins de neuf ans. Depuis un peu plus de cinq ans, je préside la section de la sécurité et des risques du Conseil général de l'économie, de l'industrie, de l'énergie et des technologies, une structure rattachée au ministère chargé de l'Économie.

La DGCCRF, qui relève de ce même ministère, comptait à l'époque quelque 3 000 agents, dont 80 % exerçaient des missions de contrôle et d'enquête, rattachés, d'une part, aux services centraux et, d'autre part, aux services territoriaux, autrefois appelés services déconcentrés, à savoir aux directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte) au niveau régional et aux directions départementales de la cohésion sociale et de la protection des populations (DDCSPP) au niveau départemental.

Aux termes du décret en vigueur lorsque j'étais en fonction, la DGCCRF était chargée de « veiller à la régulation et au bon fonctionnement des marchés » sous leurs divers aspects. Cela impliquait d'observer le fonctionnement des marchés, de vérifier que leur encadrement était satisfaisant et, le cas échéant, de déterminer la nécessité d'en fluidifier le fonctionnement ou l'accès, de lever des barrières à l'entrée ou de limiter les situations qui seraient devenues injustifiées du fait de l'apparition de nouveaux acteurs ou de nouvelles technologies. La seconde mission principale de la DGCCRF était de contrôler le respect des règles d'encadrement des marchés et de la protection des consommateurs.

De ce que je me remémore de mes neuf années passées à la DGCCRF, je suis arrivée au moment où était discutée la loi de développement et de modernisation des services touristiques, dite « loi Novelli », qui a supprimé la notion de licence de Grande remise et le contingentement départemental du nombre de ces licences, permettant ainsi le développement des VTC. La DGCCRF et la direction générale des entreprises (DGE), compétente pour les dispositions relevant du code du tourisme, ont dû prendre de nombreux textes d'application. S'en est suivie une période de tensions marquée par des mouvements de grève des taxis, par des réunions avec les parties prenantes et par la décision du Gouvernement de confier une mission de médiation au député Thévenoud. Nous avons suivi le processus législatif ayant abouti à la « loi Thévenoud », puis la discussion de la loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, dite « loi Macron », la médiation menée par le député Grandguillaume, l'adoption de la « loi Grandguillaume » ainsi que la publication d'un certain nombre de textes d'application.

À chaque fois qu'un décret important était prévu par le corpus législatif, nous saisissions, en vertu du code de commerce, l'Autorité de la concurrence, dont vous entendrez le président un peu plus tard dans l'après-midi. Je pense en particulier au projet de décret « quinze minutes », comme nous l'appelions familièrement, qui visait à imposer aux VTC un délai de quinze minutes entre le moment de la réservation et celui de la prise en charge des clients. Nous avons énormément échangé sur cette question avec les ministres, ministres délégués et secrétaires d'État successifs sous l'autorité desquels nous avons travaillé. Nous avons abondamment écrit sur le sujet, toujours dans une logique proconcurrentielle, c'est-à-dire d'accueil ou de facilitation de l'arrivée de nouveaux entrants, mais dans un souci de régulation, en ne laissant pas le seul marché organiser le fonctionnement du secteur. Nous formulions des recommandations s'agissant de la manière d'introduire de nouveaux acteurs et d'adapter les marchés sans les déstabiliser.

Nous avons mené de nombreux contrôles avec les services centraux de la DGCCRF, notamment le service national des enquêtes (SNE) tandis que d'autres contrôles étaient effectués par les directions régionales et départementales.

Le SNE a conduit des enquêtes à l'initiative de la direction générale – c'est-à-dire à ma demande ou à celle du chef de service ou du sous-directeur concerné –, dont plusieurs, entre 2014 et 2016, sur les pratiques des nouvelles plateformes et des nouveaux acteurs, sur les taxis et sur les VTC, sans jamais avoir recours aux pouvoirs extraordinaires. Le code de la consommation et le code de commerce accordent en effet certains pouvoirs aux agents de la DGCCRF : si les enquêtes l'exigent, ces derniers peuvent conduire, après en avoir fait la demande auprès du juge, des « opérations de visite et saisie », autrement dit des perquisitions. Je le répète, le SNE n'a jamais eu recours à ces pouvoirs extraordinaires, que ce soit sur le marché de la maraude, où seuls les taxis interviennent, ou sur celui de la réservation préalable de transport de personnes à titre public ou privé, où les centrales de réservation de taxis telles que G7 et les plateformes comme Uber – ou d'autres, arrivées antérieurement – sont en concurrence.

En 2014, le SNE a mené une enquête relative au service UberPop. Cette offre était présentée comme un service de mise en relation entre particuliers à des fins de covoiturage. Elle proposait aux conducteurs, moyennant le versement de frais de commission, une prestation de mise en relation avec des passagers ainsi qu'une prestation d'intermédiation de paiement. Quant aux passagers, ils se voyaient offrir une prestation gratuite de mise en relation avec un conducteur via l'application de téléphonie mobile d'Uber ; ils payaient la course, qui était tarifée. Le SNE a considéré qu'il s'agissait là de pratiques commerciales trompeuses et que ce dispositif n'était pas licite. Il a ainsi dressé, en mars 2014, un procès-verbal à l'encontre d'UberPop et de ses principaux dirigeants, qui a connu des suites judiciaires. La société a été condamnée en première instance, en octobre 2014, puis en seconde instance, en décembre 2015 ; le jugement a été confirmé en cassation en juillet 2017.

Le SNE s'est également joint à une procédure civile engagée par des VTC et des taxis, qui a donné lieu à une QPC. En septembre 2015, le Conseil constitutionnel a jugé la disposition incriminée du code des transports conforme à la Constitution.

En 2015, le SNE a été saisi, avec d'autres services, par le parquet de Paris pour mener une nouvelle enquête avec la qualification de pratique commerciale trompeuse en récidive. Un rapport a été adressé au parquet, Uber France et ses dirigeants ont été condamnés à des amendes, et la société a dû publier la décision sur ses sites. Cette condamnation a été confirmée en appel.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion