Intervention de Matthieu Creux

Réunion du jeudi 23 mars 2023 à 14h45
Commission d'enquête relative aux révélations des uber files : l'ubérisation, son lobbying et ses conséquences

Matthieu Creux, fondateur du cabinet iStrat :

Ces deux activités correspondent en réalité au même métier. Il s'agit de produire du contenu et d'obtenir sa publication. Ce contenu doit être optimisé afin de remonter dans le flux des nouvelles informations publiées – après avoir élargi le stock d'informations disponibles sur Google, il convient de vérifier que le tri se fasse dans l'ordre souhaité. On ne peut faire de l'« e-réputation » sans obtenir de la publication de contenus : dans l'absolu, c'est le rôle des agences de relations presse, qui s'adressent par exemple au Monde, au Figaro ou à BFM TV, tandis que notre métier se limite aux aspects très techniques relatifs au web.

J'en viens au contrat conclu avec Uber. Plus aucun ancien salarié d'iStrat ne travaille avec moi et je n'ai plus accès à l'ensemble des mails. Je ne peux donc me référer qu'aux échanges contenus dans ma propre messagerie électronique. Je suis, d'une certaine manière, le seul témoin « numérique » de l'époque, mais j'ai une bonne mémoire et j'essaierai d'être très clair.

Nous avons d'abord été contactés par M. Hugues Schmitt, le directeur de la communication d'Uber que l'entreprise avait confiée à une agence. Comme je vous l'ai dit, M. Schmitt travaille aujourd'hui chez Primatice Conseil, avec les mêmes équipes et les mêmes associés qu'à l'époque. Il nous a demandé d'entrer en contact avec l'un de ses clients, Uber, en nous prévenant que ce dernier allait faire l'objet d'une décision judiciaire potentiellement difficile et susceptible de nuire à son image. Les médias avaient commencé à s'intéresser à cette entreprise, notamment parce que les taxis parisiens se mobilisaient contre son business model.

Une réunion s'est tenue vers le 10 novembre 2014 – je ne peux vous donner la date exacte car je n'ai plus mes agendas. J'ai rencontré à cette occasion M. Thibaud Simphal, le chef d'Uber en France, ainsi que M. Pierre-Dimitri Gore-Coty, son adjoint ou son directeur des affaires publiques – je ne connais pas son titre exact. Cette première réunion a été organisée au siège parisien d'Uber en présence d'Hugues Schmitt.

Mes interlocuteurs m'ont demandé s'il était possible de protéger l'image en ligne de leur entreprise contre les vives agressions des militants anti-Uber. Ils voulaient rassurer leurs clients dans un marché B2C (business to consumer) et essayer de convaincre les Parisiens et les Franciliens qu'il fallait utiliser leurs services, qui étaient légaux en dépit des nombreuses menaces. Si une décision de justice défavorable devait tomber, il faudrait expliquer qu'elle ne concernerait qu'UberPop, et non l'ensemble des services Uber, me semble-t-il – de plus amples recherches seraient nécessaires pour être plus précis. Les dirigeants d'Uber France se demandaient comment faire en sorte que ceux qui se renseignaient sur eux, par curiosité, tombent sur des éléments plutôt positifs et rassurants, et que ceux qui entendaient parler du caractère potentiellement illicite de ce service n'aient pas l'impression d'être des voyous ou de devoir se cacher lorsqu'ils montaient dans un véhicule Uber.

Mes interlocuteurs m'ont alors demandé deux choses. La première était de les aider à faire connaître une pétition en ligne qu'ils voulaient lancer en vue de montrer le soutien populaire dont bénéficiait leur application. La seconde était de faire en sorte que les résultats Google liés à Uber ne restent pas prisonniers du débat politique et de leurs démêlés judiciaires.

Dans les faits, nous n'avons pas vraiment participé au lancement de leur pétition en ligne. Il me semble que nous leur avons fait quelques propositions pour en améliorer le texte, mais après quelques allers-retours, nous n'en avons plus entendu parler. Je n'ai pas vu qu'ils aient d'ailleurs lancé cette pétition – je n'ai pas d'information à ce sujet.

Nous avons accepté de diffuser leurs arguments sur le web. Ils nous envoyaient des éléments de langage, directement ou par l'intermédiaire de leur agence. Nous n'avons jamais pris part à la rédaction de ces éléments de langage, que nous recevions presque bruts. Notre rôle n'était pas de les optimiser de quelque manière que ce soit. Nous n'étions ni des communicants, ni des juristes, ni des lobbyistes : nous nous limitions à notre métier de spécialistes du numérique et du référencement naturel.

Par rapport à la moyenne de nos clients, les éléments de langage transmis étaient de très bonne qualité. Ce n'étaient pas trois arguments griffonnés sur un post-it, ni d'assommantes thèses indigestes, mais des éléments très structurés, formatés et professionnels. Notre travail a consisté à les rendre accessibles par l'intermédiaire d' op-eds ou de publications mises en ligne sur les réseaux sociaux ou dans les espaces contributifs des médias.

En préparant l'audition, je me suis replongé dans les contenus publiés dans les médias. Il y en a eu une dizaine ou une quinzaine – le chiffre que vous avez cité tout à l'heure est peut-être exact –, dont la plupart ne sont plus en ligne. Ils rappelaient le contexte du développement d'Uber et exposaient un point de vue clairement favorable à l'entreprise. Nous n'étions pas payés pour dire le contraire ! Il s'agissait de contenus engagés mais dans les faits plutôt exacts.

On nous a confié une mission globale à cheval entre novembre 2014 et juin 2015. Entre mi-novembre et début décembre 2014, nous avons facturé à Uber 12 750 euros hors taxes – un montant à mettre au regard du chiffre d'affaires de notre société, qui s'est élevé à environ 1,2 million d'euros cette année-là. Uber était ainsi le plus petit client de l'année. Nous avons interrompu la mission pendant les fêtes avant de la reprendre fin janvier ou début février 2015. La dernière facture que nous avons retrouvée dans la comptabilité date de juin 2015 ; depuis lors, nous n'avons plus jamais travaillé pour cette entreprise, et je n'ai pas eu de nouveaux contacts avec ces personnes, leurs lobbys ou leurs associations professionnelles. En 2015, le client a représenté 42 500 euros sur un chiffre d'affaires total de 2,2 millions. Je le répète, il s'agissait de notre point de vue d'un petit dossier, sans aucun caractère sensible. C'est juste après qu'il est devenu un dossier de place : tout le monde s'est mis à parler d'Uber et du blocage des taxis, et il n'était plus possible d'ignorer la sensibilité du sujet.

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