Intervention de Matthieu Creux

Réunion du jeudi 23 mars 2023 à 14h45
Commission d'enquête relative aux révélations des uber files : l'ubérisation, son lobbying et ses conséquences

Matthieu Creux, fondateur du cabinet iStrat :

S'agissant de Wikipédia, le travail se faisait dans le cadre d'une mission d'« e-réputation » classique. Quand vous regardez sur Google les résultats qui apparaissent au sujet des gens, y compris des parlementaires, le premier résultat est souvent Wikipédia – ou alors c'est le deuxième ou le troisième. Regarder, cela fait partie de notre métier. Notre approche est assez simple : lorsque nos clients nous interrogent sur les interactions qu'ils doivent avoir avec Wikipédia, nous leur conseillons de s'y prendre dans les règles de l'art. Il existe plusieurs méthodes mais je ne vais pas entrer dans les détails techniques. Nous conseillons d'agir en totale entente avec la communauté de Wikipédia : il s'agit de faire un travail de conviction auprès de ceux qui participent à cette encyclopédie en ligne. On présente tout simplement des éléments, et cela peut très bien se passer.

Les entreprises et les personnes vivantes qui se sentent obligées de surveiller leur propre page ont parfois le sentiment de subir un peu ce qui est écrit à leur propos, parce qu'elles n'ont pas choisi d'être sur Wikipédia. Le fondateur de Wikipédia a lui-même été accusé d'avoir modifié sa propre page ; c'est un péché un peu originel. Ce qui est écrit sur Wikipédia est vital pour l'image des entreprises.

J'ai regardé le rapport qui est entre les mains de la presse et du lanceur d'alerte. On voit, même une dizaine d'années plus tard, que nous avons travaillé avec des gens qui avaient une expérience de Wikipédia : ce ne sont pas des comptes d'agences créés la semaine précédente sous de faux noms ou sous pseudos, et les propositions de modifications ont été systématiquement acceptées. Elles étaient neutres : contrairement à ce que Mme la rapporteure a peut-être sous-entendu, nous n'avons jamais été agressifs ou anti-taxis. Nous avons touché aux pages concernant ces derniers lorsqu'elles comportaient des éléments relatifs à Uber, et nous l'avons fait en allant dans le sens d'une neutralisation, selon le terme technique en vigueur du côté de Wikipédia, plutôt que dans le sens d'un effacement ou d'une agression.

De toute façon, si nos clients nous avaient demandé cela, je peux vous dire tout de suite que nous ne l'aurions pas fait, pour des raisons éthiques, mais aussi presque par cynisme, car c'est strictement impossible. En effet, vous avez en face de vous une communauté très active de « Wikipédiens » qui surveillent ce qui se passe et n'acceptent pas les productions d'agences ou de cabinets d'influence. Par ailleurs, si nous avions dépassé les limites, les militants des taxis, en face, auraient tout effacé. C'est une sorte de guerre de positions qui est assez rapidement à somme nulle.

Les modifications sollicitées par notre cabinet, dans le respect des règles de Wikipédia à l'époque, je l'espère, étaient peut-être visibles symboliquement, mais on voit, quand on regarde l'historique, qu'elles étaient assez neutres. Je pourrai transmettre l'historique à votre commission, même s'il est déjà disponible dans la presse. Les bras m'en tombent : il n'y a pas de sujet, et je ne sais même plus pourquoi on nous a demandé d'intervenir, tellement c'était basique.

J'en viens à Olivia Grégoire. J'ai fait sa connaissance par l'intermédiaire d'une agence de communication avec laquelle je travaillais à l'époque. Son profil, que nous ne connaissions pas, m'avait été recommandé en octobre 2012, lorsque nous cherchions à recruter des gens ayant une expérience du monde de la communication. Nous étions plutôt des gens du numérique, travaillant comme sous-traitants pour des agences de communication. Il fallait créer des liens avec ce type de clientèle pour proposer notre expertise.

Le CV d'Olivia Grégoire, à l'époque, nous semblait tout à fait correspondre à ce que nous cherchions : elle avait été chargée de mission au service d'information du Gouvernement, puis chargée de communication au cabinet du ministre de la Santé, elle était passée par des agences comme DDB, du réseau Omnicom, et W&Cie, qui est une agence du groupe Havas, avant de devenir directrice de la communication et du développement durable de l'entreprise Verallia, puis directrice de la communication d'Etalab, une agence gouvernementale chargée de l' open data. Olivia était, par ailleurs, professeure en communication d'entreprise à l'Institut catholique de Paris. Nous avons échangé par mails en novembre 2012 et nous nous sommes rencontrés pour la première fois le 14 décembre suivant, au siège d'iStrat. Après plusieurs réunions, nous avons proposé à Olivia de rejoindre notre équipe, en février 2013. Elle l'a fait à compter du 1er avril, en tant que directrice du développement, l'objectif étant de nous faire connaître d'agences de communication dont nous pourrions devenir les sous-traitants techniques. Nous avons travaillé avec elle sur la communication de certains artistes et de quelques PME dans le secteur de la santé et nous avons organisé avec elle un très grand voyage de prospection à Bruxelles.

Comme cela n'a finalement pas donné de bons résultats commerciaux, nous avons décidé de nous séparer en bonne intelligence. Nous étions à l'époque une entreprise comptant une dizaine de salariés, tous assez jeunes, et nous n'avions pas d'autres perspectives à lui proposer. Nous avons donc mis fin à notre collaboration par rupture conventionnelle, au bout d'un an. Nous avons eu un premier entretien en vue de réfléchir à une séparation le 1er avril 2014, puis un second le 8 avril, et son contrat, conformément aux dispositions légales, fut terminé le 23 mai. Elle a donc été salariée du 1er avril 2013 au 23 mai 2014.

Autant que je puisse m'en souvenir – j'ai partagé son bureau pendant presque un an et je la connaissais donc assez bien –, elle ne s'affichait pas du tout politiquement ou publiquement, même si elle avait été, je crois, encartée dans un parti libéral lorsqu'elle était jeune. Elle n'appartenait pas du tout à la Macronie, qui d'ailleurs n'existait pas à l'époque. C'était vraiment quelqu'un de la société civile, une spécialiste de la communication. Elle n'avait aucune dimension politique avant de devenir députée en 2017.

À ma connaissance, Olivia n'est jamais intervenue, ni de près ni de loin, dans le dossier Uber, en tout cas pas chez iStrat, car nous avons rencontré les représentants d'Uber en novembre 2014, alors qu'elle était partie en avril. Un certain laps de temps s'était donc écoulé. De toute manière, nous n'avions aucun rôle en matière de relations publiques, de lobbying, et nous n'étions pas du tout liés au ministre de l'Économie de l'époque. Ce n'était pas du tout notre domaine. Je connais maintenant la liste des agences de communication et des sous-traitants d'Uber en matière d'affaires publiques : ce ne sont pas des gens avec qui nous travaillions. Je n'ai eu, par exemple, aucune collaboration avec Fipra, que vous avez reçu. Je n'ai donc pas vraiment d'éclairage à vous apporter sur les liens éventuels entre Olivia et Uber. En revanche, je sais que si on faisait la promotion d'Uber sur les réseaux sociaux, à cette époque, et qu'on parrainait des gens, on avait des réductions sur ses propres courses. C'est peut-être tout simplement ce qu'elle a fait, vu qu'elle est parisienne, mais ce n'est qu'une supputation.

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