Intervention de Sébastien Mathouraparsad

Réunion du vendredi 24 mars 2023 à 14h00
Commission d'enquête sur le coût de la vie dans les collectivités territoriales régies par les articles 73 et 74 de la constitution

Sébastien Mathouraparsad :

À mon sens, trois pistes devraient être explorées.

D'abord, libérer l'offre, agrandir le marché. On pourrait très bien échanger avec les bassins avoisinants. Les normes européennes biaisent le jeu du marché et du commerce international avec les économies voisines. Dans le bassin caribéen, bien que Trinité-et-Tobago ne produise pas selon les normes européennes, personne n'est jamais mort d'avoir ingéré le contenu d'une boîte de conserve qui y a été produite ! Il faut de la souplesse. Les normes européennes, qui portent sur la qualité des produits, mais aussi sur la façon de les produire, pèsent sur les coûts de production des entreprises. Il faudrait optimiser le marché unique antillais. J'ai pris pour exemple le bassin caribéen, mais on pourrait dire la même chose de celui de l'océan Indien, avec Madagascar, Mayotte et les COMores.

En ce qui concerne la recherche de la souveraineté alimentaire, il convient d'apporter une nuance. Souvent, on pense qu'on a une faiblesse de la production locale sur certains éléments. Pourtant, les comptes de l'Institut national de la statistiques et des études économiques (Insee) montrent que, contrairement aux idées reçues, la production locale est significative. En fait, les produits et services sont majoritairement locaux, sauf dans trois catégories : l'agroalimentaire, les biens d'équipement et l'énergie. Plutôt que de se focaliser sur la production agricole, plus souvent locale qu'importée, c'est donc au tissu industriel agroalimentaire et aux biens d'équipement qu'il convient de penser. Paradoxalement, le fait de chercher à stimuler la production agricole risque de créer un effet d'éviction des unités agricoles. Il y a là un équilibre à trouver.

Un élément sur lequel on pourrait jouer réside dans la communication et la transparence des prix. Il y a une opacité des prix et des produits sur les territoires. On pourrait créer une application comme en Nouvelle-Calédonie, qui recenserait le plus grand nombre possible de produits sur le marché – ce qui demanderait de mobiliser des enquêteurs – et indiquerait leur prix dans chaque commerce ; ainsi, les consommateurs sauraient où les prix sont les moins élevés, et la concurrence s'exercerait entre les commerces.

Un deuxième axe consisterait à repenser les dispositifs. La Cour des comptes a évalué le budget global alloué aux politiques publiques ultramarines à 27 milliards en 2021, en augmentation ; malgré tout cet argent injecté, on n'arrive pas à résoudre les problèmes ; c'est que des freins et des blocages l'empêchent. On arrive à sentir qu'il y a une captation des transferts par certains acteurs qui gonflent leurs marges, et la redistribution des revenus est défaillante. Il s'agit non pas d'injecter plus, mais d'injecter mieux. On pourrait notamment conditionner le bénéfice de certaines aides à l'atteinte d'objectifs, au lieu de créer des dispositifs puis d'attendre que les agents aillent dans le sens que l'on souhaite. L'objectif d'une entreprise est avant tout de générer des profits, non de faire du social ; si l'on vise un but social, il faut que l'octroi des aides en dépende. Cela vaut de manière générale, mais, en outre-mer, on peut faire des expérimentations, au moins pour certains dispositifs. Aujourd'hui, les exonérations de charges permettent de maintenir de l'emploi, mais pas d'en créer.

Troisième piste : fixer des règles économiques, notamment pour réduire la pauvreté monétaire et la cherté de la vie.

À ce sujet, on parle souvent de la TVA, aspect criant du problème, mais, sur ce point, trois erreurs sont à éviter.

D'abord, remplacer la TVA nationale par une TVA régionale en conservant le même mécanisme. Ainsi, la Guyane et Mayotte ont non une TVA régionale, certes, mais une exonération de TVA assortie d'un taux d'octroi de mer plus élevé que dans les autres territoires ; or elles ont les mêmes problèmes que nous.

La deuxième erreur consisterait à utiliser le produit de la TVA pour subventionner les entreprises – une fausse bonne idée, car elle comporte des effets cliquet. En instaurant il y a quelques années la TVA sociale, on espérait réduire les prix à la carte dans les restaurants, mais, au lieu de cela, on a assisté à un gonflement de la trésorerie et à une captation de la marge par les restaurateurs. De même, ici, avant de réduire les prix, les entreprises risqueraient de gonfler leur trésorerie grâce à ce surplus de dépense fiscale.

Troisième erreur : supprimer la TVA s'il n'y a pas de répercussion mécanique de cette suppression sur les prix. En effet, si on se contente de supprimer la taxe, là encore, les entreprises peuvent choisir ou non de répercuter la mesure sur les prix en réduisant leur taux de marge. Pour cette raison, on pourrait observer des phénomènes de captation de rente.

On décrie beaucoup l'octroi de mer, mais la TVA pèse tout autant sur le budget des consommateurs. On pourrait conserver le produit de la TVA, utiliser le premier alinéa de l'article 294 du code général des impôts, qui exonère de cette taxe la Guyane et Mayotte, et reverser ce produit aux ménages modestes, situés sous le seuil de bas revenu. Cela créerait du revenu pour ces agents. Il faut conditionner le bénéfice des aides : la perception de l'allocation par ces ménages serait subordonnée à la consommation de produits locaux, ce qui stimulerait la production locale et créerait de l'emploi.

Dans un article que je viens de terminer, j'ai mesuré les effets de ce scénario. En Guadeloupe, il aboutirait à une réduction de 2 points du taux de pauvreté – ce qui revient à faire passer 8 000 personnes au-dessus du seuil de bas revenu –, de 2 points du taux de chômage, et une augmentation de 1 point du taux de croissance. Ce dispositif vertueux permettrait ainsi de travailler à résoudre des problèmes criants : pauvreté, chômage, faiblesse de la production locale.

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