Intervention de Cécile Vaissié

Réunion du mercredi 29 mars 2023 à 16h30
Commission d'enquête relative aux ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères-États, organisations, entreprises, groupes d'intérêts, personnes privées-visant à influencer ou corrompre des relais d'opinion, des

Cécile Vaissié, professeure des universités en études russes et soviétiques, directrice du département de russe, à l'université Rennes 2 :

La difficulté de votre commission réside notamment dans la capacité à différencier le lobbying de l'influence. Ouvrir des lieux d'échanges pour nouer des liens et développer des affaires est une bonne chose. Il existe de nombreuses agences de lobbying à Bruxelles. La nuance avec l'influence s'apprécie au regard des personnes avec qui vous faites des affaires. Lorsque vous vendez ou achetez un appartement, vous attendez que les règles de droit soient respectées et vous essayez de traiter avec des personnes honnêtes. Quand vous faites des affaires avec la Russie, vous ne traitez pas avec des personnes honnêtes.

Une erreur d'appréciation a été largement commise, dans les années 1990, en considérant qu'en faisant des affaires et en développant les relations avec la Russie, on contribuerait à transformer ce pays et on l'aiderait à s'intégrer dans la communauté internationale en faisant des affaires à l'avantage de toutes les parties, en facilitant les échanges universitaires. C'est ainsi que M. Soloviev a passé plusieurs années aux États-Unis. L'on a pensé que la Russie deviendrait ainsi un État « normal », c'est-à-dire un État qui n'assassine pas ses voisins à chaque génération. Les personnes qui étudient la Russie savent que c'est pourtant ce qu'elle continue à faire. La guerre en Ukraine n'est pas une guerre intelligente ou de talent. C'est une guerre durant laquelle on rase, comme les Russes ont rasé en Tchétchénie – combien de milliers de Tchétchènes accueillons-nous ? – ou en Syrie. Les Russes attaquent en Ukraine comme ils ont attaqué en Tchécoslovaquie en 1968 et à Budapest en 1956. J'aime la culture russe mais je me demande si nous devrons nous dire à chaque génération que la Russie bombarde, attaque et détruit ses voisins pour rétablir une sorte de contrôle.

L'influence existe partout et à toutes les échelles. Mais en Russie, il y a du sang. En Russie, vous traitez avec des personnes qui n'ont aucune limite, qui vous regardent comme quelqu'un de décadent, comme un Occidental trop poli pour être pris au sérieux. Il faut distinguer les personnes autour de Poutine et la société russe. Les premières méprisent fondamentalement l'Occident et leurs voisins, et ne connaissent que les rapports de force.

J'ai étudié le cas de Mme Narotchnitskaïa, qui était en France. J'ai lu tout ce qu'elle a publié, de nombreux livres et recueils d'entretiens. Elle dit explicitement que les Russes veulent être une grande puissance, pas au sens d'un pays riche comme la Suisse, d'un bon niveau de vie ou d'une grande puissance économique. Ils veulent qu'on leur demande leur avis et qu'on le prenne en compte. Selon elle, la population n'a que faire de son niveau de vie.

M. Poutine a décidé de prendre le contrôle de l'Ukraine ; il a considéré qu'il faudrait tenir compte de son avis. Peu lui importe que la population russe soit en train de crever sur des champs de bataille inutiles ou parce qu'elle est isolée du monde.

Si vous analysez le sujet au travers des procédés, on vous répondra toujours que c'était pour faire du commerce. Mais c'est terminé, quand l'histoire russe est, une fois de plus, passée de l'époque du jeu à celle du sang. On ne fait pas des affaires, des sourires et des dîners mondains avec n'importe qui.

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