Intervention de Cécile Vaissié

Réunion du mercredi 29 mars 2023 à 16h30
Commission d'enquête relative aux ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères-États, organisations, entreprises, groupes d'intérêts, personnes privées-visant à influencer ou corrompre des relais d'opinion, des

Cécile Vaissié, professeure des universités en études russes et soviétiques, directrice du département de russe, à l'université Rennes 2 :

De nombreuses personnes se sont trompées de bonne foi, et continuent à le faire. J'en ai rencontré beaucoup, lors de conférences. En Bretagne, par exemple, j'ai entendu le discours selon lequel la Russie est merveilleuse car elle prône les valeurs familiales. Les statistiques permettent de montrer ce que sont ces valeurs dans la réalité : la plupart des familles sont monoparentales avec un enfant unique, le taux d'avortement est en forte hausse et les difficultés démographiques sont de taille.

Il est indispensable d'informer correctement. Sans doute existe-t-il un problème d'expertise, accru par le développement des chaînes d'information qui font intervenir tout le monde et n'importe qui.

Vous avez évoqué Mme Carrère d'Encausse, qui a été ma directrice de thèse à Sciences Po et pour qui j'ai beaucoup d'affectation et de respect. Elle a été l'une des premières à ouvrir l'université à des femmes. Mais elle a récemment indiqué qu'elle ne comprenait plus ce qui se passe, et que Poutine n'était pas ainsi par le passé. Pourtant, avec toute l'amitié et tout le respect que j'ai pour elle, j'affirme que Poutine est comme cela depuis le premier jour.

Quand j'ai lu, dans Le Figaro, que Mme Carrère d'Encausse, que j'aime et que je respecte, considérait que le KGB était un peu comme l'ENA car il sélectionnait les meilleurs, j'ai cru que j'allais tomber de ma chaise ! Le KGB n'était pas l'ENA. Je n'ai pas nécessairement une haute appréciation de l'ENA, mais on n'y apprend pas à fouiller les sacs de linge sale de ses compatriotes. L'ENA n'est pas le KGB. Si vous partez du principe que M. Poutine est entré au KGB comme n'importe quel homme ou femme politique est entré à l'ENA, vous partez à coup sûr dans la mauvaise voie.

J'ai également entendu Mme Carrère d'Encausse dire que la Russie s'était redressée à partir de la guerre contre la Géorgie. Là encore, j'ai cru tomber de ma chaise. La Géorgie, ravissant pays, compte 4 millions d'habitants avec un niveau de vie « sous le niveau de la mer ». La Russie serait grande parce qu'elle fait la guerre à la Géorgie ?

Des erreurs ont été commises. De nombreuses personnes se sont trompées de bonne foi. Lorsqu'on est expert ou homme politique, il faut se méfier des relations mondaines, des invitations dans les ambassades ou dans des lieux très agréables. Je prône une morale de la vie politique. Si vous voyez M. Poutine comme celui qui vous invite à des séjours très agréables en Crimée – je ne vise pas Mme Carrère d'Encausse, car je pense qu'elle n'y est pas allée, mais on en a vu d'autres, y compris des universitaires – tous frais payés, avec de bons camarades, vous faites erreur. Alain Besançon a été un grand soviétologue et l'un des premiers à expliquer ce qui se passait en Union soviétique. Son ouvrage Présent soviétique et passé russe est visionnaire. J'ai souvent pensé à ce qu'il disait en me rendant en Russie, notamment les dernières années. Il existe certains Russes dont le métier est de créer une ambiance chaleureuse et amicale, de vous ouvrir leur cœur, de vous mettre en confiance. C'est quelque chose que l'on apprend au KGB. Quand vous êtes expert, vous devez vous demander ce que l'on vous veut, quel est le but recherché et s'il est question de relations d'amitié, de relations d'affaires – dans lesquelles chacun gagne quelque chose – ou de relations visant à disposer d'un pouvoir.

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