Intervention de Cécile Vaissié

Réunion du mercredi 29 mars 2023 à 16h30
Commission d'enquête relative aux ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères-États, organisations, entreprises, groupes d'intérêts, personnes privées-visant à influencer ou corrompre des relais d'opinion, des

Cécile Vaissié, professeure des universités en études russes et soviétiques, directrice du département de russe, à l'université Rennes 2 :

Cette entreprise a commencé il y a plusieurs années. Une chose est claire, le Kremlin se moque des idéologies. Cela a été démontré par des experts comme Anton Cherotsov. Cet Ukrainien russophone de Sébastopol vivant désormais à Vienne a consacré un livre aux relations entre la Russie et l'extrême droite. Nous nous sommes souvent croisés à des colloques et des rencontres. Nous avons noté la continuité, mais il existe aussi des différences avec la période soviétique. Durant cette période, il y avait une idéologie – à laquelle les gens croyaient ou pas. Aujourd'hui, le Kremlin se fiche de l'idéologie ou que l'on soit de droite ou de gauche. Cela étant, il a constaté que certains instruments fonctionnaient bien et qu'il pouvait, paradoxalement, les défendre, en premier lieu devant l'étranger proche c'est-à-dire les pays voisins : le discours sur les familles, la défense des valeurs traditionnelles, la défense de la chrétienté et l'ouverture des églises. En Europe, ces positions se retrouvent plutôt dans la droite républicaine ou à l'extrême droite. C'est ainsi qu'il y a quelques années certaines organisations américaines ou formes de sectes de défense de la famille qui tentaient de s'exporter ont brusquement bénéficié du soutien de l'État russe. M. Malofeïev était l'un de ces piliers.

« Les Occidentaux abandonnent les églises, sont décadents, autorisent les mariages homosexuels voire obligent des personnes du même sexe à s'épouser entre elles, tandis que la Russie défend la famille et les valeurs traditionnelles » : ce discours fonctionne extrêmement bien aussi dans des pays comme la Géorgie et, longtemps, l'Ukraine. Voyez avec quelle régularité M. Poutine le tient.

Oui, des réunions et des rencontres se sont tenues autour de ce discours. L'une d'entre elles a eu lieu récemment pour organiser la suite de ce que M. Bannon avait tenté de faire, dans l'entourage de M. Trump. L'accord entre M. Trump et Poutine tournait aussi autour de ce discours de défense des familles. C'est une réalité. Pour le Kremlin, peu importe que l'on soit à droite ou à gauche.

Je ne connais pas l'organisation pratique de ces réunions mais ce type de discours a servi à fédérer des personnes et leur donner un « beau visage ». Vous parlez de kleptocratie, mais parlons plutôt de mafia !

Je vous renvoie aux travaux d'Anastasia Kirilenko. Cette journaliste russe et sibérienne vit en France. Elle a consacré de nombreuses recherches à la mafia, la vraie, celle qui vous coupe en morceaux. Cette mafia, dont certaines têtes ont été jugées en Espagne, était alliée aux dirigeants de Saint-Pétersbourg. Vous demandez où est la différence entre le lobbying et l'influence. Quand vous commencez à voir apparaître le premier mafieux qui considère que, pour gagner cent sous, il peut tuer trois familles, vous pouvez vous dire qu'il n'est peut-être pas fréquentable.

Cette union entre la mafia et les membres du KGB s'explique aussi pour des raisons historiques. Elle s'est fondée dans les camps du goulag, puis elle a prospéré, notamment à Saint-Pétersbourg – tout le monde le sait. Mais derrière, il y a le beau discours sur la défense des familles et de l'église. « Regardez, nous ouvrons une église à Paris et une autre à Strasbourg ! » Et ce, de la même façon que perdure le discours soviétique selon lequel les Soviétiques ont battu les nazis. Cela s'appelle un discours de propagande, véhiculé par M. Malofeïev, dont on sait qu'il est l'un de ceux qui ont déclenché la guerre dans le Donbass.

Monsieur le président, vous évoquiez les experts qui indiquaient que le Donbass comptait de nombreux russophones. J'aurais aimé que le Donbass soit l'Alsace. En Alsace, de nombreux Français parlent l'allemand ou une langue proche de l'allemand, et vont travailler en Allemagne. S'il y avait eu des personnes intelligentes à la tête de la Russie, elles auraient considéré qu'après avoir vécu dans un empire commun, elles auraient pu créer un espace économique dans lequel faire des affaires, avec la possibilité de vivre au Donbass, de travailler de l'autre côté de la frontière et de parler russe. C'est un peu ce qu'Eltsine a voulu faire avec la CEI, la Communauté des États indépendants.

En Ukraine, tout le monde parle russe. Je n'y ai jamais parlé que le russe, sans susciter aucune réaction. On aurait pu faire du Donbass une sorte d'Alsace. On aurait pu tirer les leçons de l'histoire et du fait que les Français et les Allemands se sont battus et massacrés pour l'Alsace, mais y entretiennent désormais de bonnes relations. En Alsace, on entre, on sort, on a de bonnes relations, des personnes sont bilingues et tout se passe bien. Au Donbass, un choix conscient a été opéré, typique du KGB : s'appuyer sur quelques individus qui clameront qu'ils sont persécutés, puis faire intervenir les relais du Kremlin – demain, cela pourrait arriver en Bretagne. Les russophones n'ont jamais été persécutés en Ukraine, en tout cas au cours des vingt dernières années. Affirmer le contraire est un mensonge. Mais certains l'ont répété de bonne foi. Cela s'appelle la propagande.

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