Intervention de Cécile Vaissié

Réunion du mercredi 29 mars 2023 à 16h30
Commission d'enquête relative aux ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères-États, organisations, entreprises, groupes d'intérêts, personnes privées-visant à influencer ou corrompre des relais d'opinion, des

Cécile Vaissié, professeure des universités en études russes et soviétiques, directrice du département de russe, à l'université Rennes 2 :

Je pense d'abord à ce qui échappe aux regards, en l'occurrence les blogs.

En 2019 ou 2020, M. Lavrov, ministre des affaires étrangères, s'est rendu à Paris dans un cadre officiel. Il a alors organisé à l'ambassade de Russie une réunion, qui n'était pas publique et dont nous avons été informés grâce à une fuite, avec ceux qui, dans les médias, véhiculaient les narratifs du Kremlin. Une photographie nominative permet de savoir quelle était la petite quinzaine d'invités. Il y avait notamment M. Berruyer, fondateur du site Les Crises, un « tout petit blog de rien du tout » qui a relayé durant des semaines le narratif du Kremlin présentant l'Ukraine comme un pays nazi qu'il faudrait diviser en trois morceaux. Il ne parle ni russe ni ukrainien et n'a visiblement jamais mis les pieds en Ukraine ou en Russie, mais explique durant des semaines pourquoi l'Ukraine est peuplée de nazis. Et quand M. Lavrov vient à Paris, il le reçoit. On peut penser qu'il le remercie pour services rendus spontanément. Mais on peut aussi considérer qu'ils se sont trouvés et que l'amour fait des miracles.

Sur cette même photographie, vous verrez le représentant de ThinkerView. Certes, les gens ont le droit d'avoir des positions pro-Kremlin. Mais l'invasion de l'Ukraine change la donne. Nous avons constaté des revirements – parfois provisoires – y compris dans le monde politique.

La France compte de bons et vrais journalistes spécialistes de la Russie et de l'Ukraine. Ceux des grands journaux parlent la langue et vivent dans ces pays, ou y ont vécu. C'est une chance. Nous avons de très bons journalistes. En revanche, le narratif du Kremlin se déverse dans des blogs et des sites dont vous n'avez même pas idée de l'existence. Un peu de ménage a été fait, mais c'est sur eux que doit porter l'attention.

La Russie proposait des bourses pour les journalistes prêts à aller photographier et filmer des scènes en Crimée et dans le Donbass, puis à organiser des expositions. Certes, tout État peut proposer des bourses à des journalistes. Ce n'est pas nécessairement de la corruption, mais c'est de l'influence. Certaines personnes présentes dans le Donbass font de la propagande non-stop depuis des années. Il est clair qu'elles sont employées par les Russes. Par qui d'autre voulez-vous qu'elles le soient ? Quand elles y sont depuis cinq, six ou sept ans, il est évident qu'elles sont payées par les Russes.

Dans certains cas, les journalistes peuvent être un peu ignorants. Mais dans les grands médias et les grands journaux, nous avons de très bons journalistes.

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