Intervention de Cécile Vaissié

Réunion du mercredi 29 mars 2023 à 16h30
Commission d'enquête relative aux ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères-États, organisations, entreprises, groupes d'intérêts, personnes privées-visant à influencer ou corrompre des relais d'opinion, des

Cécile Vaissié, professeure des universités en études russes et soviétiques, directrice du département de russe, à l'université Rennes 2 :

J'ai parlé de cette histoire à une journaliste, qui a ensuite rédigé un article à son sujet. Il s'agissait de faire intervenir M. Medvedtchouk et M. Rabinovitch, son adjoint.

M. Medvedtchouk, qui se trouve en Russie, était une personnalité de la vie publique ukrainienne notoirement pro-Kremlin. D'une part, sa fille est la filleule de M. Poutine. En Russie, ce lien est traditionnellement très fort. Il n'est pas accordé à tout le monde. D'autre part, à l'époque soviétique, M. Medvedtchouk était avocat autorisé par le KGB à intervenir dans certaines affaires – j'ai fait ma thèse sur les dissidents et je peux tout vous dire sur ces procédés que je connais bien –, notamment celle du dissident ukrainien et grand poète Vassyl Stous, mort après une grève de la faim dans un camp soviétique. M. Medvedtchouk a accablé son client. C'est lui qui l'a envoyé dans les camps. Vassyl Stous y serait parti malgré tout, mais c'est M. Medvedtchouk qui l'y a envoyé. Cet homme est donc mouillé depuis des années. Et il s'en est bien tiré, puisqu'il est devenu multimilliardaire.

L'opération que vous évoquez est une honte républicaine. Une honte ! M. Pozzo di Borgo, si je ne m'abuse ancien sénateur, a organisé une rencontre pour donner la parole devant des personnes dont certaines étaient là par hasard, dont M. Petit.

La propagande russe a toujours une double utilisation, à l'égard des Occidentaux – que le public soit large ou étroit – et à l'égard du public russe. C'est le cas des votes organisés à l'Assemblée nationale pour ou contre les sanctions européennes. Quand vous organisez un tel vote, il n'a aucun poids, si ce n'est qu'en Russie, on montrera que les députés français sont contre les sanctions. C'était le cas dans l'opération que vous évoquez. Je pensais qu'il s'agissait d'exercer une influence sur des députés. Mais apparemment, la plupart des députés qui étaient présents n'étaient pas au courant. La cible n'était pas non plus le grand public, qui n'était pas non plus au courant. L'objectif était de montrer que M. Medvedtchouk, millionnaire en Ukraine détenant plusieurs chaînes de télévision de propagande pro-Kremlin, était au Sénat. Si j'avais été présidente de l'Ukraine, ma première action aurait consisté à fermer les chaînes de télévision pro-Kremlin ! Elles ont été maintenues, diffusant de la propagande en ukrainien et en russe.

Cette rencontre au Sénat a été organisée alors qu'un orage planait sur la tête de M. Medvedtchouk, d'autant qu'un livre consacré au procès de Vassyl Stous a été publié. C'est de la manipulation, du détournement d'institution républicaine, visant à affirmer en Ukraine et en Russie que MM. Medvedtchouk et Rabinovitch, qui défendent les intérêts des Russes prétendument persécutés, ont une audience au Sénat français. J'appelle cela du détournement. Du public a été invité pour remplir la salle. Les organisateurs ont fait du détournement d'institution républicaine.

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