Intervention de Cécile Vaissié

Réunion du mercredi 29 mars 2023 à 16h30
Commission d'enquête relative aux ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères-États, organisations, entreprises, groupes d'intérêts, personnes privées-visant à influencer ou corrompre des relais d'opinion, des

Cécile Vaissié, professeure des universités en études russes et soviétiques, directrice du département de russe, à l'université Rennes 2 :

Je pense que la Russie n'a pas joué sur le résultat des élections en France, contrairement à d'autres pays comme les États-Unis, où c'est documenté.

Je vous invite à consulter M. Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, directeur de l'IRSEM, l'Institut de recherche stratégique de l'École militaire. Avant de produire une étude sur l'influence chinoise, il a conduit un excellent travail sur la façon dont la Russie a essayé de s'ingérer dans l'élection présidentielle française de 2017.

J'avais bien conscience, en écrivant mon livre, que plusieurs candidats entretenaient des liens étroits avec les cercles de M. Poutine. Différents partis étaient concernés. Vous l'avez dit, et vous n'avez pas tort. Le Rassemblement national est allé chercher un prêt à Moscou auprès de gens infréquentables – Mme Le Pen était ravie de se faire photographier avec M. Poutine. Mais il faut aussi mentionner les excellentes relations de M. Fillon – dont on se demandait qui lui payait ses pantalons –, qui s'était rendu au congrès de Valdaï avec M. Poutine, ou encore les discours pro-Poutine de M. Mélenchon. La question de l'ingérence russe s'est posée pour ces élections.

L'excellente étude de M. Vilmer montre comment, à la dernière minute, lors du débat de l'entre-deux-tours, Marine Le Pen a lancé une information qu'elle ne pouvait avoir que parce qu'il y avait eu une action de hackers sur le mouvement La République marche. C'est documenté. Toutefois, il est démontré que cela n'a pas joué. Dans d'autres pays, WikiLeaks a été utilisé par les services russes. Je ne dispose pas d'indications montrant que cela a joué, en France.

S'agissant de l'influence économique et des entreprises ayant des capitaux russes, la France se situe heureusement loin derrière d'autres pays. En Grande-Bretagne, avant que ce pays ne se réveille, il y avait beaucoup plus de capitaux russes investis. Je ne parle pas de la Géorgie, où des villes entières appartiennent à des Russes. En Tchéquie aussi, bien que ce pays soit très remonté, actif et vigilant, des villes entières, des entreprises de tourisme et des hôtels appartiennent à des Russes. En France, ce n'est pas le cas. Je ne dis pas – et je ne le pense pas – qu'un Russe désireux d'investir dans une entreprise ou de créer sa propre entreprise est nécessairement un agent du Kremlin. Une réflexion devra être conduite, en France et en Europe, sur la façon d'intégrer les émigrés qui arrivent massivement de Russie. Regardez combien de personnes fuient ce pays : c'est une bonne indication de l'état dans lequel il se trouve.

De nombreux émigrés sont honnêtes et souhaitent créer leur entreprise. La Lituanie refuse désormais de leur accorder la nationalité et de leur permettre de faire des affaires. L'Europe occidentale a tout intérêt à réfléchir à cette question. Comme citoyenne, je ne veux plus voir des personnes richissimes qui ont pillé les richesses de leur pays acquérir des châteaux dans notre pays. Je comprends bien qu'à Courchevel on les adore, ou que les commerçants de la Côte d'Azur les adulent. Mais ce sont des sources de problèmes. Ce sont des agents de corruption.

Allez discuter avec des Niçois de la cathédrale et des églises russes orthodoxes de Nice. Des Français depuis trois générations gèrent des églises russes dans la continuité de ce qu'ont fait leurs parents, leurs grands-parents et leurs arrière-grands-parents émigrés après la révolution, pour maintenir un lien avec leur culture et leur identité. J'ai bien suivi cette affaire, à Nice : ces Français se font fait agresser comme des chiens, notamment par l'ambassade de Russie. L'ambassadeur, M. Orlov, se déplaçait en personne. On leur a fait un procès. On les a menacés. Mais ils n'étaient pas de force à résister. Ils n'en avaient pas les moyens. Souvent, ce sont des personnes âgées – et elles s'occupent d'une église, ce n'est donc pas l'agressivité qui les caractérise. C'est ainsi que la Fédération de Russie a réussi à récupérer la cathédrale de Nice, dans la violence et dans le scandale, et a voulu prendre le magnifique cimetière russe. Il existe des enjeux symboliques et financiers autour des cimetières. Un prêtre a fait sauter le verrou du cimetière ! Dans quel monde est-on ? Même la presse russe s'en est fait l'écho. Les Français descendants d'émigrés ont affiché une pancarte où il était inscrit : « Ce n'est pas la Crimée ici, le cimetière n'est pas le vôtre ! » Cela paraît du détail, mais cela crée du stress et du malheur chez des Français qui se demandent pourquoi ils ne sont pas défendus face aux ingérences agressives de la Russie. Je pourrais vous raconter des cas très précis. Ils sont documentés. Vous trouvez tout sur internet. Des personnes de la paroisse russe s'en occupent.

Ce sont des symboles. C'est une façon de s'ancrer en France et de contrôler les Russes qui se rendent sur la Côte d'Azur, car on ne dit pas tout à fait la même chose dans les églises du patriarcat de Moscou et dans celles de l'émigration. Il existe de nombreux conflits à ce sujet.

Des rumeurs circulent quant à l'influence et à l'ingérence que pourraient exercer sur nos élus les oligarques russes – mais aussi ukrainiens et ouzbeks – qui se trouvent sur la Côte d'Azur. Il faut les exploiter. Je ne peux pas en dire plus car je n'ai pas regardé de près, mais des rumeurs circulent, notamment au sujet des églises.

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