Intervention de Nicolas Tenzer

Réunion du mercredi 29 mars 2023 à 16h30
Commission d'enquête relative aux ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères-États, organisations, entreprises, groupes d'intérêts, personnes privées-visant à influencer ou corrompre des relais d'opinion, des

Nicolas Tenzer, président du Centre d'étude et de réflexion pour l'action politique (CERAP) :

La commission de déontologie, me semble-t-il, se réunit lorsqu'un ancien haut fonctionnaire passe dans le secteur privé ou exerce des activités privées deux ou trois ans après sa cessation de fonctions. S'il le fait cinq ans après, par exemple, je ne crois pas que la commission de déontologie se prononce. Or tel est souvent le cas.

Je suis en effet le cofondateur de Desk Russie, dont j'ai quitté la direction il y a deux semaines pour des raisons d'emploi du temps tout en restant membre du conseil d'administration de l'association qui le gère. Je suis heureux d'avoir contribué à lancer ce média avec sa directrice de la rédaction, Galia Ackerman. Il a su trouver sa place.

Certaines actions que nous avons évoquées sont toujours en cours : la Russie déstabilise, appuie « là où ça fait mal », pousse les mouvements de contestation, répand la discorde. On ne voit plus guère certains propagandistes ardents sur les chaînes classiques de télévision mais la propagande n'a pas disparu, encore moins la propagande douce. Certains diffusent de très doux récits – il faut faire la paix avec la Russie, il ne faut plus armer l'Ukraine, il faut engager rapidement des négociations de paix – ou font mille reproches à l'Union européenne ou à l'OTAN. C'est le discours d'Henri Guaino, d'Arno Klarsfeld – lequel a été désavoué par sa famille –, du petit-fils du général de Gaulle, de militaires et d'autres intervenants dans les médias. Quasiment plus personne, sauf en Russie ou sur des chaînes extrêmes ou de petits blogs, ne reprend le discours de propagande du genre : « l'Ukraine est responsable », « la Russie n'a rien fait ». L'action, toutefois, est devenue plus subtile.

Au début de la guerre, un ancien général, patron du renseignement militaire français, a même dit qu'il ne fallait pas armer l'Ukraine car cela ne ferait qu'augmenter les souffrances du peuple ukrainien. Ce discours, que je juge un peu nauséeux, relève de la propagande. Ce général a été membre d'une officine qui répand les narratifs prorusses et pro-Assad, le Centre français de recherche sur le renseignement, fondé par un certain Éric Denécé. Intéressez-vous aux membres de son conseil d'orientation ou, mieux, à ceux qui, voyant que ce n'était pas très présentable, en ont démissionné ! Nous assistons parfois à des opérations de blanchiment de réputation, comme pour les résistants de juin 1944. Certains essaient d'effacer les traces de leurs interventions sur Russia Today ou Sputnik. Ceux qui observent la situation depuis longtemps savent qu'après avoir tenu des discours un peu plus modérés, ils reprendront le même ton qu'autrefois si les choses évoluent dans un certain sens.

Faisons attention aux récits que des personnalités éminentes reprennent sans le vouloir. Lorsqu'il a reçu M. Poutine à Brégançon, en 2019, le Président de la République a repris l'expression « l'Europe de Lisbonne à Vladivostok » au lieu de celle, plus classique et mieux connue, de « de l'Atlantique à l'Oural ». Or cette phrase a été forgée par Alexandre Douguine, un des pères de l'eurasisme, et Vladimir Poutine l'a reprise pour intituler un article publié en 2010 dans le journal allemand, le Süddeutsche Zeitung. Le Président de la République ne savait certainement pas d'où venait cette expression, mais pourquoi l'a-t-il utilisée ? De même, il a évoqué « les peuples frères » en parlant de la Russie et de l'Ukraine, formule constitutive de la propagande russe, ce que sait tout Ukrainien ou toute personne qui a étudié l'histoire. Pourquoi le Président de la République a-t-il utilisé ces termes ? Je n'ai pas de doute quant à sa position vis-à-vis de la Russie mais l'apparition involontaire de tels éléments troublants illustre la pénétration de ces discours auprès de cercles qu'on ne peut suspecter d'affinité avec le régime russe.

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