Intervention de Frédéric Petit

Séance en hémicycle du mardi 9 mai 2023 à 15h00
Inscrire le groupe militaire privé wagner sur la liste des organisations terroristes — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrédéric Petit :

Depuis février 2022, nous pouvons enfin mettre des mots concrets et du sens sur des valeurs que certains élus qualifient de fumeuses, affirmant qu'après tout les valeurs européennes sont des concepts imaginés ou des valeurs qui existent ailleurs. Je prends souvent l'exemple de la langue – ou de nos fameuses vingt-quatre langues : si elle est, chez nous, émancipatrice, elle peut être synonyme d'assignation à résidence dans un monde impérialiste ; ou encore les exemples de l'histoire, qui est une science chez nous, ou de l'information qui est un partage mais qui peut aussi être utilisée comme une arme de guerre dans une société impérialiste.

Dans le cas du groupe Wagner, nous touchons une question absolument fondamentale en démocratie et sur le plan de nos valeurs : qui se bat ? En démocratie, les soldats sont d'abord et avant tout des citoyens, et non des commerçants ou des prisonniers. On se bat pour son pays, pour sa nation, non pour un patron ou pour soi-même. Dès 2018, la commission des affaires étrangères de notre assemblée, sous la présidence de Marielle de Sarnez, s'était intéressée à ce phénomène des proxys, à ces zones de guerre dans lesquelles la lutte armée devient un business, en Syrie, en Irak, en Libye, y compris chez les Américains. Nous nous étions posé cette question : que devient la démocratie lorsque ce ne sont plus les États qui commandent les armées ? Que devient la diplomatie ?

Le groupe Wagner a été créé en 2014 dans le Donbass. Il répond à une gestion d'entreprise privée, sa division Afrique disposant même d'un plan stratégique comme dans de grandes entreprises – des journalistes courageux, que je salue, nous ont permis de le découvrir. Certes, nous savons tous que sur les théâtres d'opérations, le groupe Wagner massacre, pille, saccage et viole, autant de crimes de guerre de plus en plus documentés. Que ce soit en Syrie, en Libye, au Soudan, en Centrafrique, au Mozambique, au Mali ou en Ukraine, il sème la terreur. Mais une fois installé, conformément au business plan de l'entreprise, c'est-à-dire à la stratégie des chefs d'entreprise, j'insiste sur ce point, le groupe Wagner se lance dans l'exploitation des ressources minières, aurifères ou du bois. Je ne serais pas surpris outre mesure d'apprendre que le détour opéré par les forces de Wagner sur Soledar, lorsqu'elles avançaient vers Bakhmout, ne soit une opération économique et que des prisonniers soient actuellement au fond de la mine au lieu de se battre.

Ce groupe est lié à l'armée russe, quoi qu'on nous dise, d'abord parce que plusieurs armées privées se font concurrence – il n'existe pas que la milice Wagner : le ministre russe des armées a aussi la sienne et Gazprom est en train d'en constituer également. Ces groupes sont donc liés, tels les concurrents d'un même business. Mais surtout, ils sont utilisés comme ballons d'essai, comme un laboratoire de ce qui peut se faire ou non, avec des exemples très concrets : « En 2014, je me rends dans le Donbass sans y être et j'observe la réaction internationale ; huit ans plus tard, j'envahis et j'essaie de rejoindre Kharkiv, au moyen d'une opération prétendument spéciale. » Deuxième exemple, l'incorporation des prisonniers : 40 000 d'entre eux auraient été recrutés par Wagner ; or, désormais, ce n'est plus la milice qui propose des contrats aux prisonniers, c'est l'armée russe elle-même !

Si Wagner est une entreprise certainement lucrative, c'est une mauvaise armée – car une bonne armée repose nécessairement sur l'engagement des citoyens. À chaque confrontation de terrain, Wagner est battu : au Mali, il a avancé parce que nous ne voulions pas nous engager dans un combat trouble ; il a été écrasé lors des quelques accrochages qu'il a eus en Syrie avec l'armée américaine ; il a été bloqué en Ukraine. Ne nous trompons pas : Wagner n'est ni une armée d'élite, ni une armée puissante, c'est le bras armé d'un pouvoir mafieux, cupide et profondément cynique. La France et l'Europe doivent exprimer une parole forte au sujet des groupes de cette nature, du phénomène de sous-traitance de la guerre et des anti-start-up de cette économie innovante et macabre. Inscrire Wagner sur la liste des groupes terroristes, ce n'est effectivement que du droit – certains l'ont souligné –, mais ce droit est notre arme. Plus qu'une menace pour nos intérêts, le groupe Wagner constitue une menace pour notre modèle. Le groupe Démocrate votera donc en faveur de cette proposition de résolution.

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