Intervention de Catherine Colonna

Séance en hémicycle du mardi 9 mai 2023 à 15h00
Inscrire le groupe militaire privé wagner sur la liste des organisations terroristes — Discussion générale

Catherine Colonna, ministre de l'Europe et des affaires étrangères :

pour qu'aucun de ces crimes barbares ne demeure dans l'ombre, malgré tous les risques qu'ils peuvent encourir en les dénonçant.

Les exactions commises par le groupe Wagner ne sont pas des actes isolés ou des accidents de parcours. Ils sont le fruit d'une doctrine qui vise à instaurer un régime de terreur. Ils sont aussi le bilan quotidien d'un groupe qui, pour servir ses intérêts économiques, isole et déstabilise les pays qui l'accueillent, au prix de leur souveraineté. Jamais les interventions de Wagner n'ont permis de rétablir la sécurité ou d'endiguer la menace terroriste – jamais. Il n'a d'ailleurs jamais cherché à y parvenir, car il ne sert rien d'autre que ses propres intérêts, et ceux de quelques dirigeants désireux de se maintenir à tout prix au pouvoir en hypothéquant l'avenir de leur population. Là où s'implante Wagner, les groupes armés progressent et la démocratie s'étiole – la République centrafricaine et le Mali en sont des exemples malheureux.

Je tiens à vous dire que, devant ce constat, notre diplomatie est pleinement mobilisée, et qu'elle mène des actions concrètes et complémentaires.

Premièrement, nous agissons pour entraver préventivement les déploiements du groupe Wagner, grâce à des échanges directs, francs et exigeants avec les pays qui pourraient être tentés d'y avoir recours. Cette action diplomatique, menée en étroite concertation avec nos partenaires internationaux, vise à alerter les pays sur les risques induits, qui, comme on l'a vu, sont immenses. Ainsi, avant même que la junte malienne ne décide de recourir au groupe Wagner, nous l'avions prévenue qu'un tel déploiement ne ferait qu'accentuer la dégradation de la situation sécuritaire en Afrique occidentale et aggraver la situation des droits de l'homme au Mali. C'est tout le sens du communiqué conjoint publié le 23 décembre 2021, que nous avons cosigné avec quinze de nos partenaires européens et internationaux.

Deuxièmement – et c'est à juste titre rappelé dans la proposition de résolution –, nous nous mobilisons, de manière résolue et déterminée, pour ne jamais laisser de place à l'impunité lorsque des exactions sont commises. La France soutient ainsi activement le travail essentiel mené par la Cour pénale internationale. En Ukraine, le bureau du procureur de la Cour pénale internationale a ouvert une enquête dès le 2 mars 2022 à la requête de quarante et un États, dont les vingt-sept États membres de l'Union européenne – y compris la France.

Notre soutien à la Cour pénale internationale est, du reste, parfaitement concret : troisième contributeur à son budget, nous avons en outre versé une contribution volontaire au bureau du procureur en 2022, pour lui permettre de continuer à enquêter sur toutes les situations, malgré l'accroissement de ses activités. La France a également partagé un certain nombre d'informations avec la Cour, afin de l'aider à documenter les crimes commis par la Russie et ses supplétifs – notamment à Boutcha. Elle met à sa disposition un magistrat et des enquêteurs. En outre, nous avons déployé en Ukraine deux missions de l'Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale, en particulier à Boutcha et Izioum, et livré deux laboratoires d'analyses mobiles en appui aux investigations ukrainiennes. Le second laboratoire, matériel unique que la France est l'un des rares pays au monde à posséder, est en ce moment même remis aux autorités ukrainiennes par notre ambassadeur.

Enfin, sous l'impulsion de la présidence française du Conseil de l'Union européenne, le mandat de l'unité de coopération judiciaire de l'Union européenne, Eurojust, a été renforcé. Il doit permettre à cette agence de préserver, stocker et analyser des preuves de crimes de guerre, crimes contre l'humanité et génocides, en vue de les redistribuer aux enquêtes pénales ouvertes par l'Ukraine, mais aussi par les différentes autorités judiciaires des États membres de l'Union européenne et la Cour pénale internationale. De même, au Mali, nous appelons la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma) à utiliser son mandat en matière de droits de l'homme, pour faire en sorte que les responsables d'exactions – notamment ceux du massacre de Moura – soient poursuivis.

Troisièmement, nous avons instauré des sanctions à l'égard du groupe Wagner, de ses responsables et de ses entités associées. Comme la prédation des ressources naturelles est au cœur de ce modèle économique criminel, les sanctions sont au cœur de la proposition de résolution que vous avez présentée, M. Haddad. Dans ce domaine, nous sommes pleinement mobilisés avec nos partenaires européens. Ainsi, à l'initiative de la France, le groupe Wagner, dix-neuf individus et douze entités lui étant liés, ont déjà fait la cible de deux paquets de sanctions de l'Union européenne – le premier il y a plus de deux ans, le second en février 2023. Ces sanctions ont d'ores et déjà des conséquences concrètes : elles entraînent le gel des avoirs dans l'Union européenne, mais aussi l'interdiction de mettre des fonds et des ressources économiques à disposition des personnes et des entités sanctionnées. Pour être parfaitement claire, je précise que figurent notamment parmi celles-ci Evgueni Prigojine, le leader du groupe Wagner, et Dmitri Outkine, son fondateur, mais aussi Ivan Maslov, qui dirige sa branche au Mali, ou encore Vitalii Perfiliev, personnage clé de Wagner en République centrafricaine.

D'un point de vue strictement juridique, l'inscription de la milice Wagner sur la liste des entités terroristes de l'Union européenne au titre du régime dit « PC 931 » n'aura pas d'effet direct supplémentaire, mais nous ne devons pas sous-estimer l'importance symbolique d'une telle désignation, ni le caractère dissuasif qu'elle pourrait avoir – espérons-le – pour les États aujourd'hui tentés d'y avoir possiblement recours.

C'est à cette aune que je tiens à saluer la proposition de résolution soumise à votre examen, dans la lignée des initiatives prises par plusieurs parlements, dont le Parlement européen, le 23 novembre 2022. Ce sujet, si important et si légitime, mérite que nous l'expertisions pleinement, avec nos partenaires européens, bien sûr, mais également avec nos principaux partenaires en matière de sanctions – les États-Unis et le Royaume-Uni – car nous ne serons efficaces que si nous parvenons à afficher un front uni. La désignation du groupe Wagner comme entité terroriste n'est aujourd'hui pas un tabou, tant les éléments qui justifient une telle décision sont nombreux. Je veux donc vous assurer que votre message a été entendu et que je partage très largement votre point de vue : rien ne sera négligé pour que ce groupe rende des comptes et qu'un terme définitif soit mis à ses exactions.

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