Intervention de Sébastien Lecornu

Séance en hémicycle du mardi 23 mai 2023 à 21h30
Programmation militaire 2024-2030 — Article 2 et rapport annexé

Sébastien Lecornu, ministre des armées :

Nous terminons par revenir à la conversation avec laquelle nous avons ouvert la séance, à vingt et une heures trente précises, et nous revenons sur le cœur même de la notion de dissuasion. Dissuader, c'est faire suffisamment peur à l'autre pour qu'il ne tente rien contre nous.

En fait, ces amendements identiques ne s'appuient pas sur les mêmes fondements : les uns font l'hypothèse que la dissuasion ne devrait plus passer par l'arme nucléaire ; les autres imaginent que la dissuasion nucléaire ne serait plus efficace.

Dans ces situations, il faudrait donc réfléchir dès maintenant, d'un point de vue moral notamment – cela a du sens –, à quelque chose d'aussi terrible et d'aussi effrayant que l'arme atomique, au cas où celle-ci ne fonctionnerait plus. La dissuasion nucléaire et, plus largement, les dissuasions sont des sujets graves, qui n'avaient pas fait l'objet d'un débat de cette qualité à l'Assemblée nationale depuis très longtemps. Nous nous éloignons du logiciel qui conduit au désarmement, non plus unilatéral, mais multilatéral, que vous appelez de vos vœux : celui-ci ne se ferait qu'au prix d'une solution alternative tout aussi terrifiante. Ce point, qui ne doit pas être un tabou, révèle quelque chose de votre approche, que vous ne dévoilez pas tous complètement – le député Lecoq me donnera raison à cet égard.

Ce débat ouvre deux tiroirs : d'une part, celui de la crédibilité de l'arme nucléaire comme arme de dissuasion ; nous en avons débattu longuement et le rapporteur vient d'en parler. D'autre part, celui du remplacement de l'arme nucléaire par une solution alternative tout aussi effrayante. Il s'agit d'un tiroir qu'il ne me semble pas raisonnable d'ouvrir dans le cadre du rapport annexé à un projet de loi de programmation militaire.

Plus largement, ce débat pose la question du maintien d'une dissuasion nucléaire efficace, telle qu'elle existe aujourd'hui, au moins pour les cinq prochaines années, et au-delà. Cela demandera nécessairement de la souplesse et de la réactivité. En cela, nous renouons avec notre histoire : les gaullistes dans les années 1960, mais aussi leurs prédécesseurs sous la IVe République et, entre 1944 et 1946, le Gouvernement provisoire issu de la Libération considéraient qu'il était impensable que nous n'ayons pas cette arme de dissuasion. Nos successeurs devront se poser les bonnes questions.

Ce débat est intellectuellement intéressant – c'est un beau sujet de colloque et de débat dans l'hémicycle –, mais pour en revenir au rapport annexé du projet de LPM telle qu'elle pourrait être promulguée, il nous faut rester dans la pureté de la doctrine de la dissuasion telle qu'elle existe. Avis défavorable.

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