Intervention de Sébastien Lecornu

Séance en hémicycle du jeudi 25 mai 2023 à 15h00
Programmation militaire 2024-2030 — Article 2 et rapport annexé

Sébastien Lecornu, ministre des armées :

Nous pourrons bien sûr revenir sur les embauches, mais la situation est tellement différente selon les métiers qu'il est difficile de raisonner de façon globale en matière de ressources humaines. En revanche, la réalité, c'est que le niveau d'ancienneté au moment du départ diminue et qu'il faut chercher à l'expliquer. C'est pourquoi j'ai demandé au secrétaire général pour l'administration du ministère des armées d'analyser cette tendance, qui comporte plusieurs explications.

La première est liée à l'attractivité du marché du travail. N'importe quel employeur le dira : plus le marché du travail est attractif, plus un gros employeur tel que le ministère des armées en ressent les effets – qu'ils soient positifs ou négatifs, c'est un fait.

La deuxième, et je me permets d'alerter sur ce point la représentation nationale, tient à l'état physique des candidats : le service de santé des armées et les directions des ressources humaines voient diminuer la proportion de ceux qui peuvent répondre aux critères d'aptitude physique fixés pour entrer dans les armées.

Enfin, le troisième élément, qui mérite également une réflexion plus globale, concerne le degré de compatibilité entre les aspirations du corps social français et le statut de militaire. Ne nous racontons pas d'histoires : cette dimension existe et je la mets sur la table. Je vais bien sûr traiter des questions de fidélisation et d'indemnités indiciaires, mais il était nécessaire de dresser cet état des lieux, pour ne pas biaiser le débat.

Plusieurs chantiers ont donc été engagés. Tout d'abord, en matière de rémunérations, une étape importante a été franchie avec la NPRM : certains me répondront qu'il s'agit de la partie indemnitaire mais, comme je l'ai rappelé en commission, je réfute l'idée qu'une LPM indiciaire devrait succéder à une LPM indemnitaire : la solde d'un militaire est construite de manière bien plus complexe et il faut de toute façon combiner les deux.

Le présent projet de loi de programmation militaire consacre 10 milliards d'euros de plus que la précédente à la rémunération globale, sachant, rappelons-le, qu'il s'agit d'un socle. J'en veux pour preuve que l'augmentation de 3,5 % du point d'indice de la fonction publique, décidée par le Gouvernement l'année dernière, n'était pas prévue dans la LPM votée par le Parlement en 2018 – je le rappelle également car nous sommes allés un peu vite en commission sur ce sujet.

Ce qui est vrai du point d'indice l'est également du relèvement du minimum de traitement dans la fonction publique – l'indice a ainsi été augmenté de 2,2 % le 1er mai. Plusieurs d'entre vous ont relevé cette décision qui est, certes, favorable ; mais elle crée aussi un tassement des grilles indiciaires. Ainsi, l'écart entre la solde d'un soldat de la troupe – hors opérations extérieures (Opex), soyons précis – et celle du premier grade des sous-officiers, c'est-à-dire, pour faire simple, second maître dans la marine ou sergent dans l'armée de terre – je ne traite pas les cas particuliers des autres services –, s'est prodigieusement écrasé. Cela entraîne une démotivation face à la prise de responsabilités : au fond, pourquoi devenir sous-officier, assumer des fonctions d'encadrement et prendre des risques, lorsqu'on n'y est pas intéressé financièrement ? C'est bien légitime, et peut-être plus encore dans les armées qu'ailleurs parce que l'escalier social est imbriqué dans le statut militaire.

Nous en arrivons donc au troisième volet de mon argumentation, après le point d'indice, le relèvement du minimum de traitement dans la fonction publique et la NPRM dont je rappelle que les effets ne se sont pas encore concrétisés sur les bulletins de solde des militaires – dans l'armée de terre par exemple, la prime de combattant terrestre ne sera versée qu'au mois d'octobre : celui des grilles indiciaires.

C'est pourquoi le sous-amendement du Gouvernement vous propose d'ajouter à l'alinéa 4, en sus de l'amendement de M. Chenevard, la phrase suivante : « La revalorisation des grilles permettra ainsi aux militaires du rang de progresser dès les premières années de leur engagement et renforcera l'incitation à progresser vers les grades de sous-officiers. Une attention particulière sera portée à la reconnaissance des sous-officiers supérieurs, véritable "colonne vertébrale" de nos forces armées. Les parcours d'officiers seront également valorisés en accompagnant mieux les potentiels et les performances constatées. La part indemnitaire de la politique salariale, quant à elle, ciblera les métiers et les expertises en forte tension et qui participent à nos pivots capacitaires. »

Cela m'amène à préciser le calendrier. J'ai indiqué au CSFM que je souhaitais procéder dès 2023 à une revalorisation des grilles pour la troupe et pour les premiers grades de sous-officiers – sergents, sergents-chefs ou seconds maîtres, éventuellement adjudants – afin de répondre à l'urgence, puis, à partir de 2024, consolider la grille des sous-officiers supérieurs – adjudants, adjudants-chefs, majors –, une incitation à progresser pour les officiers pouvant être envisagée à partir de 2025 – mais celle-ci reste à affiner.

Nous pourrions bien sûr aller au-delà, mais nous risquerions alors d'outrepasser ce qu'un rapport annexé est à même de suggérer. Je note d'ailleurs que j'accepte depuis lundi d'aborder avec vous des thèmes qui relèvent normalement des prérogatives de l'exécutif en tant qu'employeur : je considère en effet que la loi de programmation permet d'avoir un échange politique de bon niveau sur toutes ces questions.

Celles et ceux qui se sont rendus sur le terrain, au sein des forces armées, ont pu constater que la rémunération ne permettra pas, à elle seule, de résoudre le problème de la fidélisation ; disons-le clairement. Penser l'inverse reviendrait d'ailleurs à donner une image pour le moins curieuse des forces armées. De fait, les sujets d'infrastructures et de logements sont déterminants – j'ai émis tout à l'heure un avis défavorable à l'amendement de Mme Thomin qui concernait l'accès au logement, mais je vais y répondre maintenant de manière plus complète. Soyons clairs, pour nombre de jeunes soldats, avant même d'évoquer la solde, ce qui compte c'est le fait qu'il n'y ait pas d'eau chaude dans la douche. Il est vrai que les infrastructures ont été ces dernières années, avec l'activité des forces, la variable d'ajustement en cas de réduction des crédits. En outre, ceux qui ont été élus dans des exécutifs locaux le savent très bien : entre le moment où vous votez des travaux et le moment où ils sont effectivement réalisés, il y a un délai. D'ailleurs, les grues qui œuvrent actuellement sur plusieurs bases aériennes ou dans des régiments font suite à des investissements décidés il y a deux ou trois ans. Une telle inertie n'est pas anormale, d'autant – nous avons eu ce débat avec M. Lachaud – qu'il convient de respecter les normes environnementales et de construction, ce qui impose aux projets un certain rythme.

La question des infrastructures est donc absolument essentielle. Celles des armées souffrent un effet d'une grande vétusté – bien davantage que les infrastructures civiles –, ce qui pèse fortement sur le moral des troupes.

Je ne suis pas intervenu hier au sujet de Sentinelle pour ne pas allonger le débat – mon intention n'est pas de le rouvrir ici –, mais sachez que cette opération suscite des retours contrastés, même si certains jeunes engagés se réjouissent d'y prendre part. La preuve en est que les attentats de 2015 ont suscité une vague de mobilisation : nombre de nos concitoyens ont voulu être utiles et s'engager. Cela pose plus généralement la question des missions assignées aux forces armées. Elles ne sont évidemment pas attribuées en fonction de leur caractère attractif – tel n'est pas le sens d'une politique de défense –, mais nous devons être attentifs aux missions que nous confions aux militaires.

Enfin, de nombreuses avancées sont consolidées – même si je suis conscient qu'un gâteau avalé n'a plus de goût ! Le projet de loi qui vous est soumis sanctuarise des particularités liées au statut militaire – le président de la commission y reviendra certainement. Il est important de le souligner devant la représentation nationale, car en d'autres temps, certains avaient envisagé de les supprimer – la carte de circulation militaire sur le réseau SNCF, en particulier. Le bénéfice de celle-ci a au contraire été ouvert aux policiers par le ministère de l'intérieur, ce dont nous pouvons nous réjouir.

Je suis donc favorable à l'amendement « au carré » de M. Chenevard – c'est le deuxième qu'il soumet dans ce domaine –, en vous invitant à voter mon sous-amendement, afin de le rendre encore plus précis.

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