Intervention de François Huyghues Despointes

Réunion du jeudi 13 avril 2023 à 15h30
Commission d'enquête sur le coût de la vie dans les collectivités territoriales régies par les articles 73 et 74 de la constitution

François Huyghues Despointes, président du Syndicat des distributeurs et grossistes alimentaires de Martinique (SDGA), président du directoire du groupe Société antillaise frigorifique (SAFO) :

Je vous remercie de me laisser l'opportunité de m'exprimer devant cette commission. J'espère pouvoir apporter une contribution efficace à vos travaux.

J'exprimerai en premier lieu quelques mots sur les mandats pour lesquels je suis aujourd'hui invité. Le SDGA, Syndicat des distributeurs et grossistes alimentaires, est une organisation professionnelle créée en 1996 à la Martinique, aujourd'hui composée de cinq membres adhérents, de quatre distributeurs et d'un grossiste. J'en suis le président depuis février 2020. Le groupe SAFO est une entreprise familiale fondée en Guadeloupe en 1962 qui opère principalement dans la distribution alimentaire de gros, de demi-gros et de détail en Martinique, en Guyane et en franchise à Saint-Martin. J'en suis le président du directoire depuis février 2016. Concernant l'objet de votre commission, je m'exprimerai principalement concernant le secteur de distribution alimentaire de gros et de détails, les territoires de la Martinique, en particulier de la Guadeloupe et de la Guyane n'étant pas présents ailleurs, ni à travers le syndicat ni à travers SAFO.

Lorsque l'on évoque le coût de la vie, ou la vie chère en outre-mer, il est systématiquement fait référence au différentiel de prix observé avec l'Hexagone. Ce différentiel est mesuré par l'Insee dans les enquêtes de comparaison spatiale de manière globale et de manière thématique. Pour la Martinique, lors de la dernière enquête qui date de 2015, l'écart ajusté de l'indice de Fisher était au global de 12 % et sur les produits alimentaires, de 38 %. J'aborderai tout d'abord les causes de ce différentiel, et en particulier sur les produits alimentaires, j'expliciterai ensuite la situation concurrentielle des marchés de gros et de détails à prédominance alimentaire en Martinique et enfin les solutions identifiées ainsi que les éventuelles difficultés de mise en œuvre.

Quelles sont les causes du différentiel et pourquoi celles-ci sont-elles plus fortes et amplifiées sur les produits alimentaires ?

Le dénominateur commun à tous nos territoires ultramarins est le couple éloignement géographique/taille de marché restreinte. Un marché lointain, mais qui serait de plus grande taille permettant des économies d'échelle ou un marché proche, mais de petite taille, comme c'est le cas de la Corse, pose moins de difficultés que des marchés qui sont à la fois lointains et de petite taille. Cette problématique est commune à tous les secteurs économiques, pas uniquement à celui de la distribution alimentaire. Celle-ci pèse également sur la compétitivité de la production locale. Ces incidences vont au-delà même de l'économie et pose la difficile question de la continuité territoriale dans l'archipel France. C'est notre première difficulté. La seconde concerne l'éloignement qui implique de transporter des marchandises sur de longues distances, et engendrant également du temps et des étapes logistiques supplémentaires, toutefois indispensables à l'export comme à l'import.

Du côté financier, le terme consacré porte sur les frais d'approche. Il s'agit de l'ensemble des coûts associés aux étapes d'acheminement depuis le lieu de fabrication jusqu'au lieu de vente des produits. C'est là aussi une contrainte qui touche l'ensemble des secteurs. Son incidence est plus forte sur les produits alimentaires pour trois raisons : d'une part, le nombre d'étapes et leurs coûts, d'autre part la durée de ces étapes et enfin le caractère forfaitaire de ces frais d'approche.

Concernant le nombre d'étapes, il me faut préciser que le transport vers nos territoires se fait à 99 % par voie maritime. Je pourrais parler du fret aérien si vous le souhaitez, ce dernier est cependant marginal. Ce transport maritime vers les outre-mer est conteneurisé du fait des longues distances, ce qui du reste n'est pas le cas de la Corse, par exemple, où des camions semi-remorques chargent directement à bord de ferries. Cette pratique présente une grande différence, car si dans les deux cas, le transport maritime est utilisé, dans le cas de la Corse, il n'y a ni empotage ni dépotage de conteneurs qui constituent des ruptures de charge et donc des coûts supplémentaires. La distance n'est évidemment pas la même de surcroît : 160 km pour la Corse contre 7 000 km dans le cas de la Martinique.

Je vous propose d'exposer l'exemple concret d'un transport de conteneurs. La première étape d'un transport conteneurisé est de contacter un transitaire pour positionner un conteneur vide à proximité soit d'une usine dans le cadre d'un conteneur complet, soit d'un entrepôt de consolidation dans le cas d'un conteneur d'assemblage. Cette usine, ou cet entrepôt, doit être en mesure de réaliser un empotage, c'est-à-dire de remplir le conteneur de marchandises. C'est toutefois loin d'être le cas de toutes les usines ou de tous les entrepôts du territoire hexagonal, cette étape est en effet moins simple qu'il n'y paraît. Il convient d'arrimer solidement les marchandises pour les préparer à un voyage qui sera long, des chocs peuvent intervenir à bord du navire ou sur les terminaux portuaires. Il est également nécessaire d'optimiser le remplissage du conteneur et c'est un véritable savoir-faire. L'empotage de produits alimentaires est encore plus délicat, car il faut éviter les écrasements de marchandises, éviter le contact entre certains produits et gérer la notion de température dirigée rendant de fait cette étape plus sensible. Toutes les usines et les entrepôts n'ayant pas la capacité d'effectuer ces opérations, il est parfois nécessaire de livrer la marchandise vers un entrepôt spécialisé qui se chargera de l'étape d'empotage. Une fois empoté, le conteneur est plombé, puis scellé pour garantir son contenu. Il est ensuite tracté sur route jusqu'au terminal portuaire de départ. Il est à noter que le transport routier des conteneurs, qui s'appelle la traction, coûte plus cher que du transport routier conventionnel. Une fois sur le terminal, le conteneur sera gruté à bord du navire. C'est à ce moment que l'acquittement du fret et des frais associés au fret a lieu, notamment le correctif conjoncturel carburant appelé Interim Fuel Participation (IFP) ou Bunker Adjustment Factor (BAF), dont la valeur a été très forte en 2022 du fait des cours mondiaux des hydrocarbures. Une fois arrivé au port de destination, le conteneur est gruté hors du navire. Les droits de port et les droits de douane spécifiques sont alors payés au terminal porteur de destination, en l'occurrence l'octroi de mer, dont l'assiette, la base taxable, comprend la valeur des marchandises au départ ainsi que toutes les étapes jusqu'à celles-ci, y compris l'assurance de la cargaison. Le conteneur fait ensuite l'objet d'une nouvelle traction routière hors du terminal de destination d'une part vers un magasin. Ce cas est le plus court, mais pas le cas le plus fréquent, car tous les magasins n'ont pas la capacité de réceptionner un conteneur complet ni de le dépoter. Ceux qui en ont la capacité, généralement les grands hypermarchés, ne peuvent pas le faire pour toutes les familles de produits. Tout dépend en effet de la vitesse d'écoulement des produits ainsi que de leur durée de vie résiduelle. D'autre part, le conteneur peut être tracté vers un entrepôt où il sera dépoté, stocké, puis livré vers un magasin, ce qui représente le cas le plus fréquent. Le dépotage, qui est l'inverse de l'empotage, le déchargement, est plus complexe qu'il n'y paraît. Les éléments de calage ont pu bouger pendant le transport, il faut donc éviter l'effondrement des marchandises. L'entrepôt peut être celui d'un transitaire. Certains sont dotés d'une capacité logistique, celui d'un logisticien pur qui ne fait que de la logistique ou celui d'un grossiste, ce qui revient au même.

Cette étape est indispensable à tous les magasins qui n'ont pas la capacité de recevoir des conteneurs complets, c'est-à-dire tous les supermarchés et tous les magasins de proximité. Je rappelle qu'il n'existe pas de compensation des coûts d'acheminement vers les outre-mer, contrairement à la Corse, par exemple, qui bénéficie d'un dispositif de continuité territoriale. Toutes les étapes que j'ai citées ainsi que leurs coûts sont répercutés dans le prix de revient des produits. Par ailleurs, la durée des étapes présente plusieurs conséquences. Elle impose tout d'abord des couvertures de stocks plus importantes pour faire la jonction entre deux expéditions : ce sont des cycles longs d'approvisionnement. Plus de stocks doivent être détenus, plus de trésorerie doit donc être mobilisée, ce qui entraîne un besoin en fonds de roulement plus élevé, a fortiori dans le contexte actuel de l'inflation. De l'espace est de plus nécessaire pour loger ces marchandises, sollicitant des réserves magasin plus importantes que leurs homologues hexagonaux, et/ou le recours à des entrepôts. Cette durée génère cependant des pertes de produits plus importantes, ou encore de la casse pendant le voyage. En cas d'imprévus rallongeant les délais, des décalages de départs de navires peuvent avoir lieu pour raison d'avaries ou au regard de phénomènes météorologiques. Cette occurrence entraîne le dépassement de durée de vie des produits. Dans les deux cas, c'est de la démarque.

Les produits alimentaires sont périssables, les dates de certains produits frais, mais pas uniquement, sont courtes. Le temps est générateur de démarques, un coût financier ressort de fait. Enfin, les frais d'approche présentent une troisième difficulté majeure en ce qui concerne l'alimentaire : ils sont forfaitaires. Ainsi, leurs montants ne varient pas en fonction de la valeur transportée. Il s'agit des coûts aux conteneurs, quel que soit ce qui est contenu à l'intérieur. Cette caractéristique est particulièrement pénalisante pour les produits dont le rapport valeur/volume est faible ; la plupart des produits alimentaires sont au cœur de cette définition, en particulier ceux de première nécessité.

Je citerai quelques exemples pour illustrer ce caractère forfaitaire. Considérant que l'ensemble des frais d'approche vers la Martinique représente 5 000 euros pour un conteneur, ce qui n'est pas incohérent, l'incidence proportionnelle de ces frais dépendra de la valeur des marchandises. Dans le cadre d'un conteneur d'eau qui contiendrait 5 000 euros de marchandises, les frais d'approche représentent 100 % de la valeur du produit – élément également cohérent. Ainsi, une fois arrivé en Martinique, le produit vaut déjà deux fois plus cher qu'à son départ alors que personne n'est intervenu, ni un grossiste ni un distributeur. Dans l'exemple d'un conteneur de pâtes d'une valeur de 10 000 euros, 50 % de frais d'approche restent très importants. En revanche, dans l'exemple d'un conteneur de produits électroniques, il est possible d'observer 500 000 euros de valeur de marchandises. Cet exemple n'est pas incohérent non plus. Les frais d'approche ne sont plus que de 1 %. Ce caractère forfaitaire pour les produits alimentaires est un vrai sujet, et en particulier pour ceux de première nécessité. J'y reviendrai au moment d'évoquer les solutions.

Nous arrivons au dernier volet explicatif du différentiel de prix, la fiscalité locale, c'est-à-dire l'octroi de mer. Je tiens à préciser en préambule que nous n'avons rien contre ce dispositif dont nous avons depuis longtemps intégré la complexité dans nos organisations. Cette complexité consiste à avoir classifié l'ensemble de nos références selon leur nomenclature douanière, plusieurs dizaines de milliers de références sont concernées, et à avoir recours à des commissionnaires en douane au départ et à l'arrivée pour toutes nos expéditions. Ce dispositif intègre également des emplois. L'octroi de mer est somme toute une composante importante du prix de revient et constitue une part explicative du différentiel de prix avec l'Hexagone.

Je précise que l'impact est plus fort sur l'alimentaire, le différentiel de TVA étant plus faible. Celui-ci est de 3,4 % sur l'alimentaire en effectuant la différence entre 2,10 %, qui est le taux minoré valable en Martinique, et 5,5 % qui est le taux hexagonal. Le différentiel sur le non-alimentaire est de 11,5 %, entre 8,5 % qui est le taux minoré en Martinique et 20 % en Hexagone. En plus du poids relatif faible des frais d'approche pour le conteneur de produits électroniques, nous constatons que le différentiel de TVA va permettre à ces produits d'être aux prix de la métropole, et parfois moins chers qu'en métropole, ce qui n'est pas du tout le cas des produits alimentaires. D'autres facteurs explicatifs au différentiel existent, mais dont la part est plus faible. Je vous propose simplement de les évoquer sans les détailler. Nous retrouvons ainsi les coûts de construction, le surcoût des matériaux, les normes anticycloniques qui concernent tous les bâtiments et, in fine, soit les loyers, soit les niveaux d'amortissement, la disponibilité et le coût du foncier ainsi que d'autres causes plus faibles.

Abordons la situation concurrentielle des marchés de gros et de détails à dominante alimentaire en Martinique. Dans la base Sirene de l'Insee, plus de 200 établissements ont des codes d'activité principale exercée (APE) correspondent à du commerce de gros à prédominance alimentaire en Martinique. Nous en connaissons une cinquantaine parmi les principaux qui sont les fournisseurs de nos magasins. Ils peuvent être généralistes ou spécialisés par familles de produits. Certains industriels locaux sont également grossistes en plus de leur activité industrielle. Nous y retrouvons par ailleurs des logisticiens purs et des transitaires ayant des capacités logistiques qui permettent à leurs clients de réaliser des importations directes, segment entrant dans le champ concurrentiel de l'activité de grossiste. Il est à noter qu'aucun magasin en Martinique n'est en mesure de fonctionner complètement sans une étape logistique locale, ce qui est vrai à mon sens pour le reste de l'outre-mer. Elle est indispensable et fait partie de la logistique import évoquée précédemment et rentre dans les frais d'approche. Je me tiens évidemment à votre disposition pour toute autre information concernant le commerce de gros.

Concernant le commerce de détail, sur les neuf principaux groupes d'enseignes qui composent le paysage hexagonal de la grande distribution, à savoir Leclerc, Intermarché Système U, Carrefour, Auchan, Cora/Match (groupe Louis Delhaize), Lidl et Aldi, six sont représentés en Martinique. Ce chiffre n'est pas ridicule quand on considère d'un côté 65 millions d'habitants et de l'autre 350 000 habitants. Il faut savoir que les groupes intégrés Carrefour, Casino, Auchan ne sont pas directement présents outre-mer ; ils passent systématiquement par des franchisés. Deux exceptions ont toutefois pu être relevées par le passé : Cora/Match a racheté son franchisé Primistères Reynoird en 2000, acteur de premier plan aux Antilles et en Guyane, qui avait des difficultés financières. Cora/Match l'a revendu en 2011.

Le groupe Casino a quant à lui racheté en 2005 son franchisé pour l'Océan indien Vindémia, qu'il a récemment revendu en 2019. Il est possible de nous interroger sur les raisons pour lesquelles ces enseignes ne viennent pas en propre. La meilleure réponse viendra des groupes eux-mêmes, ceux qui sont partis ou ceux qui ne viennent pas. Je pense en particulier à Lidl et à Aldi qui ont des stratégies de développement très agressives sur le territoire hexagonal et qui ne sont pas présents en outre-mer. J'imagine néanmoins qu'ils répondraient à une éventuelle sollicitation de votre commission. Pour notre part, nous considérons qu'ils n'ont pas estimé le rapport potentialités/complexités suffisamment intéressant. La potentialité dépend de la taille de marché, l'actuelle et la future. Il est vrai que les perspectives de décroissance démographique dans certains territoires peuvent inquiéter à juste titre. Le facteur de complexité intègre les frais d'approche et la fiscalité déjà évoquée.

Un véritable enjeu d'attractivité des investissements existe en outre-mer et se vérifie également dans la grande distribution. Nous pourrions citer d'autres secteurs où de récents départs se sont produits : des compagnies maritimes, Geest et Maersk, et récemment une banque, la Société Générale. Concernant la grande distribution, ce manque d'attractivité s'est encore récemment vérifié lors de la vente des actifs des groupes Lancry et Charles Ho Hio Hen. Il existe deux groupes Ho Hio Hen ; j'évoque bien celui qui représentait les enseignes Casino et qui a disparu. Lorsque leurs actifs étaient en vente, ils ont eu à faire à la demande de l'Autorité de la concurrence la publicité des ventes au niveau national auprès de toutes les enseignes et même au niveau européen. Aucun candidat au rachat de ces actifs ne s'est présenté. Pourtant, dans le lot, des actifs étaient intéressants. Seuls des groupes locaux sn sont portés acquéreurs.

L'Autorité de la concurrence veille à ce que les règles de concurrence soient scrupuleusement respectées. Nous le constatons en ce moment avec le dossier de la reprise de l'hypermarché de La Batelière par le groupe Parfait que vous avez certainement suivi en Martinique, monsieur le rapporteur. L'Autorité n'a pas autorisé cette opération, compte tenu de la proximité d'un autre hypermarché. En outre-mer, l'Autorité utilise des critères d'étude renforcés : par exemple le seuil d'analyse des concentrations dans l'alimentaire n'est pas de 15 millions d'euros, mais de 5 millions d'euros. Pour donner un ordre d'idée, ce montant représente une grosse supérette outre-mer. Une amélioration de l'attractivité permettrait de résoudre cette situation. En dehors de l'analyse de dossiers spécifiques, l'Autorité a eu à rendre des avis plus généraux sur le niveau de concurrence outre-mer en 2009 et en 2019. Si la situation de la grande distribution avait été si profitable, ces avis auraient rendu des conclusions négatives, ce qui n'a pas été le cas, et nous n'aurions pas assisté à la disparition ou au départ progressif de plusieurs acteurs. Notre secteur, qui est en bout de cycle, est souvent considéré comme responsable des écarts de prix. Ce contexte aussi lié à la fréquence de passage dans nos magasins, plusieurs fois par semaine, et au fait qu'une partie importante de nos produits est de première nécessité.

Il me paraît important d'ajouter que dans le compte de résultat d'un magasin ultramarin, en bas de page, dans le meilleur des cas, on peut lire 1 %, 1,5 % ou 2 % de résultat, ces métiers sont certes des métiers de volume, ce qui est probablement beaucoup plus faible que les idées reçues qui peuvent circuler.

Je souhaiterais maintenant aborder les solutions identifiées et leurs difficultés de mise en œuvre, et vous soumettre en particulier cinq solutions :

- le développement de la production locale ;

- la coopération régionale ;

- la remise en place de tarifs export de la part des fournisseurs pour les territoires ultramarins français ;

- l'intégration verticale de davantage d'acteurs dans les dispositifs tels que le bouclier qualité-prix (BQP) ou le BQP + ;

- la péréquation des frais d'approche et de la fiscalité ;

- la continuité territoriale.

Le développement de la production locale est vertueux à bien des égards : le développement de l'emploi, le développement des investissements, l'attractivité, une meilleure autonomie alimentaire, autant de raisons pour lesquelles tous les distributeurs adhérents du SDGA et au-delà l'appellent de leurs vœux et s'inscrivent tout à fait dans cette dynamique. La problématique principale reste la compétitivité des produits locaux qui sont soumis à des handicaps structurels liés au fameux couple éloignement/taille de marché. Concrètement, les industriels sont obligés d'interrompre leurs outils productifs, ce qui est coûteux. Ils ne peuvent pas trouver toutes les matières premières localement et ils ne bénéficient pas ou peu d'économies d'échelle. Étudier la mécanique de soutien à la production locale pourrait constituer une solution. Trois mécanismes cohabitent actuellement sur l'énergie. La péréquation et la solidarité nationale font que les Martiniquais payent 25 % du coût réel de production de leur électricité, et ce, grâce au calcul du coût de l'énergie qui tient compte de l'ensemble du parc productif national, centrales nucléaires hexagonales comprises. Ce dispositif est particulièrement efficace, et nous l'avons vu récemment avec les hausses du coût de l'énergie, mais difficilement transposable à des produits. Il faudrait pour ce faire que des spécialistes se penchent sur cette opportunité.

Concernant l'agriculture, en particulier celle qui est destinée à l'exportation, le mécanisme est différent. On considère que ces produits subissent une concurrence déloyale d'autres pays étrangers, en particulier sur les salaires où ces pays pratiquent des salaires extrêmement bas, sur les normes où les modes de production ne respectent pas les normes européennes ou françaises, sur les pesticides utilisés ou encore sur les modes de production. Des subventions françaises et européennes viennent baisser le point mort de producteurs pour les rendre plus compétitifs à l'export. Ce principe fonctionne et permet de faire rayonner le territoire.

Un troisième dispositif est utilisé pour l'industrie : le différentiel d'octroi de mer. Puisque les produits industriels locaux ne peuvent pas être compétitifs du fait des handicaps structurels, du fait du couple éloignement/taille de marché qui sont des raisons tout à fait valables, on impacte les produits importés pour qu'ils soient plus chers. On vient réguler la compétitivité à la baisse. Ce fonctionnement pourrait être adapté si le consommateur ultramarin en avait les moyens. Ce n'est pas le cas cependant ; les statistiques de seuil de pauvreté le confirment. Nous nous interrogeons par conséquent sur la possibilité d'utiliser le deuxième mécanisme, celui qui concerne l'agriculture sur l'industrie, un dispositif qui permettrait plus de compétitivité aux produits locaux et qui mettrait la pression sur les produits importés plutôt que l'inverse. Or, cette position ne fait pas l'unanimité. Je donne simplement à votre commission l'avis d'un distributeur profane.

La solution suivante est la coopération régionale souvent évoquée, mais difficile à mettre en œuvre dans le contexte actuel. Celle-ci implique des échanges bilatéraux dans les deux sens, à l'export depuis le territoire vers les voisins, à l'import dans l'autre sens. Chaque flux a ses contraintes propres. À l'export, la compétitivité des prix pose problème. Nos voisins sont des pays au produit intérieur brut (PIB) et au PIB par habitant beaucoup plus faibles que nos territoires ultramarins qui recherchent beaucoup plus de compétitivité prix. L'idée précédente permettrait peut-être de déverrouiller cette contrainte. Et dans l'autre sens, à l'import, nous rencontrons des problèmes de normes ou d'équivalences de normes. Nos territoires sont européens, nos voisins ne le sont pas, ou pas toujours. Des problèmes de protectionnisme s'ajoutent parfois à de vrais sujets réglementaires avec des droits de douane élevés ou des quotas. Nos capacités logistiques concernant cette coopération régionale constituent somme toute une bonne nouvelle, de même que la réactivité des compagnies maritimes comme CMA CGM qui n'a pas attendu les volumes pour mettre en place des lignes interrégionales. J'ai en tête l'exemple du service Kalinago, qui est assez récent, qui permet de relier la Martinique, à la Dominique, à Porto Rico, à Saint-Martin du côté hollandais, à Antigua-et-Barbuda, Trinidad-et-Tobago, Grenade, La Barbade, Saint-Vincent et Sainte-Lucie. L'autre bonne nouvelle est la volonté politique sur ce sujet qui semble forte. J'ai vu des représentants de la collectivité territoriale de Martinique (CTM) se déplacer dans des territoires voisins. Si les premiers obstacles parvenaient à être levés, cette opportunité pourrait exister.

D'autre part, les tarifs export ont existé par le passé. Les fournisseurs nous proposaient des tarifs minorés pour les territoires ultramarins. Ces tarifs n'existent plus et nous, distributeurs n'avons pas la capacité de les remettre en place. Pourtant, cette pratique permettrait de gommer et d'absorber une partie du différentiel.

Concernant l'intégration verticale de davantage d'acteurs dans les dispositifs tels que le BQP ou le BQP+, il est à noter que depuis 2012, seuls les grossistes et distributeurs sont signataires du BQP. La CMA CGM a été signataire du BQP+ en 2022. Nous déplorons le fait que d'autres acteurs ne se joignent pas à ces dispositifs, qui concernent pourtant des produits de première nécessité. Cela leur conférerait plus d'efficacité. Là encore, la volonté politique locale et nationale permettrait peut-être de résoudre ce sujet. Je rappelle qu'au sortir de 2009, un dispositif tripartite nommé « BcBa » a été conclu avec les distributeurs et grossistes, les compagnies maritimes et la région, qui avait fait des efforts sur les taux d'octroi de mer.

La quatrième proposition est la péréquation des frais d'approche et de la fiscalité. J'ai entendu que l'économiste Olivier Sudry évoquait cette option. Nous partons du constat suivant, que j'ai dressé au départ, selon lequel les produits alimentaires avaient un différentiel plus élevé que le différentiel général. L'idée serait de venir lisser ce différentiel pour moins impacter les produits les plus sensibles. Notre proposition tend à lisser les écarts en soulageant les produits de première nécessité et en venant impacter les produits de dernière nécessité. Cette notion n'existe absolument pas et n'est pas officielle. Pour autant, nous pourrions imaginer des produits polluants, des produits de luxe, en tout cas des produits qui ne concernent pas les ménages les plus modestes, des produits qui auraient un différentiel plus élevé qui ne généreraient pas de tension sociale. L'idéal serait que les frais d'approche soient facturés en pourcentage et non au forfait. Cette option est toutefois écartée par les différents intervenants, ce que nous respectons. Les distributeurs membres du SDGA ont par conséquent imaginé un dispositif compensatoire pour les frais d'approche permettant de lisser le différentiel venant a posteriori de l'importation qui fonctionne en quelque sorte comme une aide au fret. La logique est identique pour la partie fiscalité avec un postulat de départ : maintenir absolument les recettes d'octroi de mer, mais fonctionner différemment sur la mécanique de taux et leur équilibre, c'est-à-dire venir soulager les taux des produits de première nécessité très sensibles, ceux qui n'ont pas d'équivalent local, et peut-être venir impacter d'autres produits moins sensibles. Je n'affirme pas que j'ai la solution, cet aspect reste à définir, peut-être notamment dans les produits électroniques. Nous avons en effet relevé que les écarts étaient très faibles s'ils étaient de 5 % ou de 10 % plus élevés. Je ne pense pas qu'il y aurait de tension sociale. En général, sur les produits électroniques, les taux d'outre-mer sont faibles. J'ignore s'il existe une raison intrinsèque. Cette réalité pourrait peut-être servir à financer ce dispositif.

Enfin, la continuité territoriale permettrait tout simplement de gommer les différentiels en les finançant. Celle-ci est souhaitée par certains élus locaux. Nous soutenons cette idée dans la mesure où nous sommes des territoires français, petits et lointains, mais français. Nous n'avons pas estimé le coût d'une telle continuité pour la Martinique, mais nous pensons que votre commission est en capacité de le faire.

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